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Poséidon Chamaizèlos : un dieu qui recherche la terre

B. Faire croître les fruits de la terre : autour du Poséidon

1. Poséidon Chamaizèlos : un dieu qui recherche la terre

Nous voici de nouveau confrontés à une appellation composée sur un des nombreux vocables qui désignent la "terre" : cette fois, ce n'est plus gè comme pour Gaièochos ou Ennosigaios, ni même chthôn comme pour Enosichthôn, mais chamai128. Ce terme est utilisé pour caractériser tout ce qui vit sur la terre et reste

sur le sol, les êtres vivants mais aussi les plantes rampantes qui recherchent le contact avec la surface terrestre129 : ici, le radical de Chamaizèlos n'induit pas

forcément l'idée de profondeur.

128Selon P. Chantraine, s.v. camaiv, il s'agit d'un nom ancien pour désigner la terre. Cela signifie

"sur terre, à terre", avec ou sans mouvement. Cette épiclèse est formée sur le terme camaiv mais aussi sur le verbe zhlovw-rechercher.

129Voir par exemple Arstt., H.A., 559 a 13 : "sur les arbustes bas" (ejpi; toi``" camaizhvloi" futoi``").

Le mot au figuré s'applique à tout ce qui est bas et donc petit, comme les êtres qui relèvent du nanisme ou ce qui est simple, commun ou vulgaire.

Autour du Phutalmios

Cette dénomination apparaît très tardivement dans la liste des épiclèses poséidoniennes qui nous sont parvenues, puisque le dieu est ainsi honoré en Posidéon huit130 dans un calendrier privé du premier siècle après J.-C.131

L'offrande cultuelle requise est non sanglante : il s'agit d'un popanon132, analysé

comme un gâteau de céréales dont on trouve une description éclairante chez Polybe133.

Ce gâteau de farine destiné à être déposé ou à se consumer sur le feu de l'autel134 ne se rencontre pas d'ailleurs exclusivement dans un contexte

sacrificiel ; il est également présent sur la table des banquets ou désigne une pâtisserie quotidienne135. Et quand le popanon est consacré, cette galette de

céréales, de pain ou de froment selon Hésychius136 apparaît à la fois comme

offrande préliminaire137, mais peut aussi constituer à elle seule le sacrifice

destiné à la divinité comme ici138. Dans notre inscription, de nombreux popana

sont offerts à une kyrielle de divinités : des multiples voisins cultuels de

130Jour qui lui est dédié avec le héros Thésée selon Plutarque (Thes., 36.6).

131LSCG 52 (= IG II2 1367 = SEG XL (1990) 148) interprété comme le calendrier d'une association

cultuelle "imbue de panthéisme et d'orphisme" selon F. Sokolowski.

132LSCG 52, l. 16-18 : Posidew``no" hj iJstamevnou povpanon coinikiai'on dwdekovnfalon kaqhvme[non],

Posidw``ni Camaizhvlw/ nhfavlion (qui doit recevoir "un popanon d'un chenice de farine avec douze bosses (omphaloi) tout autour et une libation sans vin"). Selon H.G. Liddel & R. Scott, s.v., dwdekovmfalon se traduit par "with twelve knobs". Voir l'analyse des popana chez C. Grandjouan, "Hellenistic Relief Molds From The Athenian Agora", Appendix 1 : "The Food of The Heroes", pp. 63 sqq.

133Hist., VI.25-7 : "quant à leur bouclier, il était en peau de bœuf, analogue aux galettes bombées

qu'on dépose dans les sacrifices" (toi``" ojmfalwtoi``" popavnoi" paraplhvsion toi``" ejpi; ta;" qusiva" ejpitiqemevnoi").

134Par exemple Porph., Adst., II.58.4. Plusieurs consécrations sont possibles : elles peuvent être

abandonnées sur l'autel, déposées sur des tables spécifiques, répandues sur le sol ou bien consumées par le feu. Pour cette dernière forme de consécration, on peut opérer un rapprochement étymologique avec le verbe pevssw.Voir à ce propos P. Chantraine, s.v. pevssw.

135On le trouve en effet sur la table du banquet des femmes avec d'autres nourritures offertes

aux convives (Ar., Eccl., 841 sq.) mais aussi désignant une pâtisserie, mentionnée avec les plats cuisinés (Plat., Rsp., 445 c) .

136s.v. povpana: plakouvntia ajpo; ajvrtou.

137Ar., Plut., 660-661 couplé avec les prothymata dans une inscription qui rapporte un sacrifice à

Asclépios (LSCG, 21 A) où les popana sont destinés notamment à Apollon, Hermès et aux filles d'Asclépios.

Autour du Phutalmios

Poséidon139, nous retenons les "deux déesses" et Zeus Geôrgos, des figures

divines fortement reliées, on le sait, à la fertilité de la terre. L'épiclèse de Zeus, Geôrgos, le qualifie en effet comme Celui qui cultive la terre, Celui qui est attaché au travail de la terre ; il reçoit d'ailleurs ici en nombre ces popana140.

Zeus, Déméter, deux divinités que nous croiserons souvent dans ce dossier du Phutalmios.

La nature des offrandes et la personnalité des destinataires divins nous invitent à voir dans ces prescriptions cultuelles un rituel à caractère "agraire"141,

relié en tout cas à la fertilité de la terre142. Pourtant, dans sa publication, F.

Sokolowski choisit de lire l'épiclèse poséidonienne par le biais sismique, affirmant qu'elle a un rapport "avec le tremblement de terre"143 ; cela nous

apparaît évidemment quelque peu incongru dans cette perspective rituelle. Si la facette sismique de Poséidon est tellement usuelle que toute implication terrestre ne doit exclure cette dimension tellurique, on ne peut affirmer que le Chamaizèlos soit un Secoueur de terre. Il recherche le sol, certes, mais pas forcément pour l'ébranler.

Thesmophories (Ar., Thesm., 284-285). Sur les Thesmophories et Déméter voir A.C. Brumfield, The Attic Festivals of Demeter, pp. 88-95 et H.W. Parke, Festivals of The Athenians, pp. 82-88.

139Ainsi qu'à Apollon et Artémis en Pyanepsion 7, en Maimaktérion, aux Anemoi (les Vents) le 9

de ce même mois, à Kronos en Elaphebolion et à Héraclès et à Théios en Mounichion.

140On en lit 11 "d'un chenice de farine (...) un naston (gâteau de fromage) et une pankarpia"

(gâteau de fruits assemblés ou de différentes semences selon Hsch., s.v. panspermiva: pagkarpiva) ou gâteau de graines cuites dans le miel et enveloppées (Ath., IX. 648 b qui rapporte l'étude d'Harpocration de Mendes sur les gâteaux, Peri; Plakouvntwn).

141Selon la formule de F. Sokolowski (LSCG 52, p. 103), les divinités prépondérantes sont "des

dieux de l'agriculture, du beau temps et de la nature", "mélange" que l'on rencontre souvent "dans les hymnes orphiques". On préfèrera la dénomination de divinités reliées à la terre.

142On se rappelle que selon Pausanias (I.38.6) : la plaine de Rharion étant la première à être

ensemencée, c'est "la raison pour laquelle c'est un rite établi d'y prendre des grains d'orge et d'en faire des gâteaux pour les sacrifices" (ici pevmmata, autre dénomination pour dire ces gâteaux de céréales). Offrir des gâteaux rappelle ainsi le premier ensemencement ; il y a bien un lien entre offrande céréalière et travail/fertilité de la terre.

Autour du Phutalmios

La référence à la terre dans cette épiclèse nous amènerait plutôt du côté du Phutalmios : chanté pour ses pouvoirs germinatif et fécondant, Poséidon est en effet connu pour aider à la pousse des plantes. En cela il s'inscrit en polarité avec la Déesse de la terre et le Zeus Cultivateur.

Néanmoins, cette épithète Chamaizèlos étant des plus rares, il nous faut également regarder l'autre divinité qui la reçoit pour essayer de trouver peut- être des clés de lecture supplémentaires. C'est Zeus, son voisin de culte auparavant Geôrgos, qui est ainsi qualifié dans un extrait des Argonautiques144.

Ce texte nous décrit un temple d'Artémis et le bois sacré gardé par un serpent "desservant du monument de Zeus infernal" selon les mots de F. Vian145. Une

traduction quelque peu nuancée par l'auteur lui-même dans sa note complémentaire146, puisqu'il y choisit cette fois de retranscrire moins

radicalement cette épithète en parlant de divinité chthonienne147.

Bien sûr, cette traduction est aussi la plus appropriée pour notre dieu, même si elle n'est pas la plus précise. Mais si Poséidon est éminemment chthonien, a t- il vraiment un rapport avec les profondeurs infernales ? Et cette épiclèse, concerne t-elle réellement les entrailles de la terre ? Il semble bien que non. Pourtant, on peut citer ces vers de l'Iliade où Poséidon provoque le grand tremblement de terre qui ébranle l'Ida tout entière : il menace bien de faire s'ouvrir le monde des hommes sur le domaine d'Hadès148. Néanmoins, il ne

143LSCG 52, commentaire l. 18. 144931 sq.

145Dans l'édition des Belles Lettres. 146v. 933 p. 186.

147Comme dans le H.G. Liddel & R. Scott, s.v. Camaivzhlo" 3, Z. Camaivzhlo" = cqovnio". Zeus est

effectivement honoré en cqovnio" notamment à Mykonos (LSCG 96.25).

148Il., XX.62-65 (voir Première partie I.A note 60). Un de ses sanctuaires, celui situé au Cap

Ténare comprend une bouche qui s'ouvre sur le domaine d'Hadès (par exemple Stab., VIII.5.1 ; Schol. Pd., P., IV.76 d).

Autour du Phutalmios

saurait être assimilé à une divinité "infernale"149 : si Poséidon ancre très

profondémment ses pouvoirs, c'est pour pouvoir à loisir déclencher des secousses et créer des brèches. De plus, si l'on regarde les divers emplois de chamai dans nos sources150 ainsi que la notice de P. Chantraine, ce terme

n'apparaît pas précisément attaché aux profondeurs ; il désigne plutôt un espace de surface, là où surgissent les plantes. Nous ne sommes pas en tout cas en présence du Tellurique.

Si les informations s'avèrent sporadiques sur ce Poséidon Chamaizèlos, cette épiclèse tisse indéniablement un lien de plus entre Poséidon et la terre ; ses offrandes et ses partenaires sacrificiels nous portent à lire ce dieu Chamaizèlos en polarité avec le Phutalmios, qui est lui beaucoup plus clairement attesté dans nos sources attiques.