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Chapitre 4 : Présentation des résultats

4.2. Le traitement scolaire des enjeux controversés

4.2.5. Les approches complémentaires

Différentes approches qui relèvent du paradigme critique de l’apprentissage de l’histoire s’amalgament à la discussion dans le traitement des enjeux controversés. Considérons ici l’enquête historienne et les considérations morales.

L’enquête historienne

Dans le cadre conceptuel, nous avons expliqué que les enjeux controversés sont intellectuellement complexes. Ce sont des questions pour lesquelles de multiples perspectives sont valides. Ainsi, la recevabilité des positions adverses élimine la possibilité de résolution par l’épreuve des faits. C’est pourquoi l’enquête historienne ne peut constituer la seule approche envers les passages difficiles de l’histoire. Elle peut toutefois être complémentaire. Plusieurs recherches dont nous avons parlé dans ce chapitre utilisent certaines composantes de la méthode historienne en parallèle avec la discussion.

Dans un article qui repose sur son expérience professionnelle et sur de multiples sources, McCully (2012) plaide pour le traitement scolaire des interprétations conflictuelles du passé par l’enquête historienne dans un propos de réconciliation en Irlande du Nord, car elle favorise la mise à l’épreuve des récits identitaires chargés d’émotions et d’une adversité politique. Le chercheur précise que cette approche encourage la construction des bases de l’analyse critique, la reconnaissance du caractère discursif et constructiviste des récits, le développement de l’empathie et la formation citoyenne démocratique.

Fogo et Breakstone (2019) partagent cette idée. Ils croient que l’enquête historienne est une bonne façon d’aborder les passages difficiles de l’histoire à l’école et conçoivent une leçon pour

étudier une période tumultueuse de la ville de Newark aux États-Unis. Ils admettent néanmoins la nécessité de prévoir un support académique supplémentaire en raison de l’instabilité des savoirs et proposent trois modalités. Premièrement, des questions directrices attirent l’attention des élèves sur les éléments importants. Deuxièmement, des organisateurs graphiques aident les élèves à ordonner les preuves recueillies, ce qui concentre leurs réflexions sur la question centrale. Troisièmement, une distribution par étape des documents permet aux élèves de considérer et de comparer judicieusement les différentes perspectives. Enfin, cette leçon mobilise aussi la discussion entre pairs sur les interprétations, mais son propos est surtout de développer les outils de la pensée historienne, dont l’analyse, la contextualisation et la corroboration.

Les considérations morales

La dernière contribution à ce chapitre émane des réflexions de Zembylas (2013) qui reprend la notion d’hantologie introduite par Derrida (1993) pour expliquer comment le spectre des victimes de l’histoire hante le présent. Nous le savons, les traumatismes de masse (Gross, 2013) accablent les mémoires collectives et complexifient le traitement des passages difficiles de l’histoire. Le chercheur explique que toutes les sociétés composent avec des souvenirs de périodes de violence et d’oppression au moyen de divers rituels commémoratifs, mais que les victimes sont autrement soustraites. Considérons l’exemple de la population québécoise et canadienne qui habite les terres de peuples autochtones ruinés par les régimes coloniaux et dont les fragments sont dissimulés pour ne pas outrepasser les cérémonies mémorielles. Le chercheur met en garde contre cette pédagogie du spectacle qui réduit les victimes de l’histoire à des objets de connaissance confinés dans une trame narrative. Cette approche instrumentalise la mémoire et repose sur l’étalage des faits que renferme le récit pour éviter la répétition des erreurs du passé. C’est pourquoi Zembylas (2013) propose un passage de la pédagogie du spectacle à la pédagogie de l’hantologie. Il est question d’apprendre à composer avec le spectre des victimes de l’histoire par un examen critique des entreprises mémorielles. C’est en quelque sorte une problématisation de la mémoire par une remise en question des manifestations commémoratives qui considère l’ambivalence de la mémoire, de la justice et de la réconciliation. Dans cette

perspective, la pédagogie de l’hantologie permet aux élèves de retrouver la valeur historienne des pratiques commémoratives.

Ces réflexions de Zembylas (2013) semblent correspondre à l’approche postmoderniste précisée par Seixas (2000) qui propose de remettre en question les interprétations de l’histoire et d’interroger les entreprises mémorielles. Elles reprennent aussi en d’autres termes la posture de la réaction morale introduite par Barton et Levstik (2004). Comme Zembylas, Barton et Levstik souhaiteraient engager les élèves dans un processus de considérations commémoratives pour faire face aux passages de l’histoire que tout le monde préfèrerait oublier. Les chercheurs affirment que les élèves seraient mieux outillés pour la délibération dans une société démocratique si l’espace scolaire leur permettait de discuter de la réparation des injustices et de remettre en question les pratiques commémoratives.

Enfin, les injustices historiques ne sont pas des enjeux controversés ouverts à la discussion (Hess, 2009), mais les pratiques commémoratives le sont et nous croyons comme les précédents chercheurs qu’elles doivent être abordées par la problématisation et par la discussion. Les considérations morales constituent donc une approche complémentaire à la discussion sur des enjeux historiens socialement controversés.

4.2.6. La conclusion partielle

De toutes les approches, la considération des perspectives multiples par la discussion est favorisée. Premièrement, rappelons que les enjeux controversés ne peuvent se résoudre par l’approche disciplinaire de la méthode historienne. Deuxièmement, les discussions ont des effets positifs importants pour le développement des habiletés intellectuelles, des compétences citoyennes et des connaissances. Elles doivent cependant se réaliser selon certaines caractéristiques. Elles doivent être dévolues aux élèves, accorder la liberté de leurs positions aux élèves, être bien préparées et traiter de multiples perspectives. Les enseignants doivent aussi remettre en question l’évaluation et favoriser la confiance mutuelle. Enfin, il ne faut pas oublier de considérer les angoisses des élèves quant aux discussions, soit la pression des pairs, le jugement des enseignants et la violence des histoires difficiles.