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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.1. La pensée historienne et l’enseignement de l’histoire

2.2.3. Les postures enseignantes

En présence des questions vives de l’histoire, les enseignants prennent des décisions souvent difficiles. Celles-ci portent sur les approches possibles ainsi que sur la posture à adopter en fonction de la divulgation de leurs perspectives.

Les approches possibles

Explorons les approches possibles, soit les décisions didactiques et pédagogiques prises par les enseignants devant les enjeux controversés. Considérons aussi les risques qu’elles comportent parfois pour l’apprentissage des élèves. La première approche possible est l’effacement. Pour de multiples raisons contextuelles, certains enseignants choisissent de soustraire la controverse de leur salle de classe (Hess, 2009). Ainsi, les passages difficiles de l’histoire semblent ne pas exister, ce qui entraine certainement des ruptures dans la compréhension des élèves. La deuxième approche possible est la neutralisation, soit l’enseignement des questions vives comme des savoirs passifs (Legardez, 2006). En histoire, cette issue est souvent la plus populaire (Seixas, 2000). Le curriculum et le matériel didactique sont neutralisés par un récit universel que les enseignants diffusent surtout de manière magistrale. Une telle pratique donne toutefois la fausse impression d’un consensus aux élèves. La troisième approche possible est la problématisation. Elle contribue à la déconstruction des obstacles épistémologiques et à la consolidation des connaissances. Nous précisons cette affirmation plus loin. Elle comporte néanmoins deux risques considérables. Le premier se produit lorsque la problématisation de la controverse n’est pas dévolue aux élèves. Il est question de la dérive normative, soit la diffusion d’un discours moralisateur (Legardez, 2006). Devant un problème, il importe que les enseignants ne dictent pas aux élèves ce qu’ils doivent penser ou ce qu’ils doivent faire (Mével et Tutiaux-Guillon, 2013). En histoire, ce danger est accentué par le présentisme, c’est-à-dire cette difficulté à se défaire des valeurs et des attitudes contemporaines lors de l’étude du passé (Wineburg, 2001). Le deuxième risque est celui de la dérive relativiste. En ce sens, la problématisation des enjeux controversés par la considération des multiples perspectives peut provoquer un débat d’opinion plutôt que des échanges qui s’appuient sur des savoirs (Legardez, 2006). Enfin, les trois approches possibles entrainent des effets différents sur l’apprentissage

des élèves. Cela dit, la seule qui contribue au développement d’habiletés intellectuelles de haut niveau est la problématisation.

Des modèles pour réfléchir aux approches possibles

Kelly (1986) propose une typologie qui permet d’identifier quatre postures que prennent les enseignants envers les enjeux controversés. Elles sont en lien avec les approches possibles que nous venons de voir. La première est la neutralité exclusive. L’enseignant qui adopte cette posture s’efface, mais efface aussi la controverse de la salle de classe. Il ne partage pas ses interprétations avec les élèves et évite les polémiques. La deuxième est la partialité exclusive. Elle suppose qu’il existe une interprétation supérieure aux autres. C’est l’enseignant qui la possède, car il est en position d’autorité. Il est question d’endoctrinement. La troisième est l’impartialité neutre. L’enseignant qui adopte cette posture ne révèle pas ses perspectives aux élèves, mais il présente les différentes positions qui existent sur un enjeu controversé. La quatrième est l’impartialité engagée. L’enseignant qui adopte cette posture doit partager ses perspectives avec les élèves, mais il doit accorder autant d’importance aux perspectives concurrentes.

Une recherche de Misco et Patterson (2007) traite des représentations des futurs enseignants de sciences sociales en ce qui concerne la liberté académique et les questions controversées. Les auteurs se servent de la typologie de Kelly pour analyser leurs résultats. Ils déterminent que les futurs enseignants favorisent un environnement d’apprentissage dépourvu de toute influence autoritaire. Ils gravitent donc autour de la neutralité exclusive et de l’impartialité neutre. Peu d’entre eux s’identifient à la partialité exclusive puis à l’impartialité engagée.

Hess (2004) dénombre quatre différentes approches qui se comparent à celles de Kelly. La première est le déni. C’est-à-dire que, pour l’enseignant, la thématique n’est pas controversée, car il existe une bonne réponse. La deuxième approche est celle de la prédilection. L’enseignant admet que la question est controversée, mais il souhaite que les élèves adoptent sa perspective. Les deux premières approches ont en commun avec la partialité exclusive qu’il existe une bonne réponse et que c’est l’enseignant qui la possède. La troisième approche est l’évitement. Il est

question de soustraire la controverse de la salle de classe. Cette approche correspond à la neutralité exclusive. La quatrième approche, c’est l’équilibre. L’enseignant présente les différentes perspectives d’une question sans en favoriser une. Cette approche correspond à la fois à l’impartialité neutre et à l’impartialité engagée.

La divulgation des perspectives

Certaines postures permettent la divulgation des perspectives des enseignants alors que d’autres la proscrivent. Kelly (1986) argumente en faveur de la posture de l’impartialité engagée. Il encourage la divulgation. Son raisonnement se décline en trois points. Premièrement, l’enseignant doit servir de témoin personnel (personal witness). Dans cette perspective, il doit être un modèle d’intégrité. C’est pourquoi il doit partager ses perspectives. Deuxièmement, l’enseignant doit être une autorité démocratique. Pour que les élèves puissent avoir une réelle expérience de la démocratie, ils doivent être confrontés à une sincère autorité démocratique. Troisièmement, l’enseignant doit être une autorité collégiale. Tout en restant une figure d’autorité, l’enseignant doit permettre qu’une relation collégiale s’installe avec les élèves. Il doit partager ses perspectives sans imposition ni condescendance.