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La position économique et sociale des travailleurs précaires : disparités face à la

1. La montée du travail précaire : un phénomène ancré dans le contexte économique et

1.2. Travail précaire : le rôle du droit dans la précarisation

1.2.1. La position économique et sociale des travailleurs précaires : disparités face à la

Il est difficile de situer les causes à l’origine de la précarité car celles-ci sont multiples et, en bonne partie, de nature structurelle. Sont souvent citées : la recherche de flexibilité et de rentabilité à court terme de la part de l’employeur, la sous-traitance, les délocalisations, les privatisations, etc.

Or, le droit doit normalement jouer un rôle protecteur afin de sanctionner les abus de certains modes organisationnels. Il arrive cependant que certaines personnes se trouvent

143 Luc CLOUTIER-VILLENEUVE, « Évolution de l’emploi atypique au Québec depuis 1997 », (2014) 15-3 Flash-Info

incapables dans les faits de mettre en œuvre leurs droits. Quand bien même la loi leur offre une protection, certains travailleurs, « en raison de leur vulnérabilité, manquent souvent des moyens, de la confiance ou des connaissances nécessaires pour faire respecter leurs droits »144. Cette section s’intéresse à ces dernières situations, c’est-à-dire aux situations où les caractéristiques mêmes des personnes peuvent constituer un obstacle à l’application de la loi, par exemple, du fait de la méconnaissance de la langue, du manque de temps, du manque de ressources, parfois même de la peur d’être déporté, etc. Le droit du travail ayant justement pour rôle de protéger ces travailleurs, il apparaît primordial d’examiner si le droit réussit à atteindre cet objectif dans le contexte des nouvelles réalités du travail.

Or, les lois du travail ayant été conçues afin de s’appliquer au travail typique, semblent inadaptées aux contraintes actuelles. Par leur inadaptation, ces lois deviennent de moins en moins efficaces et, de ce fait, contribuent à la précarisation de certains emplois. En effet, tel qu’exposé plus haut, les différents régimes de protection ont été élaboré dans le contexte d’une société fordiste, période où la croissance économique nourrissait un marché de l’emploi constitué presqu’exclusivement d’emplois à temps plein et permanents. Dans l’entreprise classique, l’entrepreneur cherchait à intégrer sous sa direction l’ensemble des facteurs productifs, dont le travail humain, qui était alors plus stable. Par le fait même, cette stabilité permettait le rattachement d’un ensemble de protections à la condition de travailleur dépendant, soit la constitution d’un statut salarial145. Dans la nouvelle économie, l’entreprise recherche davantage de flexibilité, ce qui mène à une « logique de contractualisation », une logique selon laquelle les rapports sont davantage prescrits par les liens contractuels que par la loi. Par la voie de diverses déclinaisons contractuelles, avec pour seule limite la volonté des parties, l’employeur peut multiplier les formes d’emploi et transformer plusieurs emplois typiques en emplois atypiques (qui constituent aujourd’hui plus du tiers des emplois)146.

Dans ce contexte, le droit atteint-il les personnes qui en ont réellement besoin et leur assure-t-il un accès aux différents régimes offerts par l’État? En d’autres termes, des disparités sociales et économiques viennent-elles freiner l’accès de certains à des droits ou bénéfices offerts à d’autres? Il semble bien que ce soit le cas car la position économique et sociale de certains

144 COMMISSION SUR LEXAMEN DES NORMES DU TRAVAIL FÉDÉRALES (CANADA) et H. W. ARTHURS, préc., note 4,

p. 29.

145 A. SUPIOT, préc., note 11, p. xviii.

146 Pierre VERGE, Gilles TRUDEAU et Guylaine VALLÉE, Le droit du travail par ses sources, Montréal, Québec,

travailleurs peut mener à la « défaillance législative »147. Ceci peut s’expliquer par les rapports de force au sein du marché et par l’absence de participation de certains travailleurs « in the design, content, and extent of implementation of regulation »148. Pour savoir si une loi est efficace149, il faut porter une attention particulière au contexte du marché du travail, caractérisé par une diversité croissante (parfois intersectionnelle)150. C’est qu’en effet, « [l]’égalité de traitement des travailleurs plus vulnérables constitue […] l’un des grands défis actuels de notre époque »151. Il arrive parfois que l’existence d’un droit ne constitue pas « ipso facto, une protection contre les conséquences multiples de son exercice » puisqu’il faut tenir compte des réalités sociales qui font en sorte que « les travailleurs et travailleuses soumis à la précarité ne peuvent pas, bien souvent, exercer leurs droits même si ces droits existent sur papier »152.

Tel que l’explique, la professeure Patricia Hugues :

It is not sufficient that work be covered by protective legislation, however; it is at least equally important to know about the compliance mechanisms and enforcement processes. Complaint-based enforcement is not suitable for people in precarious work: not only might they lack the knowledge and skills to make a complaint, they may be particularly fearful of losing their job. They may be concerned about immigration authorities and repatriation.153

Dans certaines circonstances, l’absence de dispositions claires, qui laissent voir que le droit est applicable aux travailleurs atypiques, fait en sorte que ce droit est plus difficile à exercer154. En effet, l’absence de dispositions spécifiques aux travailleurs atypiques peut parfois être une source d’incertitude quant à l’applicabilité du droit ou parfois rendre l’application du droit trop coûteuse. Par exemple, certains travailleurs, qui sont embauchés par des agences de

147 « Regulatory Failure » : Stéphanie BERNSTEIN, Katherine LIPPEL, Eric TUCKER et Leah F. VOSKO, « Precarious

Employment and the Law’s Flaws: Identifying Regulatory Failure and Securing Effective Protection for Workers », dans Precarious Employment: Understanding Labour Market Insecurity in Canada, Montreal & Kingston, McGill- Queen’s University Press, 2006, p. 203 à 220.

148 Id., p. 210.

149 Pour Guy Rocher, l’efficacité, c’est la façon dont le droit a des effets qui correspondent à l’intention de celui qui

le fait, du législateur par exemple. Guy ROCHER, Yan SÉNÉCHAL, UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL et CENTRE DE RECHERCHE EN DROIT PUBLIC, Études de sociologie du droit et de l’éthique, 2016, p. 303 à 320; Gilles TRUDEAU,

« La contractualisation du droit des relations professionnelles: une illustration des tendances nord-américaines », dans La contractualisation du droit social, coll. Actes du Séminaire international de droit comparé du travail, des relations professionnelles et de la sécurité sociale de Bordeaux, Université Montesquieu-Bordeaux IV, p. 55 à 83.

150 L. F. VOSKO, préc., note 122, p. 30.

151 COMMISSION SUR LEXAMEN DES NORMES DU TRAVAIL FÉDÉRALES (CANADA) et H. W. ARTHURS, préc., note 4,

p. 21.

152 Katherine LIPPEL, « Face aux conséquences de la flexibilisation de l’emploi: les solutions juridiques et leurs

limites », dans L’incessante évolution des formes d’emploi et la redoutable stagnation des lois du travail, Sainte- Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 45‑52, p. 48.

153 P. HUGHES, préc., note 136, p. 183.

placement et travaillent dans un autre établissement peuvent douter de l’identité de leur véritable employeur. Ce doute pourrait décourager certains travailleurs à rechercher la mise en œuvre de leurs droits et, dans l’éventualité où ils le tentent, le débat pourrait s’avérer plus long et plus coûteux. Par ailleurs, certains travailleurs peuvent être induits en erreur sur leur véritable statut, si par exemple leurs employeurs leur affirment qu’ils sont travailleurs autonomes alors que dans les faits ils sont salariés. Ceux-ci croiront ainsi faussement que les lois du travail ne s’appliquent pas à eux.

Il faut alors se préoccuper de cette diminution de la capacité des travailleurs de se prévaloir des droits dont ils sont pourtant détenteurs autant que de l’état du droit positif si nous voulons que le droit du travail réponde à ses objectifs155. Dans l’état actuel du droit, il n’existe aucune disposition qui cherche à garantir aux travailleurs atypiques un traitement égal ou même équitable par rapport aux autres. Au contraire, la loi, par la voie d’exclusions, certaines volontaires, d’autres non, crée des obstacles qui nuisent à leur protection tel que nous l’analysons dans la section suivante.

Il est vrai que certaines lois, comme par exemple la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, contiennent des dispositions visant les emplois atypiques spécifiquement, mais celles-ci sont rares. Par conséquent, l’inadaptation des mécanismes d’application des lois du travail aux réalités du travail atypique, fait que ces lois ne protégeront pas aussi bien les travailleurs atypiques.

1.2.2. Un droit inadapté aux nouvelles formes d’emploi : disparités « dans »