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L'ERIS DIVINE D'ATHENES : QUERELLE ET REVENDICATIONS

POSEIDON FONDATEUR ?

I. L'ERIS DIVINE D'ATHENES : QUERELLE ET REVENDICATIONS

Avant de nous atteler à la querelle qui s'engage en terre d'Athènes entre Athéna et Poséidon, essayons de retracer l'antériorité et la signification du mythe de partage en Grèce. Pourquoi les cités empruntent-elles en effet ce chemin du conflit pour s'attacher une divinité Poliade ? Serait-ce le moyen de se fonder et de se définir ? L'eris semble en effet une mise en scène privilégiée pour séparer, hiérarchiser, structurer. Plus qu'un scénario où l'origine passerait par la violence, le mode d'eris nous apparaît la voie requise pour répartir les timai, comme au temps de la Théogonie. Il s'agit bien d'attribuer et de définir : en un mot, de se créer son identité nationale.

L'eris en tant que rivalité s'avère ainsi souvent le moteur de ces premiers choix et de ces primordiales structurations : les cités décident de choisir entre les protagonistes d'un conflit qui se décline sur le mode de la querelle ou d'une mise à l'épreuve guerrière. C'est du conflit que naît le partage, c'est le conflit qui permet souvent d'installer concrètement la divinité Poliade à la tête de la cité. Car l'enjeu de l'eris est bien de déterminer le paysage final, c'est-à-dire qui représente la cité, qui va enlever l'épiclèse politique. Le vocable de Poliade dit à lui seul le mythe de partage, le choix d'une divinité, "l'exclusion" d'une autre, l'ordonnancement du premier panthéon civique.

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C'est en cela que l'eris s'avère fondatrice puisqu'elle permet, à son terme, de définir les différents statuts et de créer le visage politique et religieux de la cité. Car cette répartition des rôles, elle appartient aux origines de la polis. Les personnages qui jugent ces querelles de partage, Kékrops pour Athènes1,

Inachos pour Argos2 ou Briarée pour Corinthe3, attestent bien que ces histoires

sont les mythes de fondation des différentes cités.

L'eris divine s'inscrit en effet au terme de la mémoire mythique, quand Athènes n'était pas encore la cité des citoyens, mais une polis en "gestation" sous le règne d'un hybride. En ces temps d'autochthonie où les futurs citoyens germent de la terre, les dieux commencent à se battre pour enlever la protection de la cité et se répartir les prérogatives. Le premier Athénien jaillit hors du chthôn, la Poliade qui s'est installée sur l'Acropole le recueille dans ses bras bref, la cité prend forme. L'autochthonie et l'eris sont les deux chemins empruntés par les Athéniens pour fonder leur cité sur sa terre et avec les dieux ; l'eris apparaît ainsi comme la refondation de la polis en redoublant le premier récit de l'autofondation. D'ailleurs, clin d'œil des sources, le "premier" autochthone Erichthonios serait lui aussi né d'une eris, cette fois entre Athéna et Héphaïstos, si l'on choisit de suivre un parti pris étymologique4. Mais toute l'histoire ne

tourne pas seulement autour de la Poliade, car la naissance de la terre sous le signe d'Athéna devient un ancrage dans la terre sous le signe de Poséidon.

Ce n'est pas le seul bénéfice de l'eris des Immortels : la querelle est aussi brandie comme une fierté car elle constitue la meilleure preuve de l'amour des

1 Pour exemple, Xen., Mem., III.5.9-10 cité infra note 69.

2 Paus. II.15.4-5 : il parle de "plus ancienne tradition" (palaiovtera). 3 Paus., II.1.6 cité infra note 83.

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dieux qui rivalisent entre eux pour obtenir l'honneur d'être choisi par les cités des hommes. Car c'est à l'eris que l'on mesure en Grèce l'amour des Olympiens et la protection qu'ils accordent aux citoyens. Platon d'ailleurs, dans le Ménexène, relie ces épisodes symboliques de l'implication des dieux dans le monde des hommes, autochthonie et eris, constituant à deux un même éloge de la grandeur de la cité5. Quel orgueil pour Athènes d'avoir été l'enjeu entre deux

divinités aussi prestigieuses, la fille de Zeus, la déesse de métis et l'Ebranleur du sol, le puissant Poséidon. Deux figures divines qui, durant cet épisode d'eris, vont montrer l'étendue de leurs pouvoirs et toute la protection et la prospérité qu'ils peuvent conférer à la cité qui les choisira.

4Erichthonios serait né d'une ejvri" et du cqwvn. Voir Varron, in St.-August., Cité, XVIII et les

sources citées par P. Brulé, La Fille d'Athènes, p. 140 note 5 et B. Powell, Erichthonius, pp. 60 sqq. §§ 15-21 ; N. Loraux, Né de la terre, p. 52, signale aussi cette version.

5237 c-d : "notre pays mérite les louanges de tous les hommes et non pas seulement les nôtres,

pour bien des raisons diverses, dont la première et la plus grande est qu'il a la chance d'être aimé des dieux (qeofilhv"). Notre affirmation est attestée par la querelle et le jugement des divinités qui se disputèrent pour lui" (marturei' de; hJmw'n tw'/ lovgw/ hJ tw'n ajmfisbhthsavntwn peri; aujth'" qew'n ejvri" te kai; krivsi"). Voir aussi Dem., 28, à propos des mots de Platon (Men., 237 c) : "il déclare que c'est une terre aimée des dieux (qeofilh'), et il en veut pour témoignage (mavrtura") que les dieux qui se sont disputés (ajmfisbhthvsanta") pour elle, lieu commun utilisé par pratiquement tous les auteurs qui ont fait l'éloge de la cité (ejpainesavntwn th;n povlin).

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