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1.4. De l’asymétrique d’information au risque moral ex-post

1.4.1. Position du problème

L’hypothèse d’information symétrique suppose que l’individu transmette à l’assureur toute l’information dont il dispose sur son état de santé. Nous constatons aisément qu’un système qui reposerait uniquement sur la bonne foi de l’assuré n’est pas viable, puisque celui-ci a toujours intérêt à se déclarer dans l’état de santé le plus mauvais afin de bénéficier du plus haut niveau de remboursement, autrement dit, du transfert de revenu le plus avantageux. Ainsi, si l’assuré est dans l’état :l< 2, il va juger plus profitable de se déclarer dans l’état 2 (le pire) afin de bénéficier du transfert de revenu E?. H}∗ au lieu de E?. H9o, le montant qui lui aurait été versé s’il n’avait pas majoré son niveau de sévérité. Le supplément de ressource E?. AH}∗− H9oB lui permettra de consommer plus de biens et services médicaux et non médicaux. Il se fera donc systématiquement verser la somme E?. H}∗. Or, cette somme est strictement supérieure à la prime, l’assureur va donc subir un déficit.

Une manière de solutionner ce problème consiste à supposer qu’il existe un expert médical indépendant qui estime l’état de santé de l’individu et le transmet à chacune des deux parties. Pour que ce mode de transmission de l’information fonctionne de manière symétrique, il semble important que la fonction d’expertise soit dissociée de celle de producteur de soins. En pratique ce sont les mêmes agents qui réalisent l’expertise, sous la forme d’un diagnostic, et qui exécutent la prestation découlant de l’expertise, sous la forme d’une offre de soins8. Dans ce cas, le professionnel de santé peut avoir intérêt à favoriser une des deux parties, a priori celle dont dépend sa rémunération. Dans le cas d’une collusion avec l’assureur, il a tout intérêt à minorer la sévérité de la pathologie de l’individu de manière à ce que l’assureur verse moins de prestations. Dans le cas d’une collusion avec l’assuré, il a au contraire intérêt à majorer le niveau de sévérité de manière à ce que l’assuré bénéficie d’un supplément de prestations.

Ne pouvant pas se baser directement sur l’état de santé pour verser les prestations, l’assureur va offrir des remboursements conditionnels aux consommations médicales. Puisque par nature ces consommations ne sont connues qu’une fois qu’elles sont réalisées, l’assureur effectue ses remboursements après que l’individu ait décidé de la quantité de soins H9 qu’il va consommer. A la différence de ce qui se passe en information symétrique, les remboursements ne peuvent par nature qu’être reliés aux consommations médicales et non à l’état de santé. Ces remboursements viennent

8 Ce problème est commun à d’autres professions, telles que celle de conseiller patrimonial qui conseil les

donc diminuer le coût des soins au moment de leur achat, modifiant les consommations de soins par effet prix.

Le séquençage du comportement de l’assuré en information asymétrique est donné dans le graphique 1.4-i ci-dessous. Dans ce schéma, b représente la fonction de remboursement en fonction de la quantité de soins consommés Vc la prime associée à b et H9# la demande de soins des individus en information asymétrique. Cette demande sera étudiée précisément dans la partie 1.5.

Graphique 1.4-i : séquençage du comportement de l’assureur et de l’assuré sur la période [0,T] sur laquelle court le contrat, en information asymétrique

La baisse du coût apparent des soins induite par l’assurance santé en situation d’information asymétrique génère un comportement dit d’ « aléa moral ex-post ». De manière générale, l’adoption, de comportements d’aléa moral résulte de deux ingrédients :

• d’une part, une incitation pour l’assuré à accroître son risque financier ; l’individu se retrouve face à des choix qui lui apportent de l’utilité mais qui accroissent le risque financier.

• D’autre part, une impossibilité pour l’assureur de sanctionner ces comportements d’accroissement du risque en augmentant de manière individuelle les primes ; en effet, en situation d’information asymétrique, l’assureur est incapable d’observer les comportements des individus ex-ante la réalisation du risque et leur état ex-post. Il est donc dans l’incapacité de juger si une consommation fréquente ou une dépense élevée est justifiée ou non.

Le risque moral désigne donc le fait que face à la possibilité d’actions dont il retire de l’utilité mais qui accroît son risque financier, l’individu choisit d’adopter ces actions car leurs conséquences financières directes (les dépenses dont l’individu doit s’acquitter au moment de l’achat des soins)

sont partiellement réduites ou totalement supprimées par la couverture assurantielle. Dionne (1981) rappelle qu’il existe deux catégories de risque moral dans la littérature sur l’assurance :

Le risque moral ex-ante qui est défini selon Dionne comme la réduction de la part de l’assuré des actions d’autoprotection. En effet, ces actions sont difficiles à observer par l’assureur, celui-ci ne peut donc pas faire varier la prime en fonction des efforts de l’assuré : l’assuré est donc moins incité à pratiquer des efforts d’autoprotection.

Le risque moral ex-post est défini comme l’accroissement des consommations des biens et services couverts par l’assurance due à la diminution du prix de ces biens et services au moment de leur achat. L’assurance subventionne les soins des personnes qu’elle couvre ; par rapport au cas où ils ne sont pas couverts, les assurés consomment un supplément de soins qu’elles valorisent en deçà de leur coût réel, mais au-delà du prix payé au moment de leur achat. L’assureur est dans l’impossibilité de déterminer l’état de l’individu, il peut juste observer les consommations générées par cet état. Il s’agit exactement du contexte que nous considérons et que nous avons décrit dans le graphique 1.4-i.

Dans les deux cas, le coût de l’action entrainant un surcroît de consommation est sous-estimé par les individus, du fait des remboursements opérés par l’assurance. Or, si l’assureur est incapable de déterminer précisément quels individus surconsomment, sa connaissance statistique lui permet de déterminer quel sera le montant de la dépense associée à ces surconsommations sur l’ensemble de son pool. Il peut donc se prémunir contre un risque de perte en accroissant la prime de l’ensemble des assurés. Via cette augmentation de prime, les assurés payent donc finalement l’intégralité du coût de leur surcroît de consommations, alors même qu’ils valorisent ce surcroît de consommation en dessous de ce coût. Les individus allouent ainsi trop de ressources à leurs soins et pas assez aux autres biens et services, ce qui correspond à un phénomène d’inefficience allocative (voir partie 2.6.1). Il y a perte de surplus collectif, perte que nous étudierons dans la partie 2.6.2.

Si cette situation est problématique, pourquoi les individus adoptent ils ce comportement de risque moral ? L’explication tient à un phénomène de dilemme du prisonnier : Pauly (1968) souligne que tous les individus auraient intérêt à coopérer en maintenant leurs consommations de soins au niveau atteint avant la souscription de la couverture. Cependant, ils reçoivent un supplément d’utilité en consommant plus, et ils ne supportent individuellement qu’une part très faible du coût de cette surconsommation, le reste étant transféré aux autres assurés (risk spreading entraînant une externalisation du coût du supplément de consommations de soins sur l’ensemble de la population). Par conséquent, l’individu n’a pas intérêt à effectuer un effort de modération de ses consommations. Dowd (1982) détail le « jeu » auquel sont confrontés les individus et l’équilibre de Nash qui en

découle. Il insiste sur le fait que les individus considèrent la prime comme un coût fixe déterminé de manière exogène, indépendant de leur niveau de consommation personnel.

Le risque moral ex-ante, qui se traduit par une augmentation de la probabilité de développer une pathologie, est à la source de nombreux modèles dans les domaines du risque moral et de la théorie de l’agence (cf par exemple Arnott et Stiglitz 1988, Henriet et Rochet 1991, Laffont et Martimort, 2009) mais il est considéré comme marginal dans le domaine de l’assurance santé du fait de l’importance des coûts non monétaires (temps de trajet, d’attente chez le médecin, augmentation du risque de décès, des incapacités, douleur) non couverts par l’assurance santé (Bardey et al, 2002). Le risque moral ex-post en revanche est une problématique prégnante du fait de la multitude des sources d’asymétrie d’information concernant le coût des soins (nature et niveau de gravité de la pathologie, mais également efficacité du traitement) ; il s’agit d’n enjeu important en termes d’efficience du système de santé, enjeu qui se traduit par de nombreux travaux sur ce sujet (cf Zeckhauser, 2000).