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A- L’espace dans le Vieux de la montagne, entre la réalité sociale et la fiction

5- L’Algérie, cadre du roman

«…Les consommateurs commentaient à voix haute les dernières nouvelles : une invasions imminente des Mongols. La mobilisation générale allait être décrétée et les frontières fermées à toute circulation. Personne ne semblait y croire. C'est plutôt l'objet d'une plaisanterie. Aucun client n'avait vu de Mongols ni pouvait même imaginer leur apparence. » ( p 24 )

Les Mongols dans ce texte sont d'éventuels envahisseurs étrangers. La peur se transforme en dérision puis en déprime :

« Les piliers du Alamout-bar avaient inventé le jeu du mongol qui consistait en un déguisement : était proclamé gagnant celui qui réussissait l'apparition la plus terrifiante. Pendant plusieurs jours, se produisirent des scènes cocasses et déroutantes. Les beuveries qui suivaient étaient souvent sinistres. » ( p 24 )

Paris donc, est un espace réel du narrateur pour raconter autrement l'Histoire en laissant paraître ses critiques de l'Algérie:

« Nous avons à nous méfier de la liberté qui était un besoin étranger à notre culture, un modèle importé. Des analyses plus subtiles la présentaient comme dangereuse compte tenu des priorités. » ( p 36 )

5- L’Algérie, cadre du roman

La réécriture de l'Histoire est loin d'être l'objectif de Tengour dans Le Vieux de la montagne. En effet la reproduction et la réactualisation de certains éléments de l'histoire de la Perse médiévale dans le contexte de l'Algérie contemporaine vise l'Algérie elle-même, qui est l'espace réel et référentiel principal du roman, et la scène véridique où se passent des événements importants qui concernent, à la fois, son histoire présente et celle de la Perse au Moyen Age, en insistant particulièrement sur l'intégrisme et l'obscurantisme religieux qui représentent une des principales intrigues, sinon le thème essentiel du roman. Ainsi le pays natal de l'écrivain l'inspire:

« S'il vit en Algérie ( l'écrivain algérien ), c'est pour écrire de grandes choses. Si l'Algérie ne lui permet pas de les réaliser et s'en sent capable, il doit aller là où il

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se réalisera et où il pourra, en fait, rendre service à son pays. On peut être à l'extérieur et se sentir comme au pays»20

Même à l'étranger, Tengour a su garder l'Algérie dans son cœur, ses problèmes et ses crises hantaient ses écrits comme son esprit attaché à des villes et des endroits originaux, à son peuple, qui constituent la référence existentielle de ses textes.

Dans Le Vieux de la montagne, l'Algérie est pour l'auteur la terre de la vérité. Elle incarne toutes les choses vraies et concrètes dans ce texte, à la fois réel et quasi-légendaire. Tigditt à Mostaganem, où il a vécu son enfance surgit de sa mémoire et figure au troisième chapitres21 du roman, pour marquer son importance submergée pour le récit qui se balance continuellement entre la réalité et l'imaginaire. L'ambiance des confréries et des zawiyas de sa ville inspire intelligiblement l'atmosphère soufique du roman.

L'Algérie dans Le Vieux de la montagne est évoquée comme un pays de rêve, une terre de souvenir et de songes, dont le narrateur parle avec une certaine distanciation, à travers le personnage d’Omar Khayyâm.

L'Algérie est présente implicitement dans les parties qui parlent de la terre, de la politique et de la société, même dans les extraits où il s’agit de la Perse médiévale, car toute les images de l' « Empire » font allusion à une situation donnée qui lui est propre :

« Khayyâm se désintéresse du mouvement de l'Empire attentif à sa peine personnelle. Il savait la démission grave. (Les autre n'ont qu'à se lever les autres).» ( p 23 )

6-Tigditt, le paradis perdu de l’auteur

Tigditt, dans le roman est un espace de souvenir, de belles images de l'enfance de l'auteur. Il est tellement vrai et concret qu'il incarne la réalité, sur laquelle Tengour s'appuie et s'interroge en même temps, en donnant au préalable la réponse à sa question affirmative et polysémique :

« C'est une histoire vraie.

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YELLES, Mourad. Habib Tengour, L’Arc et la Lyre. Alger : Casbah Edition, 2006. p 44.

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Pourquoi m'enserre-t- elle à travers des siècles à revivre dans un rêve désolé ? » (p 20)

Le narrateur se demande avec insistance pourquoi est-il tant pris par cette histoire à être réduit à vouloir l’écrire, alors qu'il en a précédemment donné la réponse par un profond souvenir d'enfance de Tigditt et la tendance à préférer les histoires vraies ?

« ( À Tigditt, quand nous étions enfants - pris d'aventure, pressentant la mort au moindre bruit -, un film qui relatait des faits réels était toujours considéré comme un bon film. Une histoire vraie était une garantie de sérieux et de bonne qualité. On pouvait en discuter, peut être même en tirer des réflexions pertinentes. Soif inassouvie des maximes directrices. On savait que le cinéma risquait de sauter pendant la projection… ) » ( p 20 )

Tigditt est citée une seule fois dans le texte, comme un souvenir spontané qui marque le récit par une empreinte sauvegardée précieusement dans la mémoire et l'imagination de l'auteur comme étant l’endroit le plus affectant à Mostaganem:

« Tigditt, c'est le paradis perdu… c'est exactement cela. Le Lieu magique par excellence, l'espace où j'étais en harmonie : ses ruelles, ses petites maisons traditionnelles en pentes d'où l'on voit la mer... »22

À travers ses souvenirs et ses impressions, enregistrés automatiquement dans sa mémoire d'enfant algérien, en pleine guerre de libération, dans la deuxième moitié des années 50 du XXe siècle, Tengour parle de Tigditt comme une référence existentielle par laquelle il évoque le mysticisme :

« Je suis le Vrai, avait dit al-Hallaj. Et les âmes se brisèrent en un tremblement. La foule était assourdie. Elle exigeait le don, signe mesuré des anciens temps. » ( p 20 )

Dans son enfance Tengour aimait beaucoup les films (westerns, historiques, légendaires, mythologiques…) qui montrent des événements grandioses et rendent hommage à des personnages héroïques et mythiques. Dans son plus jeune âge, le cinéma, les contes, la poésie lyrique et soufique avaient forgé son imagination d'écrivain et ont crée chez lui une vision humaniste et universaliste ce qui influencera ses choix littéraires et son écriture.

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Ce brassage culturel est très bien exprimé dans le roman:

« Quand j’étais enfant, j’adorais les contes mais aussi les reconstitutions historiques, les « péplums », les films du Moyen-âge. J’étais fasciné par ces périodes. Cela développe inévitablement l’imagination. »23