• Aucun résultat trouvé

2. La gestion dynamique de la charge mentale à travers les modèles de

2.1. La présence de zones de confort

Au cours de l’exécution d’une tâche, l’opérateur n’est pas passif face aux sollicitations qui s’exercent sur son activité (Spérandio, 1971). Plus précisément, la gestion de la charge mentale ressentie vise à maintenir son niveau dans des valeurs dites « acceptables ». Les valeurs acceptables sont celles situées entre deux bornes extrêmes : ● Le niveau de surcharge déini comme le seuil capacitaire des ressources mobilisables par l’opérateur pour répondre aux exigences d’une tâche. Ce niveau est susceptible de varier sous l’effet de la motivation de l’opérateur, permettant de dégager des

ressources habituellement indisponibles (Siegel & Wolff, 1969 ; Liao & Moray, 1993). La surcharge peut être relevée chez l’opérateur qui présente une sensation de perte de contrôle de la situation. En effet, dans ce cas l’opérateur n’est plus en mesure de garantir une action adaptée car il n’a pas intégré l’ensemble des informations qui caractérisent la situation à superviser.

● L’autre seuil relatif au niveau de charge mentale ressentie est le niveau de sous-charge (Spérandio, 1980 ; Wiener & Curry, 1984). Dans ce cas, le niveau d’exigences de la tâche est faible, à tel point que le faible coût engendré ne permet pas de rentabiliser le travail cognitif. L’opérateur y est en phase « d’endormissement cognitif » et risque de ne pas être en mesure de répondre favorablement aux exigences soumises par manque d’investissement. Cette borne a tout autant d’importance que le seuil de surcharge cognitive car elle peut entraîner des conséquences néfastes aussi bien sur l’action de l’opérateur, que sur la performance obtenue (Young & Stanton, 2002). Entre ces bornes, il existe une zone intermédiaire, que l’on peut appeler « zone de confort ». Cette dernière correspond à une gamme de niveaux de charge mentale satisfaisants pour lesquels l’opérateur dispose d’actions disponibles, d’une distance à l’objectif sufisante selon le temps disponible (Hancock & Williams, 1993). La représentation d’une zone plutôt que d’un niveau de confort, permet d’intégrer les différences chez les opérateurs (inter et intra-individuelles).

Le réglage du niveau de charge mentale de l’opérateur à une valeur « confortable » se fait par un système de contrôle, appelé contrôle cognitif (Hoc & Amalberti, 2003). Ce système vise à garantir un niveau de performance sufisant répondant aux exigences de la tâche ainsi qu’aux évènements imprévus susceptibles de se présenter (Koechlin, Ody & Kouneiher, 2003) et un coût cognitif acceptable en fonction du seuil capacitaire de l’opérateur. Le contrôle cognitif permet à l’opérateur de mettre en jeu dans le bon ordre et avec une intensité adaptée, les mécanismes ou les représentations cognitives répondant favorablement à la situation. L’opérateur préserve ainsi une capacité d’action en cas d’imprévu, ce qui garantit un travail eficace dans la durée. Cette caractéristique de la gestion du contrôle cognitif est appelée compromis cognitif (Amalberti, 1996).

Les mécanismes de gestion employés par l’opérateur déinissent un compromis entre la performance visée et l’engagement cognitif à employer (Bainbridge, 1977). Cela permet d’illustrer l’existence d’une performance satisfaisante au détriment d’une optimisation de la performance (Hancock & Meshkati, 1988). L’atteinte d’une situation confortable en termes de charge mentale ressentie consisterait donc pour l’opérateur à régler de façon optimale le rendement entre ressources cognitives engagées et performance atteinte, ce qui renvoie à une notion d’eficience (Hollnagel, 2009). Par ailleurs, les opérateurs peuvent, en complément du compromis cognitif, s’adapter à la nature de la situation à gérer pour en conserver le contrôle. En effet, en employant le minimum de ressources cognitives ils peuvent atteindre leur objectif, et cela, en se basant principalement sur leurs expériences passées et les automatismes qu’ils ont à leur actif (bibliothèques de situations gérées mentionnées dans le chapitre 1).

64

La gestion de la charge mentale des contrôleurs aériens En-Route

Quand cela n’est pas sufisant, la régulation de l’activité peut consister à modiier le mode opératoire employé. Spérandio (1971) illustre ce cas de igure par le changement de stratégie opéré par les contrôleurs aériens pour faire face à une augmentation de la charge mentale. Cette modiication de l’objectif peut s’illustrer par différents recours : ● L’optimisation des tâches : L’opérateur modiie les objectifs relatifs à une tâche spéciique. Cette observation est illustrée par la gestion des communications verbales des contrôleurs aériens, qui vont réguler le nombre et le contenu des communications selon le niveau de charge de traic (Kuk, Arnold & Ritter, 1999).

● La suppression des tâches : L’opérateur déinit une priorité sur une tâche. Il peut ainsi privilégier une tâche en augmentant le niveau de performance à atteindre, tout en supprimant certaines tâches. Pour les pilotes d’hélicoptères cette priorisation consiste à maintenir un niveau de performance optimal sur les tâches essentielles, tout en lésant les tâches déinies comme secondaires pour lesquelles le niveau de performance diminue en conséquence (Segal & Wickens, 1990). Pour les pilotes en condition de stress psychologique, l’ignorance de tâches dans l’ordre inverse de leur criticité leur permettrait de réduire leur niveau de charge mentale (Raby & Wickens, 1990).

● Le report de tâches : L’opérateur segmente son action selon un ordre de priorité donné aux différentes tâches. Cela consiste à reporter dans le temps le traitement des tâches déinies comme secondaires. Fischer, Orasanu et Montvalo (1993) ont montré que les équipages d’avions les plus eficaces décidaient régulièrement de reporter des tâches secondaires.

La présence d’une zone de confort dans la gestion de la charge mentale réalisée par l’opérateur est notamment percevable dans le modèle CCM, Compensatory Control Model (Cf. igure 20) proposé par Hockey (Hockey, 1993, 1997). Ce modèle centre sa représentation de la charge mentale sur l’interaction qui se produit entre la tâche et l’opérateur. Il met en avant l’adaptabilité de l’opérateur quant à l’effort cognitif qu’il va générer pour répondre au niveau d’exigence de la tâche qu’il a préalablement estimé. Dès lors, lorsque le niveau d’exigences va augmenter, l’opérateur va ampliier son effort cognitif en mobilisant plus de ressources cognitives. De plus, le modèle montre le caractère protecteur de l’opérateur quant au niveau de performance attendu, via les objectifs qu’il ixe en fonction de ses propres limites. Ses limites dépendent à la fois de son état physique et mental (inluencé par la fatigue, le stress, les émotions…), et l’ensemble des contraintes qui s’exercent sur lui, comme les facteurs environnementaux (le bruit par exemple).

Toutefois, une limite principale peut être associée au modèle CCM. Dans cette proposition, l’opérateur est présenté comme réactif à un seul niveau d’exigences de la tâche. Les capacités d’adaptation et de créativité permettant à l’opérateur d’adapter son action selon les conditions qui s’imposent à lui ne sont donc pas incluses. Cette limite traduit notamment la non prise en compte de la dimension temporelle dans la gestion de la charge mentale réalisée par l’opérateur.

Figure 20. Traduction du Compensatory Control Model (Hockey, 1993, 1997)