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La Langue étrusque : la théorie de l'ougro-finnois

Dans le document Jules Joseph Martha : étruscologue (Page 138-141)

III. 1.2 Liée à la question de la langue

III.3 L ES RECHERCHES SUR LA LANGUE

III.3.2 Les recherches de Jules Martha

III.3.2.2 La Langue étrusque : la théorie de l'ougro-finnois

Le vendredi 2 février 1912, Jules Martha rend publique sa découverte dans une communication qu’il fait à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Le compte-rendu

138 qu’en publie le Journal des débats est le plus complet515. Après avoir annoncé sa théorie d’une parenté de l’étrusque avec l’ougro-finnois, il présente les faits grammaticaux qu’il a pu observer : les mots sont formés d’une racine et de suffixes plus ou moins nombreux, les verbes ne connaissent que les modes infinitif, impératif et indicatif, … Il traduit quelques suffixes - comme -al, venant de ; -eth, sans ; -ne, avec - et quelques mots, qu’il combine avec les différents suffixes pour montrer la formation de divers sens. Il traduit ensuite quinze inscriptions plus ou moins courtes, dont les fameuses « mi spural », « moi venant du combat » et « fuflunsul pachies vel clthi », « le vin est le meilleur moyen d’user la douleur ». Les inscriptions citées dans l’article ont d’ailleurs toutes été déjà traduites par Jules Martha devant Michel Bréal en 1904. La semaine suivante - le vendredi 9 février - Jules Martha termine sa présentation. Il montre comment reconnaître un verbe, un adjectif, un substantif, puis détermine la construction des phrases. Il conclut son exposé par une traduction du texte conservé sur la momie de Zagreb, qu’il interprète comme un rituel marin.

La Langue étrusque paraît l’année suivant ces communications. Dans sa préface,

Jules Martha nous apprend qu’il est parti du constat suivant : Wilhelm Corssen, linguiste reconnu, a exploré consciencieusement la piste d'une langue indo-européenne. Mais puisque sa théorie a été dénoncée par Wilhelm Deecke, c’est nécessairement que l’étrusque ne peut pas être une langue indo-européenne. Il explique alors que la piste des langues finno-ougriennes, maintenant mieux connues, doit être explorée. Pourtant, la première partie de son ouvrage, « les données du problème »516, se présente comme un exposé objectif et sans présupposition. Il rappelle les données qu’il a déjà présentées dans ses articles précédents, à ceci près qu’il ajoute des éléments à la fin de son exposé sur le mot « mi ». Pour lui, il existe un suffixe -m, qui aurait la même valeur possessive. Il augmente ainsi ses indices en faveur d’une affinité entre l’étrusque et les langues ougro-finnoises, puisque ces dernières ont un m comme élément principal de suffixe possessif à la première personne. Il en vient ensuite à démontrer que les incompatibilités entre l’étrusque et les langues ougro-finnoises ne sont qu’apparentes517. C’est à partir de là que Jules Martha effectue un basculement entre la méthode inductive et la méthode comparative et qu’il

515

« Académie des inscriptions et belles-lettres, séance du 2 février », in : Journal des débats, le 4 février 1912. ANNEXE IV. Le compte-rendu de la semaine suivante est également le plus complet « Académie des inscriptions et belles-lettres, séance du 9 février », in : Journal des débats, le 11 février 1912. ANNEXE IV.

516 MARTHA, 1913, pp. 1-40. 517 Idem, pp. 30-40.

139 admet lui-même qu’il rentre dans le domaine hypothétique : « Nous n’avons que des

inductions ; rien de plus. Mais si ces inductions n’autorisent pas une affirmation immédiate, elles autorisent du moins une hypothèse provisoire. Puisque l’étrusque, dans certaines circonstances grammaticales très caractéristiques, a l’air de se comporter comme un idiome ougro-finnois, supposons qu’il en soit un et traitons le comme tel »518. Il

propose alors d’appliquer à l’étrusque un système grammatical et un vocabulaire calqués sur les langues ougro-finnoises, ce qui sera critiqué par ses contemporains519.

Au vu de ses prises de position sur les origines étrusques, on aurait pu penser qu’il explorait la piste d’une langue ougro-finnoise en s’appuyant justement sur les découvertes archéologiques. Or, aucun de ses écrits ne fait de lien entre l’archéologie et la langue. Pour traiter la question de la langue étrusque, il semble bien qu’il soit parti de problèmes uniquement linguistiques. La lettre qu’il envoie à Louis Havet semble d’ailleurs appuyer ce constat : il n’a visiblement occulté aucune piste au début de ses recherches, puisque l’hypothèse d’une langue apparentée à l’égyptien serait clairement allée à l’encontre d’une migration transalpine, qu’il soutenait depuis la publication de L’Art étrusque en 1889. Si ses convictions archéologiques ne sont pas à l’origine de ses théories linguistiques, ces dernières soutiennent tout de même les premières. Il n’est pas impossible qu’il se soit plus enthousiasmé pour cette hypothèse à partir des observations grammaticales qu’il a faites, justement parce qu’elles allaient dans le sens de ses précédentes idées. Arriver à la même conclusion, en l’occurrence une affinité des Étrusques avec les peuples du centre de l’Europe, par deux chemins tout à fait différents aurait prouvé du même coup la validité de cette conclusion.

Jules Martha avance cette hypothèse en toute modestie, en la présentant d’abord en tant qu’hypothèse qui doit être vérifiée. Durant toutes ses recherches, il a d’ailleurs cherché l’assentiment de ses pairs. Il fait tout d’abord part d’une première hypothèse à Louis Havet, philologue reconnu qui contribue à former une école de linguistique à Paris. Il publie ensuite des articles avançant prudemment un premier rapprochement entre langues ougro- finnoises et étrusques, avant de présenter cette théorie directement à Michel Bréal. Après plusieurs années dans cette voie, il présente ses résultats à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, qui soutient financièrement la rédaction de La Langue étrusque. Enfin, il fait relire ses épreuves par Albert Grenier, agrégé de grammaire, qui a pour mission de vérifier

518 Idem, p. 39.

140 la validité de la méthode de Jules Martha520. C’est donc avec un intérêt non feint qu’il attend le jugement de ses pairs et recueille tous les articles521 parlant de son travail afin de suivre les réactions à partir de 1912.

Dans le document Jules Joseph Martha : étruscologue (Page 138-141)

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