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Le potentiel codant de Tuna semble au cœur de sa fonction

Chapitre 2. Étude fonctionnelle de Tuna dans les cellules souches pluripotentes

2.2. Le potentiel codant de Tuna semble au cœur de sa fonction

Dans le Chapitre 2 nous avons montré que Tuna présente une région codante pour un peptide de 48 acides-aminés produit dans les mESCs. De plus, nous venons d’observer que Tuna était impliqué dans la régulation de l’expression de nombreux gènes de pluripotence incluant les gènes majeurs : Oct4, Nanog et Klf4. Ces mêmes facteurs sont utilisés lors d’essais de reprogrammation de cellules différenciées vers le stade d’iPSCs (induced Pluripotent Stem Cells)13. Ce processus consiste

à surexprimer différents facteurs dits de « reprogrammation », Oct4, Sox2, Klf4 et c-Myc, de manière à induire un remodelage de la chromatine des cellules différenciées vers un stade similaire à celui des mESCs et permettre, in fine, l’expression des gènes de pluripotence endogènes.

Considérant le lien entre Tuna et les gènes de pluripotence démontré par Lin et al. (2014), les résultats de la section précédente et ceux du Chapitre 2, nous nous sommes intéressés à l’impact de la surexpression de Tuna et à l’importance de la traduction du peptide au cours du processus de reprogrammation. Pour ce faire, nous avons, dans un premier temps, surexprimé différentes constructions plasmidiques de Tuna aux côtés des facteurs de reprogrammation (OSKM : Oct4-Sox2- Klf4-Myc) dans des cellules différenciées neuro-progénitrices (mNPCs). Afin de suivre l’expression des transgènes après transfection et induction à la doxycycline nous avons utilisé un système de gènes reporteurs. Le plasmide abritant les facteurs OSKM comprend un gène reporteur mCherry permettant de suivre l’induction des transgènes et d’estimer l’efficacité de transfection. D’autre part, l’acquisition de pluripotence des cellules est suivie grâce à l’expression d’un second gène reporteur exprimant la GFP (Green Fluorescent Protein), déjà présent dans le génome de la lignée cellulaire utilisée. Ce dernier est contrôlé par le promoteur du gène Oct4, facteur de transcription spécifiquement exprimé dans les cellules souches pluripotentes. De cette manière, la GFP n’est exprimée que lorsque les cellules ont retrouvé un caractère pluripotent. L’expression de ces gènes reporteurs est suivie par cytométrie en flux tout au long de la reprogrammation (Figure 12). De plus, dans ce système il est attendu que les transgènes cessent de s’exprimer graduellement lorsque les gènes endogènes commencent à s’exprimer. Ainsi, l’expression de mCherry diminuera lorsqu’une augmentation de l’expression de la GFP sera observée.

Les résultats de cette première expérience montrent que les transgènes sont exprimés de manière homogène entre le contrôle OSKM et la condition de surexpression de sht.Tuna contrairement aux conditions de surexpression de sht.Tuna_TTG (mutation du codon START en

TTG

afin d’empêcher la traduction du peptide) ou full.Tuna dans lesquelles les transgènes semblent moins exprimés (Figure

full.Tuna n’aurait pas la même « compétence » que sht.Tuna, soutenant les résultats du Chapitre 1 où il est démontré que full.Tuna est strictement neuronal. Cette différence se reflète sur l’expression de la GFP (i.e. expression de gènes de pluripotence endogènes) puisqu’au jour 14 de la reprogrammation, la surexpression de sht.Tuna permet d’obtenir une plus grande proportion de cellules reprogrammées que dans l’ensemble des autres conditions, incluant le contrôle OSKM (Figure 13.A). Ceci conforte l’hypothèse selon laquelle le peptide est essentiel à dans la fonction de sht.Tuna dans l’acquisition de la pluripotence et suggère que sht.Tuna améliorerait la reprogrammation en iPSCs.

D’autre part, une seconde expérience de reprogrammation des mNPCs a été menée afin d’adresser la spécificité de la traduction de Tuna sur l’acquisition de la pluripotence. Pour ce faire, une condition dans laquelle uniquement la région codante pour le peptide (CR1, voir Chapitre 1) a été surexprimée aux côtés des facteurs OKMS (Oct4-Klf4-Myc-Sox2). Dans ce modèle, des plasmides de type AIO (All-In-One) ont été utilisés pour s’affranchir des biais de transfections dus à l’utilisation de multiples plasmides. En effet, les plasmides comportant les séquences d’intérêts comprennent également le gène codant pour la rtTA, nécessaire à l’induction par la doxycycline des facteurs OKMS (Figure

12). Cela garanti l’expression de la séquence d’intérêt et des facteurs de reprogrammation dans les

cellules mCherry positives; la population de cellules en reprogrammation est ainsi plus homogène. Les résultats de cette expérience montrent que les transgènes sont exprimés de manière homogène dans toutes les conditions au même titre que dans le contrôle OKMS (Figure 13.B). Cette observation suggère un moindre biais de transfection et une population de cellules plus représentative. L’apparition des cellules GFP positives est plus tardive en milieu d’induction en comparaison avec le système précédent. En effet, ici les transgènes sont exprimés en plus grande proportion, inhibant l’expression des gènes endogènes. Ainsi, pour constater les différences entre les conditions il est nécessaire de changer le milieu de culture des cellules par un milieu sélectif pour les cellules pluripotentes, le 2iLIF (sans induction à la doxycycline). De cette manière, seules les cellules exprimant leurs propres gènes de pluripotence (GFP positives) pourront survivre. Ici, après 4 jours en milieu d’induction, les cellules ont été passées en milieu 2iLIF et analysées par cytométrie en flux à jours 10, 12 et 15. Une différence notable est observable à jour 15 en milieu 2iLIF, la reprogrammation est moins efficace dans la condition sht.Tuna que dans le contrôle, cependant la surexpression de CR1 a un effet similaire à celle de sht.Tuna, contrairement à la surexpression de sht.Tuna_TTG qui semble plus délétère (Figure 13.C). Ce résultat suggère que sht.Tuna n’améliore peut être pas la reprogrammation, mais il semble que la traduction, ou le peptide lui-même, soit un élément essentiel à la fonction de Tuna dans le contexte de pluripotence.

3. Conclusion du chapitre

En accord avec les précédents travaux sur Tuna73, nous avons montré que la perturbation de

son expression dans les mESCs affecte les gènes de pluripotence nécessaires à leur maintien. Ceci nous indique que Tuna est bel et bien impliqué dans la régulation de l’expression de ces gènes. Cependant, ni les résultats de Lin et al., ni nos propres résultats ne renseignent encore sur la fonction spécifique de chacune des isoformes que nous avons identifiées. Pour répondre à cette question, une des approches à envisager serait de surexprimer individuellement chacune des isoformes de Tuna dans une lignée cellulaire KD (CRISPR-i) ou KO (CRISPR/Cas9)93 pour Tuna et d’observer l’impact

sur l’expression des gènes initialement affectés par la baisse de l’expression de Tuna. Une autre approche serait de cibler chaque isoforme individuellement (exemple par CRISPR/Cas13a89 ou

ASOs90) afin d’effectuer des KD spécifiques et comparer les niveaux d’expression des gènes de

pluripotence. Ces deux approches complémentaires renseigneraient sur la fonction de Tuna dans la cellule et, plus spécifiquement, sur celle de chacune de ses multiples isoformes. Ces résultats seraient le point de départ de la caractérisation de la fonction de Tuna plus en profondeur. La suite logique serait de poursuivre par l’étude de ses interacteurs (par ChIRP et spectrométrie de masse par exemple) afin de déterminer son mécanisme d’action, à la fois dans les cellules souches de l’embryon et dans les neurones. En effet, la technique du ChIRP permet d’isoler spécifiquement des transcrits ARNs par reconnaissance de sondes ADN complémentaires biotinylées. La précipitation de ces complexes ARN/ADN par billes à la streptavidine permet leur purification ainsi que celle des différents partenaires d’interaction de l’ARN cible. Dans le cas des partenaires protéiques, la spectrométrie de masse permet par la suite d’identifier et de séquencer les chaînes polypeptidiques associées à l’ARN cible via leur temps de rétention après l’étape de chromatographie suivant la fragmentation par ionisation.

À la suite de quoi, les KD/KO de chacun des interacteurs identifiés renseigneront sur la nature de leur interaction avec Tuna et sur leur importance dans le maintien de sa fonction dans la cellule.

D’autre part, le potentiel codant de Tuna et le peptide en lui-même doivent également faire l’objet d’une attention toute particulière. En effet, nous avons montré que la traduction du peptide était potentiellement liée au rôle de sht.Tuna lors de la reprogrammation de cellules différenciées vers l’état pluripotent. Afin de poursuivre l’étude de cette particularité, il serait judicieux, dans un premier temps, d’adopter une stratégie similaire à celle mentionnée dans le paragraphe précédent. Une expérience de sauvetage par surexpression de la région CR1 (contenant l’ORF) ou introduction

dans la régulation de la pluripotence. Dans l’esprit d’une approche systématique, la localisation et les interacteurs du peptide seraient ensuite identifiés afin de déterminer dans quelle voie de signalisation/métabolique il intervient.

Pour conclure, les suggestions précédentes et les futurs travaux viseront à distinguer la fonction du transcrit de Tuna, de celle de son peptide dans l’optique de la caractérisation de sa fonction et de son mécanisme d’action dans les ESCs.

4. Figures

Figure 11 - Le knock-down de Tuna affecte l'expression des gènes de la pluripotence. Expression relative (normalisation à Rpl27 dans la condition contrôle) de Tuna et des principaux gènes de la pluripotence par RT-qPCR sur ARNs totaux de souris extraits après 2 jours d’induction (Dox) de la dCas9. Gris : contrôle (guide ARN sans cible), Rouge : guide spécifique au promoteur de Tuna.

Figure 12 - Concepts de la reprogrammation de mNPCs. Les constructions plasmidiques contenant les facteurs de reprogrammation OSKM (Oct4-Sox2-Klf4-Myc) ou OKMS (Oct4-Klf4-Myc-Sox2), le gène d’intérêt (ici Tuna), les gènes de la rtTA (induction à la doxycycline) et de la transposase (pour intégration des transgènes dans le génome des cellules). Les cellules sont transfectées à la lipofectamine (LipoStem®) un jour avant induction de l’expression des transgènes (milieu FBSLIF+Dox). L’analyse des cellules par cytométrie en flux à de multiple moments de l’expérience permet de suivre l’expression des transgènes (reporteur mCherry) et l’acquisition de la pluripotence (reporteur GFP sous le contrôle du promoteur du gène Oct4 – déjà présent dans les cellules). Les graphiques représentant l’intensité de la fluorescence par la mCherry et la GFP montrent les contrôles utilisés pour isoler les groupes de cellules mCherry-/GFP- (mNPCs) et mCherry-

Figure 13 - Le potentiel codant de sht.Tuna est essentiel à sa fonction. A) Suivi par cytométrie en flux du nombre de cellules mCherry positives (courbes rouges, axe de gauche) et GFP positives (courbes vertes, axe de droite) par microlitre rapporté à la densité cellulaire au cours de la reprogrammation de mNPCs en milieu d’induction FBSLIF+Dox. B) Suivi par cytométrie en flux du nombre de cellules mCherry positives (courbes rouges, axe de gauche) et GFP positives (courbes vertes, axe de droite) par microlitre rapporté à la densité cellulaire au cours de la reprogrammation (AIO) de mNPCs en milieu d’induction FBSLIF+Dox. C) Suivi par cytométrie en flux du nombre de cellules GFP positives par microlitre rapporté à la densité cellulaire à partir du jour 10 de la reprogrammation (AIO) de mNPCs en milieu de sélection 2iLIF (depuis le jour 4).

5. Matériel et Méthodes

5.1. Culture cellulaire

Cellules neuro-progénitrices de souris (mNPCs)

Les mNPCs sont cultivées à 37°C/5% CO2 en milieu NSCM : milieu basal N2hB27

complémenté en héparine (Sigma-Aldrich, Ref.H3393-100KU), EGF (PeproTech, Ref.AF-100-15) et b-FGF (PeproTech, Ref.100-18B-250UG). Le passage de ces cellules est réalisé tous les 2 à 4 jours sur support plastique non-pyrogénique préalablement traité au GELTREX ou à la gélatine de porc à 0,1% afin de garantir l’adhésion des cellules.

Composition du milieu N2hB27 : milieu DMEM/F12 supplémenté en N2 et insuline recombinante humaine, milieu Neurobasal supplémenté en B27 50X. Les deux milieux basaux sont utilisés à un ratio 1:1.

Traitement au GELTREX : Le mix de traitement est préparé préalablement par ajout de 100μL de GELTREX (Thermo Fisher, Ref.A1413302) à 20mL de DMEM/F12 à 4°C, à l’aide de pipettes et cônes froids afin de prévenir la polymérisation. Par la suite, 1,5mL de mix est déversé dans un puits de 2cm de diamètre et incubé 60min à RT. Le mix est ensuite aspiré avant utilisation ou conservé pour conservation à 4°C.

Passage des mNPCs : Le milieu de culture est aspiré et jeté. Les cellules sont ensuite rincées au PBS à RT afin d’évacuer le milieu résiduel. 0,5mL de TrypLE (Thermo Fisher, Ref.12604021) (pour un puits de 2cm de diamètre) est ensuite ajouté sur les cellules afin de les décoller de leur support de culture. Incubation à RT pendant 5min. Le TrypLE est ensuite inhibé par ajout de milieu DMEM 1X supplémenté de 5% de KSR. Les cellules sont ensuite collectées en tube de 15mL pour être centrifugées à 1000rpm pendant 4min. Le surnageant est jeté et les cellules resuspendues dans leur milieu de culture pour être réensemencées dans un nouveau puits de culture.

5.2. Transfection de NPCs

Les mNPCs sont ensemencées sur GELTREX (voir plus haut) à 300 000cellules/puits (2cm de diamètre) en milieu NSCM. Le lendemain les cellules sont transfectées par Lipofectamine Stem Reagent.

Transfection par LipoStem : Les mix d’ADN (2µg totaux) sont dilués par 125μL de milieu OptiMEM non supplémenté et 5μL d’agent de transfection dilué dans 125μL d’OptiMEM pour chaque condition

de transfection. Les deux mélanges sont combinés et incubés à RT pendant 10min avant d’être déversées dans les puits de culture contenant les cellules.

5.3. Reprogrammation de NPCs

Les mNPCs sont ensemencées et transfectées comme précisé précédemment. Le jour suivant (J0) le milieu est changé pour du milieu d’induction FBSLIF+Dox (milieux FBSLIF supplémenté en doxycycline (Sigma-Aldrich, Ref.D9891-1G). L’ajout de doxycycline permet d’induire l’expression des transgènes de reprogrammation. Le milieu est renouvelé tous les deux jours, les cellules sont passées lorsque la confluence permet un nouvel ensemencement et une mesure de l’expression des gènes reporteurs est réalisée par cytométrie en flux. À différents temps de la reprogrammation les cellules sont placées en milieu sélectif 2iLIF de manière à étudier leur capacité à donner de bona fide iPSCs pouvant survivre en milieu sans induction. De la même manière que pour les cellules en milieu FBSLIF+Dox, ces cellules sont caractérisées par cytométrie en flux.

5.4. Cytométrie en flux

Préparation des échantillons

Les cellules des différentes conditions à analyser sont lavées au PBS avant de subir un traitement au TrypLE. De la même manière que lors du passage de routine des cellules, le TrypLE est inhibé par DMEM+5%KSR. Après centrifugation, 4min à 1000rpm, les culots de cellules sont resuspendus dans du PBS et 200 à 500µL transférées dans des tubes Eppendorf de 1,5mL pour analyse par cytométrie en flux.

Analyse des données

Après passage des échantillons au cytomètre de flux, les données sont enregistrées au format .facs et visualisées sur le logiciel FlowJo®. Pour chaque échantillon, les cellules vivantes, les cellules « uniques » (i.e. les cellules qui seraient passées devant le détecteur plus d’une à la fois sont écartées afin d’éviter les faux positifs) sont isolées et finalement, les différents groupes de cellules sont identifiés en fonction de l’intensité de la fluorescence des protéines reportrices qu’elles expriment : mCherry-/GFP-, mCherry+/GFP-, mCherry+/GFP+ et mCherry-/GFP+. La proportion de chacun des groupes ainsi que le nombre de cellules analysé et le volume prélevé pour chacun des échantillons est exporté sur tableur pour normalisation. Les données sont normalisées à la densité cellulaire pour chacun des groupes de cellules par la formule suivante :

𝐷𝑒𝑛𝑠𝑖𝑡é 𝑐𝑒𝑙𝑙𝑢𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒 (𝑐𝑒𝑙𝑙𝑢𝑙𝑒𝑠 µ𝐿⁄ ) =𝑛𝑏 𝑑𝑒 𝑐𝑒𝑙𝑙𝑢𝑙𝑒𝑠 𝑑

𝑢𝑛 𝑔𝑟𝑜𝑢𝑝𝑒

Le développement embryonnaire donne lieu à de nombreux changements d’identité des cellules ayant pour point de départ les cellules souches pluripotentes de l’embryon. Le maintien ainsi que la différenciation des ces cellules vers les 3 feuillets embryonnaires à l’origine de la formation du nouvel organisme implique une régulation spatio-temporelle de l’expression des gènes très fine et donc très complexe, dans laquelle interviennent de multiples acteurs interconnectés : ADN, ARN et protéines. Bien que les rôles de l’ADN et des protéines soient depuis longtemps associés au contrôle de l’identité cellulaire, l’implication des ARNs dans la régulation génique en tant que molécules fonctionnelles est plus récente et comporte encore de nombreuses zones d’ombre. En effet, même si le rôle des petits ARNs non-codants (microARNs) est bien établi dans le contrôle de la stabilité et de la traduction des ARNm, les longs ARNs non-codants ont longtemps été considérés comme des déchets inertes de transcription. Or, les multiples travaux de ces quinze/vingt dernières années ont démontré que ces transcrits étaient non seulement dignes d’intérêt, mais qu’ils étaient aussi au cœur de la régulation génique et ce à tous les niveaux, grâce à leur capacité à interagir avec l’ADN, l’ARN et les protéines.

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