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Des précédents

Dans le document Jules Joseph Martha : étruscologue (Page 131-134)

III. 1.2 Liée à la question de la langue

III.3 L ES RECHERCHES SUR LA LANGUE

III.3.1 Des précédents

III.3.1.1 La question de la méthode

Comme la recherche des origines des Étrusques, l'interprétation de la langue a soulevé de très nombreuses hypothèses à partir du constat de Denys d'Halicarnasse (I, 30, 2) : la langue étrusque est isolée. Longtemps, la méthode des savants pour interpréter l'étrusque a été de trouver une parenté avec une autre langue ou un groupe de langue, et d'effectuer des rapprochements étymologiques entre les mots. Cette méthode

488 MARTHA, 1889, p. 25 et suivantes. 489 Idem, p. 28.

131 étymologique, ou comparatiste, fondée sur un point de comparaison hypothétique, a donné lieu à de nombreux essais plus ou moins hasardeux490. Entre 1833 et 1849, Franz Bopp publie un ouvrage prouvant la parenté des langues parlées dans la majeure partie de l'Europe, de l'Asie occidentale et de l'Amérique depuis la colonisation européenne. Cette famille des langues indo-européennes est unanimement reconnue dans le monde linguistique. Le succès de l’étude de cette famille de langues encourage les savants à n’utiliser plus que la méthode comparatiste, qui devient pratiquement le seul modèle théorique pour l’étude des autres langues491. Pour les étruscologues, la question est alors de savoir si l'étrusque fait partie de ce groupe de langues indo-européennes. Différents auteurs traitent cette question. Ils peuvent alors s’appuyer sur le corpus réunissant les textes étrusques qu’Ariodante Fabretti fait paraître en 1867, le Corpus Inscriptionum Italicarum. Il est augmenté de Supplementi et d’Appendice par Francesco Gamurrini entre 1872 et 1880. Certains proposent une parenté entre les langues étrusques et les langues italiques, comme Wilhelm Corssen. Dans son ouvrage Über die Sprache der Etrusker, publié en 1875-1876, il soutient la parenté de l'étrusque avec les langues italiques, appartenant au groupe des langues indo-européennes. Le 30 avril 1875, Wilhelm Deecke fait paraître un opuscule492 dans lequel il démontre les erreurs de méthode de Wilhelm Corssen, démontant ainsi toute sa théorie493. La tentative de ce dernier est alors perçue comme un échec retentissant dans le monde de l'étruscologie.

Ce nouvel insuccès encourage à utiliser une autre méthode, dite inductive ou combinatoire. Elle consiste à n'étudier que les textes étrusques et à les comparer entre eux, afin de faire ressortir certains faits grammaticaux et de déterminer le sens probable des mots. La publication d’un nouveau corpus plus complet commandé par l’Académie de Berlin rend plus aisées ces comparaisons : le Corpus Inscriptionum Etruscarum est publié par Carl Pauli à partir de 1893. La méthode inductive est explorée par Wilhelm Deecke lui- même, mais aussi par d'autres linguistes, comme Carl Pauli, Alf Torp et Gustave Herbig. Moins spectaculaire car elle ne permet pas de proposer une interprétation globale de la

490 Voir par exemple la liste des ouvrages publiées sur la langue étrusque de Luigi Lanzi (1789) jusqu'aux années 1930, dans DUCATI P., Le problème étrusque, Paris, 1938, pp. 124-133.

491 À ce propos, AUROUX S. (dir.), Histoire des idées linguistiques. tome 3 : L’hégémonie du comparatisme, Bruxelles, 2000.

492 Corssen und die Sprache der Etrusker : eine Kritique, Stuttgart, 1875.

493 Voir à ce propos HADAS-LEBEL J., « Jules Martha et la controverse sur les origines étrusques », non publié. Nous le remercions chaleureusement pour l'envoi de son article.

132 langue étrusque, elle a pourtant donné des résultats qui ont permis de mieux connaître la grammaire étrusque, d'interpréter les textes les plus courts et les plus répétitifs.

Cependant, la tentative manquée de Wilhelm Deecke pousse aussi certains philologues à rapprocher la langue étrusque d’autres familles de langues, comme la famille des langues ouralo-altaïques.

III.3.1.2 La théorie de l'ougro-finnois

Après la famille des langues indo-européennes, les groupes de langues les plus importants sont la famille chamito-sémitique494 et la famille ouralo-altaïque495. Cette dernière, dont le regroupement est contesté par certains chercheurs, est composée des langues ouraliennes et des langues altaïques. Au début du XIXe siècle, le terme de « touranien » est utilisé pour désigner ce groupe. Le groupe altaïque est formé de l'ensemble des langues turques ou turco-tartares, mongoles et toungouses. Le groupe ouralien est divisé en langues samoyèdes496 et en langues finno-ougriennes. Ces dernières semblent avoir été en usage sur un territoire entre la mer Baltique et l'Oural avant l'arrivée des peuples parlant des langues indo-européennes. Ces populations auraient alors migré.

À partir des années 1870, les langues finno-ougriennes font l'objet de publications. József Budenz écrit un Dictionnaire comparé magyar-ougrien 497, puis une Grammaire

comparée des langues ougriennes, complétée par Zsigmond Simonyi498. Otto Donner écrit lui aussi un Dictionnaire comparé du finno-ougrien499. Heinrich Winkler étudie les peuples et langues ouralo-altaïques500 ; la revue Finnisch-ugrische Forschungen, débutée en 1901, fournit aussi des éléments de connaissance de ces langues. Ces études permettent d'envisager une comparaison de ces langues avec l'étrusque, ce que fait Jules Martha quelques années plus tard.

494 On préfère aujourd'hui parler de langues afro-asiatique. Ce groupe comprend notamment les langues sémitique avec l'assyro-babylonien, le phénicien, l'hébreu, etc.

495 Pour des informations simples et détaillées, voir VAN HOOF H., Un monde de langues, Genève, 2009, pp. 152-171.

496 Langues parlées par les peuples établis dans la toundra sibérienne. 497 BUDENZ J., Magyar-ugor összehasonlító szótár, Budapest, 1873-1881. 498 SIMONYI Z., Az ugor nyelvek összehasonlító alaktana, Budapest, 1884-1894.

499 DONNER O., Vergleichendes Wörterbuch der finnisch-ugrischen Sprachen, Helsinki, 1874- 1888.

133 Il existe des précédents. En 1874, Isaac Taylor publie Etruscan Researches501,

ouvrage dans lequel il tente de démontrer l'origine touranienne de la langue étrusque. Ce sont ses observations sur les monuments et les coutumes des Étrusques, notamment funéraires, qui l'invitent à croire que les Étrusques sont de la famille des Tartares ou des Ouraliens. Il tente alors de vérifier cette hypothèse à l'aide de la philologie, en partant du principe que si les Romains ne comprenaient pas l'étrusque, comme le disent les textes, c'est que ce n'était pas une langue indo-européenne. Cette piste est aussi évoquée par Wilhelm Deecke dans ses Etrusckiche forschungen de 1875, comme le souligne Jules Martha lui-même :

« Deecke terminait ainsi une étude sur certains suffixes étrusques, dont l'élément principal -l parait donner naissance à des suffixes secondaires : "À ce propos, je crois devoir dire que les langues finnoises, dont je me suis occupé depuis plus de vingt ans dans mes heures de loisir, et dont le système m'est bien connu, présentent, par une analogie des plus frappantes, le même phénomène d'un suffixe pouvant servir tantôt à marquer une fonction casuelle, tantôt à marquer des mots dérivés : j'ajoute que dans ces langues la lettre l en particulier joue un grand rôle dans la formation des cas et dans la composition des mots." Mais, en dépit de ces affinités apparentes et à cause de certaines difficultés qu'il n'indique pas, Deecke n'alla pas plus avant » 502.

Si Jules Martha adhère aux théories d'Isaac Taylor, il n'est en revanche pas convaincu par sa méthode. Il respecte par contre celle de Wilhelm Deecke, et par cette phrase se pose en continuateur d'une de ses idées abandonnée par manque de moyens.

Dans le document Jules Joseph Martha : étruscologue (Page 131-134)

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