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Partie I : Introduction générale

3. Concepts actuels de la virulence des mycoplasmes

3.3. Le pouvoir cytotoxique

Certains composés vont directement agir sur les cellules de l’hôte et provoquer leur lyse. La production d’une toxine n’a pour le moment été démontrée que chez deux espèces M. pneumoniae et M. penetrans. En revanche la production de molécules cytotoxiques, comme le peroxyde d’hydrogène, a été observée chez plusieurs mycoplasmes.

3.3.1. La toxine CARDS

M. pneumoniae est la cause d’infections respiratoires et notamment de 40% des CAP (Community acquired pneumonia) chez les enfants (Waites et Talkington 2004, Li, Xue et al. 2019). Ce mycoplasme produit une toxine appelée toxine CARDS (Community Acquired Respiratory Distress Syndrom) (MPN372). Cette protéine a été initialement étudiée car elle présente une homologie avec une sous-unité de la toxine pertussique qui présente une forte affinité pour le surfactant A pulmonaire (Hardy, Coalson et al. 2009). Pour mieux caractériser la toxine, une protéine recombinante a été produite (rCARDS). Il a été démontré que la toxine CARDS est dotée d’une activité ADP-ribosyltransférase (ART), favorisée par la présence de dithiothréitol (DTT) in vitro. Sur culture cellulaire, l’exposition à la protéine recombinante rCARDS induit une vacuolisation et une perte de l’intégrité du tissu. Des anneaux de trachée de babouin, conservant leur intégrité 10 jours en culture in vitro, présentent une désorganisation du mouvement ciliaire après seulement 24h d’exposition avec la protéine recombinante. La protéine recombinante rCARDS induit également in vivo une vacuolisation de cellules de l’épithélium bronchique et favorise l’infiltration de lymphocytes (Hardy, Coalson et al. 2009). De plus, des analyses in vivo, sur modèle murin et sur un primate, ont montré que la protéine recombinante rCARDS induit une augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires. La toxine CARDS est localisée dans le contenu cytoplasmique et membranaire et plus précisément à la surface du côté extracellulaire (Kannan, Musatovova et al. 2010). En revanche, elle n’est pas libérée dans le milieu extracellulaire (Kannan et Baseman 2006). Pour que la toxine puisse agir sur ces cellules cibles, un contact rapproché entre la bactérie et sa cible est donc nécessaire. L’expression de l’ARNm de la toxine augmente au cours de l’infection cellulaire, elle est plus importante en co-culture avec des cellules de type HeLa qu’en milieu axénique. Cela suggère que le contact avec les cellules cibles influence l’expression du gène de la toxine par un mécanisme non caractérisé à l’heure actuelle (Kannan, Musatovova et al. 2010). La toxine CARDS n’a été identifiée que chez M. pneumoniae, aucune homologie n’a été observée au sein des mycoplasmes des ruminants.

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3.3.2. Autre toxine, MYPE9110

Chez un autre mycoplasme, mais cette fois-ci, opportuniste humain, M. penetrans, une protéine (MYPE9110) présente une homologie de séquence avec la toxine CARDS. Grace à la production d’une protéine recombinante rMYPE9110, son activité ADP-ribosyltransférase a été démontrée sur culture cellulaire HeLa. L’exposition de cellules HeLa à la protéine rMYPE9110 induit une vacuolisation et une perte de l’intégrité cellulaire et cela est favorisé par la présence de chlorure d’ammonium in vitro (Johnson, Kannan et al. 2009). Tout comme pour la toxine CARDS, aucune homologie n’est détectée pour la protéine MYPE9110 chez des mycoplasmes des ruminants.

3.3.3. La production de peroxyde d’hydrogène

La production de peroxyde d’hydrogène (H2O2), largement décrite chez Mmm l’agent de la PPCB, est liée au métabolisme du glycérol. Celui-ci dérive de phospholipides de l’hôte et représente une source de carbone et d’énergie permettant à la bactérie de survivre en l’absence de source de carbone issue du glucose (Blotz et Stulke 2017) mais est également nécessaire à la synthèse des lipoprotéines. Une des voies d’entrée du glycérol dans la cellule mycoplasmique utilise les transporteurs de type ABC, gtsA, gtsB et gtsC (Figure 8) (Vilei et Frey 2001). Lors de son entrée le glycérol est phosphorylé en glycerol-3-phosphate qui sera lui-même oxydé en dihydroxyacetone phosphate (DHAP) grâce à l’action d’une l-α-glycerophosphate oxydase (glpO). Lors de ce processus d’oxydation du peroxyde d’hydrogène (H2O2) est formé. Le rôle de la protéine glpO a été démontré à l’aide d’un anticorps anti-glpO inhibant la production de peroxyde d’hydrogène (Pilo, Vilei et al. 2005). L’utilisation d’un mutant ne possédant pas les transporteurs gtsA, gtsB et gtsC réduit de 30 fois la production d’H2O2 in vitro par rapport à la souche parentale (Jores, Ma et al. 2019). Une voie alternative utilisant le facteur glpF est proposée pour appuyer l’entrée du glycérol dans le cytoplasme (Pilo, Vilei et al. 2005). L’effet cytotoxique de l’H2O2 sur les cellules de l’hôte et qui induit leur lyse, n’est pas totalement connu. L’H2O2 pourrait agir directement sur l’hôte par la dégradation des tissus ou indirectement en activant des gènes liés à la réaction inflammatoire et notamment la voie NF- κB. Enfin, la dernière voie d’action de l’H2O2 pourrait consister en une réaction de Fenton participant, entre autres, à la formation de radical hydroxyle (Pilo, Vilei et al. 2005). L’expression de l’enzyme glpO a été confirmée in vivo chez Mccp grace à son identification dans du liquide pleural d’animaux infectés (Liljander, Sacchini et al. 2019).

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Figure 8 : Représentation schématique de la voie de production de peroxyde d’hydrogène chez les mycoplasmes inspirée de (Pilo, Vilei et al. 2005) et (Blotz et Stulke 2017) (DHAP: dihydroxyacetone phosphate ; TpiA: Triphosphate isomérase ; GlpF: facilitateur du glycérol ; GtsABC: Transporteur ABC du glycérol de forte affinité ; GlpO : Glycérol-3-phosphate oxydase ; GlpK : Glycerol kinase ; Gap: Glycéraldehyde-3-phosphatase ; Pgk: Phosphoglycérate kinase ; Pgm Phosphoglycérate mutase ; Eno: Phosphopyruvate hydrolase ; Pyk: Pyruvate kinase) ?*: La localisation membranaire de l’enzyme GlpO est en cours de discussion (Schumacher, Nicholson et al. 2019)

Bien que l’effet cytotoxique in vitro soit largement démontré, le rôle de cette voie est plus nuancé in vivo. La souche de Mmm, PG1, produit de l’H2O2 in vitro bien qu’elle soit avirulente in vivo (Pilo, Vilei et al. 2005). Cette nuance est également observée chez M. gallisepticum grâce à la production de mutants pour les protéines GlpO, GlpK, et GlpF. Ces mutants sont incapables de produire de l’H2O2 et ne sont pas cytotoxiques in vitro. En revanche, ils sont virulents lorsqu’ils sont placés dans des trachées de poulet suggérant que la virulence de ces mutants n’est pas totalement liée à la production d’H2O2 (Szczepanek, Boccaccio et al. 2014). Enfin, une étude récente suggère que l’enzyme GlpO pourrait être cytoplasmique et non membranaire (Schumacher, Nicholson et al. 2019). Le mécanisme permettant la sortie de l’H2O2 devrait ainsi être recherché. Malgré ces nuances sur un lien direct entre métabolisme du glycérol et pathogénicité, ainsi que sur la localisation de la glpO, la production d’H2O2 reste à l’heure actuelle un des facteurs cytotoxiques les mieux décrits chez les mycoplasmes des ruminants.

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3.3.4. La production de sulfure d’hydrogène

La production d’un autre métabolite, le sulfure d’hydrogène, a été décrite chez M. pneumoniae. Une enzyme bifonctionnelle, HapE, est une cystéine desulfurase et desulfhydrase capable de produire de l’alanine, du pyruvate et du sulfure d’hydrogène à partir de la cystéine (Grosshennig, Ischebeck et al. 2016). Elle a une activité hémolytique en présence de cystéine. Sur des cultures cellulaires bronchiques humaines (NHBE), l’ajout d’une protéine recombinante rHapE inhibe la viabilité, la croissance cellulaire et augmente la quantité de cellules bloquées en phase S. De plus, rHapE augmente la production de facteurs anti-inflammatoires telles que les interleukines IL-4 et IL-6 (Li, Xue et al. 2019). Le rôle direct du sulfure d’hydrogène produit par l’enzyme n’a pour le moment pas été évalué. Cette voie n’a été décrite que chez M. pneumoniae et n’est pas observée chez d’autres mycoplasmes.

De nombreuses recherches ont donc été menées afin d’identifier des facteurs de virulence impliqués dans la pathogénèse des mycoplasmes. Ces recherches sont complexes puisqu’il n’y a pas de facteurs de virulence évidents et communs à de nombreuses espèces mycoplasmiques pathogènes. Pour certains facteurs de virulence, comme par exemple la production de la toxine CARDS par M. pneumoniae, le rôle direct de cette toxine dans la virulence et facilement évaluable car elle induit une toxicité cellulaire qui est produite par une espèce pathogène in vivo. En revanche, pour d’autres espèces n’induisant pas de lésions in vivo mais produisant des facteurs de virulence agissant in vitro, l’importance de ces facteurs dans l’induction de pathologies chez l’hôte est plus discutable. Cela peut être illustré par la production d’une toxine MYPE9110 agissant in vitro mais produite par une espèce opportuniste M. penetrans ou la production d’H2O2 par une souche avirulente in vivo, PG1.

De plus, les mycoplasmes produisent de nombreuses protéines dotées d’activités de type moonlighting qui, à première vue, ne semblent pas être impliquées dans la virulence. C’est le cas des nombreuses adhésines, comme par exemple la FBA ou l’α-enolase (section 3.1.2), dont le rôle dans l’adhésion n’a été découvert que récemment grâce à la production de protéines recombinantes. Ces données reflètent les difficultés rencontrées pour la caractérisation de nouveaux facteurs de virulence chez les mycoplasmes.

A l’heure actuelle, la grande majorité des facteurs de virulence identifiés ont un point commun, ils font partie du sécrétome mycoplasmique qui sera détaillé ci-après dans la section 4.

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