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A- L’espace dans le Vieux de la montagne, entre la réalité sociale et la fiction

4- La présence de la France dans le roman

La France est un espace sous-jacent dans Le Vieux de la montagne. Tengour, qui « Ne rentre au pays que pour les vacances, s'interroge, en vue d’un retour possible, sur l'avenir de l'Algérie »18

Cet « ailleurs » vise, selon la critique allemande Regina Keil-Segawe l'« ici », c'est-à-dire l'espace réel et concret, représenté dans plusieurs parties du roman par la présence référentielle de la France.

Ce qui renforce chez le narrateur, les sentiments de nostalgie et d'enthousiasme, un malaise qui motive son voyage fictionnel en Perse médiévale, inspiré de rues et quartiers qui permettent la réactualisation des atmosphères :

« Habib Tengour est probablement, l'auteur chez lequel la dialectique Occident-Orient est posée et développée avec le plus de liberté et de véhémence. Élaboré de longue date entre les deux rives de la Méditerranée, son œuvre a très tôt choisi d’interpeller une certaine mémoire collective »19

A travers l'évocation de lieux situés en France ( « le canal de l’Ourq » ) dans Le Vieux de la montagne, Tengour ne cherche pas à démontrer cette dialectique, parce qu'il sépare ses lieux de leur aspect occidental, et il n'y garde que les indices de la présence du Maghreb, dénomination médiévale réactualisée.

a- La banlieue et le quartier maghrébin, une figure d’Alamout

Paradoxalement, ce roman qui révèle minutieusement les particularités géographiques et culturelles de chacun de ses espaces, vide les lieux français de leur âme, en n'en représente que les aspects qui mettent en valeur la présence maghrébine, dans des quartiers de la région parisienne, par des descriptions qui ignorent son ambiance européenne:

« …À l’aube, ils erraient dans la banlieue de Nishapoor prés de la Porte Neuve. Le café de la jeunesse ouvrait à l'Appel, disposait une longue banquette branlante

18

KEIL-SAGAWE. Regina. Ibid. p 71.

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contre le mur. Dans sa boutique exiguë, entre la mosquée et le café, le Tunisiens trônait devant sa pâte dans l'ocre de la lampe à carbure.» ( p 15)

Dans ce fragment, l'auteur traduit ses impressions et donne le nom d' «Alamout » à un quartier en chantier à côté du canal de l'Ourcq ( Ourq dans le texte ), en amant et jusqu’à Paris:

« La premier rue à la sortie du canal de l'Ourq menait à Alamout, un quartier en démolition […]. La rue était un chantier difficile d'accès et je m'étonnais qu'elle fût habitée […] Réticence d'une atmosphère traquée. Il n'y avait que des terrassiers maghrébins qui quittaient le chantier à cinq heures du soir laissant une tristesse à la rue qui les premiers temps me donnait une légère nausée- l'invité qui pénètre la chambre d'hôtel de travailleurs immigrés ressent bien ce haut le cœur qu'il masque gauchement à ses hôtes. » ( p 13 )

Dans le roman, Paris symbolise aussi le relâchement : c'est dans l'une de ses banlieues que les trois amis Omar, Hassan et Abou Ali s’adonnent excessivement au vin et au plaisir sexuel :

« Ils se rendirent dans un bordel du quartier des Ciseleurs et jouirent ( à la vérité une éjaculation comme le rasoir, Aaa ) de la même femme qu'ils choisirent sur un coup de dés. » ( p 15 )

Paris dans Le Vieux de la montagne, n’est qu’une escale entre les espaces réels représentés concrètement ou par les souvenirs de l'auteur sur l'Algérie, et les emplacements du rêve persan porté par l'Histoire.

La banlieue parisienne magrébine est une image d' « Alamout », la ville en ruine, qui grouille d'idées explosives sur la politique, la religion, la société, le pouvoir et les assassinats etc. et dans laquelle Hassan as-Sabbah se réincarne et d'où le narrateur Khayyâm / Tengour, qui refuse la doctrine meurtrière de Hassan as-Sabah et ses interprétations extrémistes de la religion, décide de partir pour revenir à Nishapoor qui se révèle être Constantine:

« Je quittai Alamout en prétextant mon désaccord avec Hassan que j'aimais. J'avais peur sans oser l'avouer. » ( p 22 )

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Bien qu'il ne soit pas linéaire, le récit de Le Vieux de la montagne a un certain ordre chronologique, qui préserve l'agencement narratif en ce qui concerne le voyage perpétuel du narrateur / auteur entre les villes : Paris / Constantine, Alamout / Nishapoor, Paris ( France ) / Alamout ( Perse ), Nishapoor ( Perse ) / Constantine ( Algérie ).

b- Alamout-bar, un lieu d'expression libre tragi-comique

« L’Alamout-bar », est un bar maghrébin au cœur d'une banlieue parisienne populaire, qui abrite des immigrés maghrébins de différentes nationalités et représente pour eux un lieu de rassemblement et d'une certaine liberté d'expression, dans une atmosphère chaleureuse plus au moins familière qui console un peu leurs nostalgies :

« Nous commandâmes plusieurs demis au Alamout-bar tenu par un vieil émigré marocain qui nous gavait de cacahuètes salées et de pois chiches au cumin » ( p 15 )

« Nous fréquentions beaucoup le Alamout-bar. Les tarifs étaient bas et la clientèle distrayante. Le patron nous gâtait. » ( p 15 )

C'est aussi un lieu de débat sur l'actualité à l'intérieur de « l'Empire », telle que la question de l'invasion Mongol ( qui dévastèrent la Perse aux environs de 1206, dirigés par Gengis Khan jusqu’en 1227 et conquirent une grande partie de l'Asie centrale de la Perse ( l'Iran ), l'Iraq et la Syrie, et créèrent l'un des plus grands empires de l’histoire, au dépend de l'Empire Perse.

« Les habitués du Alamout-bar s'enivraient toujours à la santé des mongols dans la féerie du néon tamisé et l'assurance des plaisanteries coutumières. Griserie du comptoir, liberté !

Comment s'insurger contre la fatalité de l’édifice ?

Le comptoir inondé de vin, hilarité d'une atmosphère engourdie. Ailleurs était sans consistance. » ( p 35 )

Dans certains fragments, le narrateur décrit des situations qui ressemblent plutôt à des scènes de théâtre dans lesquelles les personnages jouent d'autres rôles que les leurs comme les soirées qui se déroulent à Alamout-bar sous l'effet du vin: