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Poséidon Gaièochos : le Teneur de terre

B. Le garant de la stabilité

1. Poséidon Gaièochos : le Teneur de terre

Attestée dans nos sources littéraires depuis Homère, l'épithète poséidonienne Gaihvoco"156 qualifie fréquemment le dieu sous la plume du

Poète et, comme pour ses homologues telluriques, devient une invocation tellement usuelle qu'elle suffit à l'identifier157. C'est une appellation qui a

suscité de nombreuses et contradictoires interprétations : les commentateurs, en effet, oscillent entre plusieurs racines étymologiques pour y voir le dieu "qui conduit un char sous la terre"158 ou un comparse de l'Ebranleur du sol159. On

156Pour Poséidon Gaihvoco", voir H.H.P., 6 ; Il., XX.34 ; Od., I.68 ; ibid., III.55 ; ibid., VIII.322, 350 ;

ibid., IX.528 sq.

157Par exemple Il., XIII.59 et 83 ; ibid., IX.183 ; ibid., XV.174.

158En rattachant le Gaiawochos avec un digamma à la racine *wegh- qui correspondrait au latin

veho-porter, transporter et à -oco"/ojcevw : porter, diriger, comme S. Wide, Lakonische Kults, p. 38 en rapprochant l'inscription IG V1 213 (Gaiawochos). Cette traduction est acceptée par P. Chantraine. Voir aussi Hes., s.v. Gaihvoco": oJ th;n gh'n sunevcwn, hj; ejpi; th'" gh'" ojcouvmeno" qui lie la notion de "contenir, maintenir" (sunevcw) et "voiturer, conduire" (ojcevw). L.R. Farnell, Cults, IV, p. 8 note b dénonce lui le contresens de S. Wide, ibid., p. 38 même s'il relie l'épithète avec l'Ennosigaios, car il en fait un dieu qui secoue les entrailles de la terre en passant sur son char. Selon L.R. Farnell, ibid., ce contresens fut effectué avec l'essor de la charrerie dès l'époque mycénienne ; par l'apparition du char, naturellement voué à Poséidon, l'interprétation de cette épithète a repris cette attribution pour en faire une divinité qui conduit son char sous la terre. On a pensé également à une traduction en "qui aime les chars", en décomposant Gaièochos en gaivein (se réjouir) et ojvcoi"/ojvco" mais elle est largement rejettée.

159On rapproche en effet également ce vocable d'une racine homonyme wex rapportée cette fois

au latin vexo-secouer, ébranler. Voir à ce propos E. Boisacq, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, s.v. gaihvoco" ; E. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, s.v. gaihvoco"

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peut plus vraisemblablement décomposer cette épithète en gh'-ojcov"/gh'-ejvcw, désignant le "possesseur" de la terre, celui qui la tient, la détient160, la protège

donc. Si Hérodote emploie le verbe ghocevw pour signifier la possession de la terre au sens humain et agricole161, on préfère lire l'épithète poséidonienne

comme révélatrice d'une protection du dieu plutôt que d'une réelle "possession". La terre n'appartient pas à Poséidon en propre, mais elle lui est "confiée", elle est sous sa protection car il a le pouvoir d'intervenir sur cet élément. Nous ne sommes pas dans le cadre de cette épithète dans un contexte de propriété mais toujours dans la définition d'un domaine d'action. La terre est cette fois gaia /gè et non plus chthôn, mais nous n'excluerons pas néanmoins la notion de profondeur.

L'Ebranleur de la terre constitue évidemment une entrée naturelle pour la compréhension de cette épithète. Nous avons en effet déjà remarqué que l'Ennosigaios était souvent rapproché du Gaièochos162. Nous retrouvons dans ces

abonde dans ce sens car cette explication conviendrait mieux au Gaivh" Kinhthvr de l'H.H.Pos., 6. Celle-ci est qualifiée de "satisfaisante, ou même davantage" par P. Chantraine, s.v. gh'.

160 ojvco" / ejvcw a ce sens de tenir, retenir, detenir. Sud., s.v. Gaihvoco". oJ Poseidw'n. Geou'co" dev.

et ibid., s.v. Geou'co". oJ Poseidw'n. oJ th;n gh'n ejvcwn. Gaihvoco" dev. Voir aussi Hes., s.v. gaihvoco": oJ th;n gh'n sunevcwn. On retrouve ce double sens de tenir et secouer en ibid., s.v. gainovcw/: tw' th;n gh'n ojcou'nti, kai; sunevconti. Voir aussi EM., s.v. Gaihvoco": ajpo; tou' th;n gai'an ejvcein givnetai gaivoco", kai; pleonasmw'/ tou', gaihvoco", oJ ejpi; th'" gh'" ojcouvmeno". A propos des Consualia, Denys d'Halicarnasse mentionne le dieu Seisichthôn-Celui qui ébranle le sol, honoré également parce qu'il "tient la terre", 2.31 : oJvti th;n gh;n oJ qeo;" ouJ'to" ejvcei. Dans une inscription de Ténos (S.E.G. XXX (1980), 1065, 5-7) Poséidon et Amphitrite sont les dieux qui tiennent fortement le pays et la ville (toi'" katev]cousi qeoi'["] th;n cwvran kai; th;n povlin th;n hJmetevran). katevcw-tenir fortement, retenir, contenir. C'est une formation similaire que nous retrouvons dans Aijgivoco" (aijgiv"/ejvcw)-Qui tient l'égide, épithète de Zeus (Il., II.375 ; Od., IX.275) et JRizou'co"-Qui tient les racines (épithète poséidonienne étudiée infra). Nous pouvons également opérer un rapprochement avec l'étymologie la plus admise du dieu. P. Chantraine, s.v. Poseidw'n indique qu'il est "tentant de voir dans ce théonyme un juxtaposé d'un vocatif *Potei (cf. povsi") et Da'", vieux nom de la terre". Le dieu serait alors l'époux de la terre. Voir les analyses de C.J. Ruijgh, "Sur le nom de Poséidon". A. Bonnafé donne une bonne traduction du Gaièochos comme "Support de la terre" dans son édition d'Hésiode (Theog., 15).

161VII.190 (ghocevonti) : seule forme connue selon P. Chantraine, s.v. gh'.

162Nous avons vu la fluctuation de cette épithète, entre Ebranleur ou Teneur de terre (voir aussi

Le garant de la stabilité

deux appellations les pouvoirs chthoniens contradictoires du dieu, déclencheur d'ondes souterraines sismiques ou stabilisateur de l'écorce terrestre. C'est en effet lorsque tout mouvement tellurique est endigué que se construit sa personnalité "stable", alors invoqué comme Gaièochos et bien sûr Asphalios163.

Apaisé, il est au service de l'acalmie164. D'ailleurs, dans son Hymne orphique,

Poséidon invoqué comme Gaièochos165 est appelé pour sauver les assises de la

terre (eJvdrana gh'" swvzoi")166. Cela éclaire parfaitement le pouvoir stabilisateur

qu'a le dieu sur les profondeurs.

Un protecteur politique ?

Le Gaièochos ne se réduit pourtant pas simplement au positif de l'Enosichthôn. En effet, quand cette appellation qualifie Zeus167 et Artémis168 dans la tragédie,

le scholiaste en fait une épithète politique en assimilant ces deux divinités Gaièochoi à des Poliouchoi. L'épithète aurait subi selon J. Bollack chez les

l'Ebranleur du sol" (Gaihvocon Eijnosivgaion) ; Hés., Théog., 15 et Il., XIII.43, 59 (Poséidon Gaihvoco" jEnnosivgaio"). On trouve parfois au sein d'un même discours alternance de dénomination pour Poséidon, comme en Il., XIII. 83 (Gaihvoco") et en ibid., 89 ( jEnosivcqwn) ou en ibid., 173 (Gaihvoco") et ibid., 174 ( jEnnosivgaio"), ou en Od., VIII.350 (Gaihvoco") et ibid., 354 ( jEnosivcqwn).

163Le fait qu'il soit fortement honoré dans le Péloponnèse -contrée éminemment sujette aux

tremblements de terre- sous cet aspect, ne peut que corroborer cet axe de lecture du Gaièochos. Pour exemples, à Thérapné : Paus., III.20.2 (iJerovn) ; Xen., Hell., VI.5.30 ; à Gythéion : Paus., III.21.8 (ajvgalma) ; à Corinthe : Pd., Ol., XIII.115. Nous le trouvons également en Béotie à Onchestos : H.H.H., 186.

164Si cette épithète renvoie à l'apaisement des tremblements de terre, elle peut être la

métaphore d'autre apaisements, invoquée par exemple chez Pindare par un vainqueur au pancrace, associée au calme après la tempête, Pd., I., VII.38 : "aujourd'hui le dieu Gaièochos m'a rendu la sérénité après la tempête" (ajlla; nu'n moi Gaiavoco" eujdivan ojvpassen ejk ceimw'no"). C'est le calme de l'après combat qui est contenu dans cette métaphore à la fois terrestre et maritime autour de Poséidon.

165Orph., H., 17.1 : "Entends-moi, Poséidon, aux cheveux noirs, Qui tient la terre" (Poseivdaon

Gaihvoce, kuanocai'ta) et ibid., 3 : celui qui "habite les fondations de la mer au sein profond" (oJv" naivei" povntoio baqustevrnoio qevmeqla). C'est le dieu qui "du sort reçut la troisième part, l'eau insondable de la mer" (ibid., 7), mais aussi ibid., 4 en jEnnosivgaie.

166Orph., H., 17.9-10. 167Esch., Suppl., 816.

168Soph., O.R., 160. S'il partage cette épithète comme ici, pourtant pour Sud., s.v. Gaihvoco", le

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Tragiques "une double réfection"169 pour revêtir cette connotation poliade ; le

premier terme gaia- ne s'applique plus exclusivement à la terre-territoire mais désigne la terre-cité, la terre-patrie. On sait combien les grecs jouent avec les différents termes qui expriment la terre et gaia/gè peut recouvrir parfois le même sens que polis, comme on l'a vu dans la pièce d'Euripide l'Erechthée170.

C'est en tout cas une porte de lecture qui fait se colorer de "politique" les divinités Gaièochoi, associées alors aux dieux poliades, ceux qui représentent et protègent la cité. Prendre gh' du côté de la terre politique et la terre comme métaphore de la cité n'étonnera pas, car on connaît l'étroite relation que les Athéniens entretiennent avec la terre. Une relation qui se résume en un seul mot : autochthonie171. Tenir la terre, garantir la stabilité du territoire politique,

voilà bien des fonctions cardinales dans une cité sans réelle fondation. C'est pour cela que nous ne réduisons pas le Gaièochos d'Athènes à un simple dieu de la stabilité géologique. Si Poséidon n'enlève pas le titre tant convoité de Polieus, il est bien, et nous le développerons tout au long de ce travail, un dieu protecteur qui, installé sur l'Acropole, est honoré pour ses fonctions de stabilisateur et de fondateur.

C'est aussi ce sens plus "politique" que nous avons envie de retenir pour le Poséidon Gaièochos qui, dans les inscriptions, est accolé à Erechthée172. La terre

169in L'Oedipe Roi de Sophocle, v. 160 sq., p. 98 : "gaia- est appliqué au territoire et le second

terme est rapproché de ejvcw". Voir la scholie : gaiavocon de; ajnti; th;n gh;n poliou'con wJvsqe th;n gh;n th'" povlew" eijvlhfen ainsi que la scholie O.R. , 151 : th;n sunevcousan thvnde th;n gh'n. Voir aussi le commentaire de H. Friis Johansen & E.W. Whittle, Aeschylus. The Suppliants, vers 815-6, p. 165 qui donnent aussi ce sens de poliou'co" à gaihvoco" .

170Voir supra notes 40 et 41.

171Nous avons vu que chthôn et gaia/gè se recouvraient parfois et que les autochthones

s'appellent aussi gègeneis (cité supra note 5).

172Inscriptions recensées par M. Lacore, "Euripide et le culte de Poséidon Erechthée" : IG II2

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est à la fois le lieu du premier et du dernier ancrage d'Erechthée, cet autochthone qui est engloûti par Poséidon dans une faille de l'Acropole173. Cet

épisode essentiel174 qui clotûre la refondation d'Athènes met pleinement la

terre de la cité entre leurs mains : une terre désormais stabilisée car elle est confiée au Teneur de terre. Poséidon devient, aux côtés d'Erechthée, comme le gardien de la terre civique.

Parce que les Athéniens jouent entre gè, chthôn et polis, parce que le Gaièochos est honoré avec le héros autochthone par excellence, le Poséidon Teneur de terre peut ainsi recouvrir une acception plus politique à la lumière des Zeus et Artémis tragiques175. S'il n'est pas Poliade dans la cité qui a préféré accorder

cette appelation à sa déesse homonyme, il apparaît néanmoins politique dans cette fonction de Teneur de terre. Un pas de plus pour voir en Poséidon un dieu fondateur, un dieu qui ancre fermement la cité sur la terre qu'elle s'est choisie comme socle.

Autre contexte du Gaièochos : Colone. Nous le retrouvons dans le chœur de l'Oedipe à Colone où la troupe montée qui s'élance dans la guerre honore à la fois Athéna Hippia et le dieu Gaièochos176. Dans un contexte de cavalerie et de

guerre, Poséidon semble tout à fait à sa place177, d'autant plus que Sophocle

; IG II2 3538 (prêtre de Poséidon Erechthée Gaièochos) ainsi que les inscriptions qui accolent Poséidon et Erechthée. Nous étudierons cela surtout en Deuxième partie, III.B.2

173Eur., Er., 18. 59-60 : "d'avoir engloûti Erechthée dans le sol" (kata; cqono;" kruvya" jErecqeva)

et Eur., Ion, 281-282 : "ton père est vraiment engloûti dans le sol ?" (patevra d j ajlhqw'" cavsma so;n kruvpte" cqonov" ;) développé infra en Deuxième partie, III.A.

174Sur lequel nous reviendrons évidemment, car il affiche parfaitement combien Poséidon est

fondateur à Athènes.

175En d'autres paysages Poséidon peut être vraiment "Poliade", comme à Trézène, où il porte le

nom de Poliouchos (Plut., Th., 6). Ici on dit vraiment sa relation avec la cité : povli".

1761072 : timw'sin (...) to;n povntion gaiavocon. Ce Poséidon est une divinité à la fois terrestre et

maritime.

Le garant de la stabilité

auparavant insiste sur le mors, domaine fortement poséidonien178 : là encore,

nous sommes dans un contexte de maîtrise, puisque le mors a pour vocation d'endiguer la fougue des chevaux. Mais cette invocation spécifique au dieu "Qui tient la terre" pourrait aussi révéler un autre aspect de Poséidon, car on l'invoque comme Gaièochos dans un contexte de défense du territoire179. La terre

civique menacée dans cet épisode explique peut-être alors pourquoi les défenseurs armés d'Athènes se mettent sous la protection du Teneur de terre ; dieu naturellement invoqué par les cavaliers athéniens, il est également possible qu'il soit ici appelé Gaièochos en raison de l'enjeu de la menace : la terre attique.

Poséidon serait alors assimilé à un dieu défenseur de la terre civique. Teneur de terre au sens géologique, il se mue peut-être ici en gardien de l'intégrité du territoire. On verra que Poséidon sait encercler, enfermer et clôturer, que ce soit autour de la polis troyenne ou sur les hauteurs de l'Atlantide. C'est un autre moyen de faire jouer les métaphores autour de ce Gaièochos. Tenir immobile, mais aussi tenir identique, en protégeant la terre civique des invasions. Un pas de plus pour voir dans Poséidon comme un gardien de la contrée.

178O.C., 1072. Sur ce sujet, voir M. Detienne, "Le Mors éveillé", p. 179 et 199 et E. Villari,

"Posidone e l'invenzione del morso".

179Le chœur invoque plus avant (Soph., O.C., 1095) la protection d'autres divinités, Zeus,

Athéna, Apollon et Artémis pour porter secours "à ce pays et à ses citoyens" (ajrwga;" molei'n ga/' ta'/de kai; polivtai") : c'est la terre (gh') qui est en jeu dans ce passage.

Le garant de la stabilité

Maîtrise, protection, propriété

L'Hymne homérique à Hermès nous renvoie, lui, du côté de la maîtrise du sol et de la notion de "propriété"180 sur la terre : il nous transmet la mention d'un

alsos181 attaché à ce dieu à Onchestos, domaine fortement poséidonien par

lequel Apollon passe lors de son long parcours pour atteindre Delphes182. C'est

le dieu qui "tient, maîtrise" la terre qu'Apollon rencontre dans cette contrée : Poséidon est bien ici en quelque sorte le "propriétaire" du territoire, la première divinité qu'il croise. C'est encore une manière d'approcher ce Teneur de terre. Il est "déjà là" quand Apollon survient et la terre d'Onchestos est alors imprenable au sens strict du terme. Apollon ne peut s'en emparer, ne peut y développer son culte et y apposer sa marque. D'autres ont voulu lire cette "antériorité poséidonienne" comme oraculaire183. Certes Apollon se cherche un ancrage

pour y délivrer sa parole, mais il semble que ce Poséidon-là soit plus du côté de la maîtrise du cheval184 et de la terre que de l'oraculaire185. Poséidon occupe le

180C'est-à-dire de protection bénéfique mais qui révèle aussi une occupation "première" sur un

territoire.

181La source ne mentionne pas de construction humaine, ni même d'installation et cela peut

renforcer l'aspect "premier" du Poséidon Gaièochos d'Onchestos.

182185 sqq. : "Apollon cependant atteignait dans sa marche Onchestos, ce bois charmant

consacré au dieu retentissant Gaièochos" (poluhvraton ajvlso" aJgno;n ejrisfaravgou Gaihovcou). Sur Poséidon à Onchestos, voir Il., II. 506 et A. Schachter, Cults of Boiotia II, pp. 208-222.

183Sur les différentes et nombreuses interprétations, voir G. Roux, "Sur deux passages de

l'Hymne homérique à Apollon", pp. 8 et 9 qui recense cinq thèses qu'il critique avec justesse.

184M. Detienne, "Le Mors éveillé", pp. 193 sq. et id., Apollon le couteau à la main, p. 23. Voir aussi

les conclusions de G. Roux, "Sur deux passages de l'Hymne homérique à Apollon", p. 10 sur le fait qu'"il y a partage entre le conducteur du char et le dieu" et ibid., pp. 21-22 sur ce Poséidon du dressage et protecteur des chevaux.

185Le rite est le suivant : lorsque le conducteur traverse le domaine de Poséidon, c'est le cheval

qui doit seul guider le char ; en cas de renversement, le char était déposé en offrande dans le sanctuaire. A. Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'Antiquité, II, p. 368 y voit comme une alternative laissée au dieu, comme une "sorte de consultation officielle qui fixait pour un temps la "destinée" des adorateurs de Poséidon et qui assimilait son "bois sacré" à un véritable oracle". F. Bonnechère, "Les Oracles de Béotie", p. 58 préfère parler de "procédé divinatoire au sens large", dans le sens où il y a manifestation de la volonté de Poséidon. Je ne parlerais pas d'un Poséidon oraculaire, dans le sens où il n'existe pas vraiment de couple question-réponse dans ce rituel qui semble plus rendre au dieu sa maîtrise sur l'animal. Poséidon ne semble pas être un dieu oraculaire, et ce rite montre plus sa compétence dans le chalinos, car c'est un "test" sur le "conduire droit", sur la maîtrise du poulain. A noter tout de même que nous avons

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sol, comme Gaièochos, plus que comme rival mantique d'Apollon qui n'a plus qu'à reprendre sa quête de territoire186. Le Gaièochos d'Onchestos nous porterait

alors du côté de l'antériorité, de la protection/possession d'un territoire qui serait confié au patronage du dieu.

Avançons encore un peu en compagnie de ce Poséidon.

Très populaire chez Pindare, ce dieu s'y retrouve souvent accolé de cette épithète187, notamment dans la quatrième Pythique qui nous rapporte l'épisode

théréen : Poséidon Gaiaochos y est invoqué par son fils Eurypyle, celui qui a offert à Euphémos188 la fameuse motte de terre qui s'est malencontreusement

abîmée dans la mer. Dans la terre fraîchement établie de Théra, dont le complexe processus de fondation-colonisation a été étudié par C. Calame189,

Poséidon porte aussi la même épiclèse190. Nous avons vu combien le dieu avait

le pouvoir d'enraciner les îles191, ses créations, nées d'un éclatement tout

poséidonien192. Ces territoires insulaires rassemblent parfaitement les deux

domaines de Poséidon, toujours entre terre et mer193, mais donnent aussi toute

mention d'un Poséidon Provfanto" à Thourion chez Lycophron (Alex., 522) (Teubner). Il est appelé "Celui qui voit au loin", dont le sens mantique apparaît chez Hdt., IX. 93 (provfanta-au sens de prédiction à Dodone et à Delphes) mais nous ne trouvons pas réellement trace de parole oraculaire.

186H.H.Ap., 239.

187Ol., I.25-26 (megasqenh;" ... Gaiavoco" Poseidavn) ; P., IV. 33 (Gaiavocou ... jEnnosivda) et schol.

P. , IV.35 (Gaihovcw/ jEnnosigaivw/).

188Sur Eurypyle et Euphémos, voir C. Calame, Mythe et histoire, p. 72 note 18. 189in Mythe et histoire.

190IG XII, 3 suppl. 1371 et C. Calame, Mythe et histoire, p. 94.

191Call., H.Délos, 30 sqq. : "comment, extirpées de leurs fondements, il les précipita dans les

flots et les enracina par le fond de l'abîme" (nevrqe de; pavsa" ejk neavtwn wjvclisse, kai; eijsekuvlise qalavssh/, kai; ta;" me;n kata; bussovn (...) prumnovqen ejrrivzwse). On notera le vocabulaire de la violence poséidonienne : ojclivzw-soulever, mouvoir avec violence, eijskulivw- faire rouler, précipiter, mais aussi de l'enracinement : bussov"-fond de la mer, et rJizovw- enraciner, racine que nous retrouverons dans son épithète Rizouchos et dans Od., XIII.163 quand Poséidon enracine le navire des Phéaciens (voir infra note 266).

192Orph., Arg., 1278 sqq. (cité supra notes 98-100).

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l'ambiguïté de son pouvoir chthonien puisque l'île est une terre brisée et enracinée à la fois. Teneur de terre, Poséidon est dans ce contexte de colonisation un dieu ancreur qui assure les fondements de cette nouvelle localisation conjointement à Zeus et Apollon, pour constituer une "triade des dieux fondateurs"194. A Poséidon le socle, à Apollon les jalons de la fondation,

nous retrouverons cela à Delphes.

Le Teneur de terre permet ainsi de rencontrer Poséidon du côté de la maîtrise, de la protection et de l'ancrage ; quant à la stabilité, elle a son vocable propre : Asphalios.