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Obligation positive dans le contexte de l’ensemble des autres droits et libertés

Dans le document Le travail précaire, les femmes et le droit (Page 142-150)

3. Le travail précaire : un phénomène discriminatoire

3.2. La question de l’obligation positive

3.2.1. Obligation positive dans le contexte de l’ensemble des autres droits et libertés

Comme mentionné précédemment, la Cour suprême a reconnu par le passé, que dans certaines circonstances, une obligation positive incombait à l’État. L’absence d’intervention gouvernementale peut effectivement porter atteinte à un droit ou empêcher la jouissance d’une liberté.

Cette question a surtout été étudiée dans le contexte de la liberté d’association. En effet, depuis l’arrêt Dunmore, plusieurs ont repris l’argument selon lequel la liberté d’association peut être entravée par le défaut par l’État de légiférer de manière inclusive. Le gouvernement peut alors être tenu de créer un cadre législatif142. Ainsi, cet arrêt soulève la question suivante : pour que la liberté syndicale ait un sens, l’al. 2d) de la Charte impose-t-il à l’État l’obligation positive d’étendre la protection légale à des groupes non protégés143? Pour la première fois, la Cour suprême reconnaît une telle obligation dans cet arrêt.

Or, cette obligation positive pour l’État de faire en sorte que ses lois soient dûment inclusives ne s’applique pas en toutes circonstances. La Cour balise cette possibilité de reconnaître une obligation positive, dans un contexte extérieur au par. 15(1), en établissant un critère fondé sur la jurisprudence. Premièrement, les arguments fondés sur la non-inclusion doivent reposer sur des libertés fondamentales garanties par la Charte et non sur l’accès à un régime légal précis144. Deuxièmement, la preuve doit démontrer que l’absence de l’intervention gouvernementale est à l’origine d’une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée. Cet exercice doit être sensiblement limité, sans avoir à être rendu totalement impossible145. Il faut alors porter une attention particulière à la distinction qui existe entre les groupes qui sont assez forts pour défendre leurs intérêts sans le secours d’une législation et ceux qui n’ont aucun moyen de protéger leurs intérêts, si ce n’est le droit d’abandonner leur emploi146. Troisièmement, il faut que cette entrave ait un lien avec l’État et non seulement avec un acte privé147. Pour ce faire, l’exclusion ne doit pas simplement avoir pour effet de permettre des atteintes privées à

142 Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, préc., note 69;

Ontario (Procureur général) c. Fraser, [2011] 2 R.C.S. 3.

143 Dunmore c. Ontario (Procureur général), préc., note 42, par. 20. 144 Id., par. 24.

145 Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), préc., note 99, 361; Dunmore c. Ontario

(Procureur général), préc., note 42, par. 25.

146 Dunmore c. Ontario (Procureur général), préc., note 42, par. 41. 147 Id., par. 35.

leurs libertés fondamentales, mais de les renforcer considérablement. À cet égard, le contexte de l’affaire joue pour beaucoup.

En effet, comme vu plus haut, la conclusion de la Cour est en partie motivée par la situation particulièrement vulnérable des travailleurs agricoles, mais également par le fait que cette décision survient dans le contexte des relations de travail. La Cour se demande effectivement « si la distinction entre obligations positives et négatives de l’État doit être nuancée dans le contexte des relations de travail, en ce sens que l’exclusion des travailleurs agricoles de l’application d’un régime de protection contribue substantiellement à la violation de libertés protégées »148.

Pour sa part, la juge L’Heureux-Dubé écrit que dans le contexte concret du marché du travail, l’omission du législateur de préciser un régime qui définit les activités associatives qui doivent être protégées contre les représailles des employeurs a un effet paralysant sur les travailleurs agricoles149. Cet effet trouve son origine dans la crainte d’être pénalisé, ce qui peut décourager certaines personnes à exercer un droit constitutionnel. En somme, dans une démocratie constitutionnelle, et plus particulièrement dans le contexte particulier des relations de travail, « il ne suffit pas de protéger les libertés fondamentales contre les mesures de l’État : il faut leur assurer un « espace vital » »150.

Les arrêts Health Services151 et Fraser152 sont par la suite venus confirmer cette interprétation de la Cour suprême en ce qui a trait à l’obligation positive. L’arrêt Health Services portait sur l’inclusion de la négociation collective dans la liberté d’association garantie à l’al. 2d) de la Charte. Ainsi, cet arrêt cite plusieurs principes énoncés dans Dunmore dont il reprend certaines conclusions, notamment celle qui énonce « qu’en certaines circonstances l’al. 2d) peut imposer aux gouvernements des obligations positives destinées à étendre la protection légale à des groupes particuliers »153. Cette protection légale doit tenir compte du fait que la liberté d’association ne possède pas seulement un caractère théorique et commande un « processus » qui

148 Id., par. 20. 149 Id., par. 148. 150 Id.

151 Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, préc., note 69. 152 Ontario (Procureur général) c. Fraser, préc., note 142.

153 Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, préc., note 69,

permet véritablement la poursuite d’objectifs communs liés au travail154, bien qu’elle n’impose pas de processus particulier.

L’arrêt Fraser, qui portait également sur le droit à la négociation collective, confirme l’interprétation des deux arrêts précédents à l’égard de l’obligation positive. En effet, le droit à la négociation collective, qui dérive de la liberté d’association, peut obliger l’État à prendre des mesures concrètes155. La juge en chef McLachlin, en effectuant un retour sur l’incidence de Dunmore, énonce que la réparation pour la violation de la liberté d’association consiste à ordonner à l’État de modifier le régime législatif de manière à rendre possible l’exercice véritable d’une activité associative156. Plus concrètement, dans le cadre de l’al. 2d), cela implique pour l’État de devoir imposer des obligations légales à l’employeur afin d’assurer une négociation de bonne foi157.

De plus, en réponse aux arguments du juge Rothstein, en désaccord quant à la portée constitutionnelle de la liberté d’association, la juge McLachlin cite le juge Bastarache dans Dunmore à propos de l’utilité de nuancer la distinction entre obligations positives et négatives de l’État dans le contexte des relations de travail158. La juge en chef cite également la juge L’Heureux-Dubé qui soutenait dans l’arrêt Haig que « les distinctions entre « libertés » et « droits » et entre droits positifs et droits négatifs ne sont pas toujours nettes ni utiles ». Il est plus juste d’adopter une approche destinée à la réalisation de l’objet de la loi159. En effet, dans cet arrêt, la Cour suprême reprenait les motifs dissidents du juge Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.) en soumettant qu’une conception trop étroite de la nature des « libertés » risque de porter sensiblement atteinte à la jouissance de libertés fondamentales160. Suivant cette approche fondée sur l’objet, « il pourrait se présenter une situation dans laquelle il ne suffirait pas d’adopter une attitude de réserve pour donner un sens à une liberté fondamentale, auquel cas une mesure gouvernementale s’imposerait peut-être »161.

Pour en revenir à l’arrêt Fraser, une analyse de la divergence entre l’opinion des juges majoritaires et l’opinion du juge Rothstein dans cet arrêt révèle que cette divergence semble

154 Id., par. 29.

155 Ontario (Procureur général) c. Fraser, préc., note 142, par. 68. 156 Id., par. 33.

157 Id., par. 73. 158 Id., par. 68.

159 Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995, par. 1039. 160 Haig c. Canada, préc., note 159.

plutôt dériver du fait que ce dernier ne croit pas que la négociation collective découle véritablement de la liberté d’association. Il s’agit d’un désaccord quant à la portée constitutionnelle accordée à la liberté d’association dans l’arrêt Health Services, c’est-à-dire que je juge ne croit pas, contrairement à la majorité, que les deux sont inextricablement liés162. Il s’agit là de son argument principal puisque le juge Rothstein reconnaît la notion d’entrave substantielle énoncée dans l’arrêt Dunmore dans la mesure où il s’agit de protéger la capacité de former une association163. Cette reconnaissance signifie qu’il n’est pas, fondamentalement, en désaccord avec l’idée que, dans certaines circonstances, une liberté puisse générer une obligation positive. C’est pourquoi il « concède que dans des « circonstances exceptionnelles » (Dunmore, par. 21 ; Delisle, par. 33), une liberté garantie par la Charte peut obliger l’État à prendre des mesures positives »164.

Quelques années plus tard, en 2015, une trilogie d’arrêts vient confirmer la portée reconnue à la liberté d’association dans un contexte de travail et l’étend au droit de grève : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)165 (l’affaire APMO), Meredith c. Canada (Procureur général)166, Sask. Fed. of Labour c. Saskatchewan167. Dans l’affaire APMO, la Cour suprême déclare l’inconstitutionnalité du régime de relations du travail s’appliquant aux membres de la GRC et leur exclusion du régime général, et écarte ainsi l’arrêt Delisle qu’elle avait rendu dans un même contexte en 1999168. Dans les motifs concourants de ce dernier arrêt, la juge L’Heureux-Dubé ouvrait la porte à la reconnaissance d’une obligation positive, s’appliquant aux gouvernements, de fournir une protection législative contre les pratiques déloyales de travail en raison de la vulnérabilité inhérente des employés aux pressions de leurs employeurs169. Dans l’arrêt APMO, la Cour fait également mention de cette condition inhérente du salarié et demande à ce que la protection accordée par l’al. 2d) de la Charte s’interprète en tenant compte du déséquilibre des forces en présence :

Pour récapituler, l’al. 2d) protège contre une entrave substantielle au droit à un processus véritable de négociation collective. Historiquement, les travailleurs se sont associés pour « faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force de

162 Ontario (Procureur général) c. Fraser, préc., note 142, par. 194. 163 Id., par. 154.

164 Id., par. 193.

165 Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 3. 166 Meredith c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 125.

167 Sask. Fed. of Labour c. Saskatchewan, [2015] 1 R.C.S. 245. 168 Delisle c. Canada (Sous-procureur général), préc., note 71. 169 Id.

ceux avec qui leurs intérêts interagissaient et, peut- être même, entraient en conflit », c’est-à-dire leur employeur (Renvoi relatif à l’Alberta, p. 366). La garantie prévue à l’al. 2d) de la Charte ne peut faire abstraction du déséquilibre des forces en présence dans le contexte des relations du travail. Le permettre reviendrait à ne pas tenir compte « des origines historiques des concepts enchâssés » à l’al. 2d) (Big M Drug Mart, p. 344). Portera donc atteinte au droit à un processus véritable de négociation collective tout régime législatif qui prive les employés de protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives.170

Finalement, deux décisions récentes du Tribunal administratif du travail (ci-après « T.A.T. ») traitent de la liberté d’association par le biais d’une analyse de la constitutionnalité de l’exclusion des cadres de la définition de salarié aux fins de l’application du Code du travail171. Le T.A.T. passe en revue la jurisprudence en matière de liberté d’association et cite les passages de l’arrêt Dunmore qui énoncent que, dans certains cas, si une entrave substantielle est constatée, l’État peut avoir une obligation positive de protéger la liberté d’association. Ainsi, à l’argument de la Procureure générale du Québec selon lequel, sauf exception, l’État n’a pas une obligation positive afin de permettre l’exercice d’une liberté garantie, mais uniquement un devoir de non-ingérence, le T.A.T. répond qu’il considère que l’exclusion des cadres de la définition de salarié n’intervient pas dans un vide juridique172. Le T.A.T. conclut donc que les associations ne demandent pas à l’État d’intervenir positivement en adoptant une mesure, mais de s’abstenir de s’ingérer dans leur rapport de force par cette exclusion. Au surplus, le T.A.T. énonce que « même si l’on considère que les associations demanderesses requièrent une action positive de l’État, le Tribunal en arriverait à la même conclusion » puisqu’elles ne cherchent qu’à pouvoir exercer leur droit à un véritable processus de négociation collective. C’est ainsi leur incapacité à le faire en raison de leur exclusion du Code en l’absence de tout autre régime législatif qui constitue une entrave substantielle173.

170 Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), préc., note 165, par. 80. 171 Association des cadres de la Société des casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc., préc., note

136; Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec (APCPNHQ) et Hydro-Québec, préc., note 136. Au moment d’écrire ces lignes, ces décisions faisaient l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire auprès de la Cour supérieure du Québec : Société des casinos du Québec c. Tribunal administratif du travail, 2017 QCCS 2525 (demande de sursis des procédures pendantes devant le T.A.T. accordée).

172 Association des cadres de la Société des casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc., préc., note

136, par. 374. Le T.A.T. cite d’ailleurs à cet égard l’arrêt : Confédération des syndicats nationaux c. Québec

(Procureur général), préc., note 63.

173 Association des cadres de la Société des casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc., préc., note

L’État a, par conséquent, une responsabilité dans l’entrave substantielle, même si des acteurs privés y ont contribué174. Encore une fois, le fait que l’obligation positive soit invoquée dans un contexte de relations de travail a eu son importance : l’argument selon lequel les cadres doivent être envisagés comme un groupe d’employés privilégiés doit être nuancé dans ce contexte puisqu’en tant que salariés, ils sont vulnérables. À cet égard, l’expert agissant pour les associations de cadres, le professeur Michel Coutu observait que les conditions de travail des cadres présentaient une certaine précarisation liée « aux pressions engendrées par la mondialisation économique, la concurrence accrue entre les entreprises et les conséquences de leur restructuration quasi permanentes, de même que les difficultés budgétaires que connaît l’État »175.

La question de l’obligation positive a également été étudiée dans l’arrêt Gosselin par la juge Arbour dans une dissidence éclairante176. Dans cet arrêt, l’appelante, une bénéficiaire d’aide sociale, contestait la validité constitutionnelle du régime d’aide sociale fixant le montant des prestations versées aux bénéficiaires de moins de trente ans au tiers de celui des prestations offertes aux trente ans et plus. L’appelante plaidait que le régime d’aide sociale en vigueur en 1984 contrevenait ainsi au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » prévu à l’article 7 ainsi qu’au droit à l’égalité.

Avant de traiter de la position adoptée par la juge Arbour, il convient de rappeler que huit des neuf juges choisissent de ne pas se prononcer sur la possibilité que l’article 7 puisse forcer l’État à intervenir afin d’accorder le droit à des prestations d’aide sociale, soit une obligation de type positive. En effet, il s’agit d’une question fort controversée puisqu’un courant important soutient que l’article 7 ne peut servir de base à une obligation d’agir de la part de l’État en ce qui a trait à des intérêts purement économiques ou financiers177. Dans l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général)178, la Cour suprême a toutefois jugé que les dispositions qui prohibent le recours à l’assurance privée pour les services couverts par le régime public de santé portaient atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité dans la mesure où le régime public n’est pas en état de garantir un accès efficace aux soins. Dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur

174 Id.

175 Id., par. 63.

176 Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429. 177 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 12, p. 1155. 178 Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791.

général)179, la Cour a jugé, dans ce même esprit, que l’interdiction de recourir à l’aide médicale à mourir portait atteinte aux droits prévus à l’article 7. Ces deux décisions obligeaient ainsi, implicitement, les législatures concernées à réformer les lois en question afin de respecter ce droit fondamental.

La juge Arbour aborde quant à elle cette question de front, et conclut que l’article 7 impose à l’État l’obligation positive d’assurer à ses citoyens la protection élémentaire en ce qui touche la vie, la liberté et la sécurité des personnes. Pour en arriver à cette conclusion, elle applique le critère à trois volets développé dans Dunmore afin de reconnaître qu’une mesure législative, en raison de sa portée trop limitative, viole la Charte. Elle conclut que les trois conditions sont remplies étant donné que, premièrement, ce qui est en jeu n’est pas l’exclusion d’un régime légal précis, mais les droits fondamentaux des demandeurs à la sécurité de leur personne et à la vie. Deuxièmement, elle conclut que la preuve établit que cette sécurité physique et psychologique est sérieusement compromise et, troisièmement, que cette atteinte est directement reliée à l’exclusion des jeunes adultes du plein bénéfice des avantages du régime d’aide sociale.

Son analyse se structure en deux étapes : dans la première, elle démantèle les barrières à la reconnaissance de la dimension positive de l’article 7 et, dans la seconde, elle se base sur une analyse téléologique, textuelle et contextuelle de la Charte pour justifier cette dimension positive.

La juge Arbour énonce d’abord que rien ne s’oppose à la reconnaissance de droits économiques. Le droit revendiqué par l’appelante ne s’apparente en rien à un droit de propriété180, mais est plutôt lié « à des considérations touchant fondamentalement à la santé d’une personne [...] et même, à la limite, à la survie de cette personne »181.

En ce qui a trait à l’emplacement de l’article 7 dans la section des garanties juridiques, la juge considère qu’il ne s’agit pas là d’un élément déterminant de l’interprétation de cet article. Interpréter restrictivement un droit garanti sur cette base serait incompatible avec une interprétation libérale et téléologique de la Charte182.

179 Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331. 180 Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927. 181 Gosselin c. Québec (Procureur général), préc., note 176, par. 311. 182 Id., par. 314 et s.

La juge écarte ensuite la prétention selon laquelle l’article 7 n’accorde que des droits négatifs, à savoir des garanties de non-intrusion, et que, par conséquent, il ne saurait entrer en jeu en l’absence de mesure étatique positive183. La juge considère, au contraire, que l’article 7 comporte une garantie d’« intervention », ce qui signifie que les droits qui y sont consacrés sont susceptibles de violation du seul fait de l’inaction de l’État ou du défaut de celui-ci de pourvoir activement à la mise en place des conditions nécessaires à leur respect.

De l’avis de la juge Arbour, le concept de « deprivation », évoqué dans le texte anglais de l’article 7, est suffisamment large pour englober les privations dont l’effet est d’ériger des obstacles à la réalisation d’un objectif184. Pour l’État, l’obligation d’agir en contexte législatif, pourrait naître de la décision de légiférer d’une manière non inclusive. À cet égard, la juge énonce qu’il ne sera pas requis « que la mesure étatique soit de nature à constituer une cause déterminante de la violation d’un droit, mais simplement qu’il s’agisse d’une mesure qui « crée » ou fasse naître une obligation d’agir de la part de l’État »185. Ce faisant, les tribunaux ne dicteront pas comment répartir des ressources limitées, c’est-à-dire qu’ils ne détermineront pas ce que l’État doit faire. Ils détermineront plutôt si l’article 7 peut servir de fondement à l’obligation d’intervenir afin de fournir des moyens élémentaires de subsistance aux personnes incapables de subvenir à leurs besoins186.

Ces obstacles écartés, la juge Arbour passe à la seconde étape de son analyse et adopte une approche textuelle, téléologique et contextuelle afin d’interpréter l’article 7. La juge confère alors à ce droit une dimension positive. Premièrement, la juge est d’avis que le texte de l’article 7 démontre qu’il accorde une protection plus large que celle qu’il ne soit porté atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Cette protection élargie serait susceptible de violation par la simple inaction de l’État.

Deuxièmement, l’analyse téléologique exige d’adopter une interprétation libérale plutôt que formaliste qui vise à réaliser l’objet d’une garantie et assurer pleinement la protection187. Ainsi, il serait erroné d’interpréter le droit à la vie de l’article 7 seulement comme une protection contre la peine de mort. Une telle interprétation viderait ce droit de tout contenu utile, ce qui

183 Id., par. 319 et s. 184 Id., par. 321. 185 Id., par. 328. 186 Id., par. 330 et 332.

risquerait de miner la cohérence et l’objet de la Charte dans son ensemble, le droit à la vie constituant la condition sine qua non de la possibilité de jouir de tous les autres droits garantis188.

Dans le document Le travail précaire, les femmes et le droit (Page 142-150)