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La croyance sébastianiste est le fruit d’un événement historique qui a pour décor l'oued el Makhazen, et les sables près de la ville de Ksar el-Kébir413, au nord du Maroc. Cette croyance s’est enracinée dans l’empire portugais et s’est répandue à d’autres époques sous d’autres cieux mais son référentiel demeure le même, la personne de dom Sebastião, roi du Portugal, disparu en Afrique. Cette disparition forme dans l’imaginaire des Portugais, une attente, puis, par une « expansion symbolique414 », la venue du roi en terres brésiliennes. Le Nouveau Monde devient aussi, par analogie, une expansion symbolique de rêves, de visions, de récits extraordinaires que la littérature de voyage se chargera de diffuser. De même, ce Nouveau Monde représente les attentes d’un monde meilleur, loin des guerres, des maladies, des persécutions et de la misère de l’Europe. Il est perçu comme semblable aux descriptions édéniques de la Bible, où se trouvent la paix, l’abondance et les richesses. Ce nouvel espace est propice au merveilleux et essaye d’échapper à la domination dogmatique chrétienne. Cela étant, même les défenseurs de la foi n’hésitent pas à utiliser l’aspect religieux pour créer un effet fabuleux dans leurs écrits et leurs prêches. C’est dans cette ambiance tropicale nonchalante que le père Antonio Vieira dans un discours qui a pour but de prouver que le roi dom Sebastião est vivant, rapporte comment a réagi, dans une euphorie mystique, le père José de Anchieta. Au Brésil, il aurait prophétisé la disparition du roi portugais, qui se battait alors au Maroc. Cette prescience est décrite en ces termes par le père Antonio Vieira :

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Ksar el-Kébir, signifie en arabe, « grand palais ou grande forteresse ». Ksar el Kébir, en espagnol,

Alcazarquivir, en portugais, Alcácer-Quibir, était une fortification anciennement connue sous les noms de Ksar Ketama, Ksar Sanhaja.

414 « Expansão simbólica » est un terme utilisé par Joel Carlos de Souza Andrade, dans sa dissertation de maîtrise en histoire sociale, « Os filhos da lua : poéticas sebastianistas na ilha dos Lençóis – Ma », Universidade federal do Ceará - Brésil, novembre 2002.

Site visité le 20 février 2011 :

161 « Ce serviteur de Dieu, [José de Anchieta], se trouvait en Pernambuco, en

prières avec son compagnon ainsi que d’autres laïcs. Il était en lévitation et silencieux au point que son compagnon lui demanda si quelque chose le tourmentait. Recouvrant alors ses esprits, il dit : « Frères, rendons grâces à Notre Seigneur, car à cette heure le roi dom Sebastião a disparu et c’était précisément le 4 août 1578. Et comme son compagnon l’interrogeait au sujet du roi, il répondit que celui-là s’était échappé et que Dieu l’avait délivré de ce péril, mais qu’il reviendrait régner dans longtemps et seulement après que le roi lui-même et le Portugal auraient connu de nombreuses tribulations415 ».

Cette prémonition du père jésuite rapportée par son confrère, le père Antonio Vieira, ne constitue pas un cas isolé, puisque le même jour, d’autres personnes eurent également des pressentiments. Nous sont ainsi rapportées les visions à Tolède, de Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), ou, à Coimbra, celles de plusieurs personnes qui voient suer l’image de la reine, sainte Isabelle d’Aragon (1271-1336). Sans compter aussi la vision du cardinal dom Henrique, à Alcobaça, et celle de l’abbesse du monastère cistercien de Cós. Ce qui nous intéresse ici, dans ces événements, ce n’est ni leur véracité, ni leur authenticité, ni leur affabulation ou éventuelle « ubiquité », mais tout simplement leurs disparités géographiques. Les récits des apparitions et prodiges rapportés se déplacent de l’endroit de l’action, le Maroc, vers l’Espagne, le Portugal et le Brésil. Il y a aussi un déplacement symbolique de l’espace profane, l’espace des infidèles et de la bataille, à l’espace sacré, les maisons religieuses et dans le cas du Brésil, un espace « vierge ». D’ailleurs, ce sont les femmes, les gens humbles et les contemplatifs qui ont droit à ces visions et qui « pénètrent le secret de la Providence416 », comme si la parole de l’évangile s’accomplissait : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux riches et aux savants et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir417 ». Enfin, ces récits visionnaires,

après avoir refoulé l’espace et l’action, c’est-à-dire les faits historiques, les personnages et les endroits cités, déplacent l’événement du 4 août 1578, au cadre symbolique, « de la terre au

415 Traduit par nous.

« Este servo de Deus se encontrava em Pernambuco, em prece, com seu companheiro e outras pessoas leigas. Estava demudado e silencioso a ponto de seu companheiro lhe perguntar se alguma coisa o atormentava. Retornando, então, a si, ele disse : irmãos, demos graças a Nosso Senhor, porque a esta hora el-rei Sebastião evadiu-se. Era precisamente no dia 04 de agosto de 1578. E como seu companheiro o interrogava a respeito do rei, ele respondeu que ele escapara e que Deus o havia livrado daquele perigo, mas que ele voltaria a reinar por muito tempo e somente depois que ele mesmo, o rei, e Portugal padecessem numerosas tribulações. »

Antonio Vieira, De Profecia e inquisição, (org. Alfredo Bosi), coleção Brasil - 500 anos, Brasília, Senado federal, 1998, p. 131. (Texte adapté par nous).

416 Lucette Valensi, op. cit., p. 172.

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ciel, ou mieux, de l’enfer du champ de bataille au paradis où sont glorieusement accueillies les âmes des combattants418 ».

C’est dans cette perspective que se place notre étude dans ce chapitre. C’est-à-dire, le déplacement du fait historique, les sables du Maroc, vers un lieu insolite, le Nouveau Monde. Ce nouvel espace découvert depuis peu était considéré jusque là, comme un endroit mythique et édénique. Par la suite, lors de l’arrivée des Européens, il semble être réellement l’incarnation du Paradis perdu, et devenir aussitôt l’espace de tous les possibles. C’est sur cet espace, le Brésil, et plus particulièrement l’État du Maranhão, et ses deux grandes îles, São Luís et Lençóis, que nous allons nous attarder. Le cadre géographique fixé, nous pourrons alors analyser le locus sanctus, le terreiro, où les entités, dont le roi dom Sebastião, se manifestent, sans oublier de considérer ses demeures, celle d’en haut et celle d’en bas. La croyance sébastianiste brésilienne s’était formée par des fragments symboliques, les éléments socioreligieux amérindiens, africains et européens. Ce qui nous intéresse à présent ce sont les différentes visions du monde, ce monde tropical à la fois rêvé, défait, et même détruit.

Après avoir étudié dans le premier chapitre les singularités historiques de la formation et le déploiement du sébastianisme du point de vue de la personne du roi dom Sebastião, nous analyserons dans la première partie de ce deuxième chapitre, les questions suivantes : d’abord l’évolution de la pensée et de la croyance de l’homme du Moyen Âge, qui va permettre la transition de la nostalgie édénique vers le paradigme de la réalité des tropiques tout au long de la Renaissance. Ensuite, le cadre géographique, le Nord du Brésil, précisément l’île de saint Luis de Maranhão, servira d’appui pour étudier l’apport mystique et mythique de la guerre de Guaxenduba entre Français et Portugais, à l’identité locale. L’expulsion des envahisseurs, bravés grâce à l’intercession mariale donnera naissance au premier mythe fondateur en terres brésiliennes, avant l’arrivée des pères jésuites. Enfin, c’est dans l’île de São Luis et l’île de Lençóis, des endroits marécageux et à la faune luxuriante, que la croyance sébastianiste se perpétue. Nous en profiterons pour esquisser quelques chants hiératiques sur ce locus sanctus.

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A– De la nostalgie édénique vers le paradigme de la réalité des Tropiques

L’année 1492 est marquée par deux dates décisives auxquelles l’histoire occidentale accordera une grande importance par la suite. Cette importance s’inscrit bien évidemment dans le « discours idéologique de la colonisation du passé par le présent419 », principalement parce que dans la transition de la période médiévale vers l’humanisme, lors les Grandes découvertes, il y aura la question sur l’autre, celui qui est « différent » qui se posera à la chrétienté européenne. La première date de cette année charnière est celle du 2 janvier, quand se produit la chute de Grenade. La deuxième date, est celle de la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb (1451-1506), le 12 octobre. Ces deux événements majeurs auront lieu sous l’auspice des souverains catholiques de Castille et d’Aragon, Ferdinand (1452-1516), et Isabelle (1541-1504), qui se voyaient ainsi investis d’une double mission. La première, c’est de mettre un terme à sept cent soixante-quatorze années de présence mauresque et de consolider ainsi l’unité de leur royaume, la seconde, c’est de s’ériger en défenseurs de la foi catholique. Ce qui nous intéresse ici, c’est le deuxième événement, connu comme la « découverte de l’Amérique », son importance géographique, mais aussi mythique. La portée historique de l’arrivée de Colomb à l’île de Saint Salvador, dans les Bahamas, ou ce qu’il croyait être l’extrémité de la côte asiatique, demeure le point de jonction entre la réalité et le rêve de l’homme européen.

Malgré les progrès accomplis dans l’art de la navigation par les puissances maritimes occidentales, la localisation de la côte asiatique reste très confuse au XVe siècle. À l'époque, le terme Inde désigne soit la région de l’Asie soit l’Afrique orientale. La Bible420 et les manuscrits fournissent des références que les voyageurs s’efforcent de vérifier. Ces écrits sont abondants en renseignements sur les légendes et les mythes présents dans les cartes

419 Traduit par nous.

« A história é, muitas vezes, o discurso ideológico da colonização do passado pelo presente. »

Luís Filipe Barreto, Descobrimentos e Renascimento. Formas de pensar nos séculos XV e XVI, Lisboa, Imprensa nacional – Casa da moeda, 1983, p. 9.

420 Voici ce que dit Sérgio Buarque de Hollanda : « O ponto de partida para as « visões » medievais do Paraíso encontra-se, naturalmente, no Gênese, II, 9-25 e III, 1-24, onde se narra como o Senhor Deus, tendo criado o homem, em quem insuflou o fôlego da vida e o fêz assim alma vivente, plantou para sua habitação um hôrto, da banda do Oriente. »

Sérgio Buarque de Hollanda, chap. VII, « Paraíso perdido », Visão do paraíso, São Paulo, Companhia editora nacional, 1969, p. 144 - 145.

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géographiques et les globes. Les documents graphiques attachés aux manuscrits permettent aujourd’hui de suivre les manifestations de l’imaginaire médiéval et de comprendre telle ou telle modification subie par certains mythes et légendes. Les déplacements et les éloignements spatio-temporels dans les mythes et les légendes décrits dans ces documents, ont enrichi l’imaginaire européen de l’Antiquité jusqu’à la Renaissance. Avant d’aborder le vaste espace de l’Atlantique et son Nouveau Monde, rappelons simplement que dans l’imaginaire de l’homme méditerranéen, le Ponant est une région mystérieuse peuplée de monstres et de Pygmées qu'il faut découvrir.

Pour les civilisations antiques, l’Orient demeure une région quasiment inconnue : c’est à la fois le pays où Hélios, le dieu du soleil, se repose après avoir parcouru la terre421, et le lieu peuplé d’îles, où séjournent les bienheureux, dans le royaume d’Apollon422. Pour le poète grec Hésiode (VIIe siècle av. J.-C.), les Champs Elysées sont des îles qui portent aussi le nom d’îles Fortunées. Homère (v. 850 av. J.-C.), dans le chant IV, de son Odyssée, les décrit en ces termes : « (…) point de neige, jamais de rigoureux hiver ni de pluie; toujours les brises de Zéphyr au souffle clair, envoyées par l’Océan, y rafraîchissent les hommes ». D’autres, comme Lucien de Samosate (vers l’an 125 –vers l’an 192), dans son Histoire véritable423, en décrivant cette île, donnent libre cours à leur imagination. Plutarque (vers l’an 50 – vers l’an 125), laisse supposer dans son récit que Sertorius (vers l’an 123 –72 av. J.-C.), l’avait visitée424. Les marins de l’Antiquité, mus par le désir de trouver le Paradis sur terre, s’aventurent sur la mer, sans pour autant s’éloigner des côtes de l’Atlantique. Lorsqu’ils atteignent les rivages aux alentours, ils croient avoir débarqué dans les Îles des bienheureux ou les îles Fortunées, dont la mythologie est si présente à leur esprit.

421 « Tout le jour il chemine et le soir il parvient à l’Océan où se baignent ses chevaux fatigués. Lui-même se repose dans un palais d’or, d’où il repart le lendemain.

Pierre Grimal, « article Hélios », Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, P.U.F, 1969, p. 184.

422 « On représentait aussi Apollon (et surtout l’Apollon Hyperboréen), comme régnant sur les Îles des bienheureux, qui sont le Paradis de l’orphisme et du néo-pythagorisme. »

Idem, ibidem, p. 43.

423 « Nous fûmes tous ravis en entrant de voir que la ville étoit d’or, & les murailles d’émeraudes, avec le pavé marqueté d’ébène & d’ivoire ; les temples des dieux de rubis & de diamants, avec de grands autels d’une seule pierre précieuse, sur lesquels on voyait fumer des Hécatombes. Il y avoit sept portes, toutes de cinamome ; & un fossé d’eau de senteur large de cent coudées, qui n’étoit profond qu’autant qu’il falloit pour se baigner à son aise. Ils ne laissoit pas d’y avoir des bains publics d’un artifice admirable, où l’on brûloit que des fagots de canelle. L’édifice étoit de crystal, & les bassins, où l’on se lavoit, de grands vases de porcelaine pleins de rosée. » Lucien de Samosate, Histoire véritable de Lucien, (traduite et continuée par Perrot d’Ablancourt, reproduction partielle du t. XIII, des Voyages imaginaires, Amsterdam, 1787), Nancy, université de Nancy II, Société française de littérature générale et comparée, mémoires des annales de l’Est, n° 56, 1977, liv. II p. 35.

424 Plutarque, Vies, t. XIII : Sertorius – Eumène – Agésilas – Pompée, (texte établi et traduit par Robert Flacelière), Paris, société d’édition « Les belles Lettres », 1973, p. 20.

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Dans l’Occident, l’Antiquité place à côté des Îles des bienheureux, un jardin merveilleux, connu sous le nom de jardin des Hespérides. Pour certains, les Hespérides sont les « Nymphes du couchant », c’est-à-dire, les filles d’Atlas. Pour d’autres, comme le signale Diodore de Sicile (Ie siècle av. J.-C), elles portent le nom d’Atlantide425. Selon ce mythe paradisiaque, dans le jardin des Hespérides se trouvent des pommes d’or. « Là les arbres, au riant feuillage, brillent d’éclat de l’or et se couvrent de rameaux et de pommes du même métal426 », écrit Ovide (43 av. J.-C. – v.17 apr. J.-C.), dans ses Métamorphoses, chant IV. Cela renvoie très probablement à l’arbre de l’Eden, évocation du séjour éternel où la protection est assurée par un dragon ou par un chérubin. Par ailleurs, les Celtes placent le paradis terrestre dans l’île d’Avalon, nom qui vient du gallois aval, « pomme427 ». Ce pays paradisiaque est couvert d’or et il est associé dès l’Antiquité à l’Occident. Beaucoup le situeront en Amérique, déplaçant ainsi les Hespérides outre-Atlantique, comme le chroniqueur espagnol, Gonzalo Fernandez de Oviedo y Valdès (1478-1557). Il aborde ce sujet à plusieurs reprises dans son Historia General y Natural de las Indias. En voici un exemple : « De sorte que les poètes ne tinrent pour les Hespérides que ces îles de nos Indes428 (…) ». Entre l’Ancien et le Nouveau Monde, un autre mythe se glisse et établit un rapport certain entre les Hespérides, le jardin merveilleux, et l’Atlas, le monde. Il s'agit de l’Atlantide, île gigantesque, à l’image de son gouverneur, Atlas, fils de Poséidon, son premier souverain429. Le récit le plus ancien sur son origine se trouve dans les écrits du philosophe Platon (427-347 av. J.C.), Le Timée ou De la Nature et Critias ou De l’Atlantide430. Bien que la polémique sur « l’historicité » ou la véracité des faits racontés par Platon soit toujours d’actualité, notre

425 Robert Graves, Les mythes grecs, (trad. de l’anglais par Mounir Hafez), Paris, éditions Fayard, 1967 (éd. Anglaise : 1958), t. II, p. 142. Il résume ces divergences en ces termes : « On n’est pas d’accord sur le lieu où vivaient les Hespérides : certains disent que c’était sur le mont Atlas, dans le territoire des Hyperboréens, ou sur le mont Atlas en Maurétanie ; ou bien quelque part au-delà de l’Océan ; ou bien dans les îles près du promontoire appelé Cap Occidental qui se trouve près des Hespérides éthiopiennes, aux frontières d’Afrique. »

426 « Arborae frondes, auro radiante virentes, ex auro ramos, ex auro poma tegebant. »

Ovide, Œuvres complètes, (traduites par Th. Burette, Chappuyzi, J. P. Charpentier, Gros Héguin de Guerle, Mangeart, Vernadé), Paris, C. L. F. Panckoucke, 1835, t. IV, p. 262.

427 « Le lien qui existe entre l’Ombre et le Soleil est également valable entre le Soleil et la Pomme, quand on sait que dans les anciens mythes, les pommes sont souvent d’or. Le jardin des Hespérides contenait des Pommes d’Or analogues à cette Toison d’Or, but d’expéditions des Argonautes, et dont Jason s’empara grâce à la magicienne Médée. »

Jean Markale, Les Celtes et la civilisation celtique. Mythe et histoire, Paris, Payot, 1981, Bibliothèque historique, chap. II, p. 53 - 54.

428 Gonzalo Fernandez de Oviedo, Historia general y natural de las Indias, Madrid, ediciones Atlas, t. I, 1ère part., liv. II, chap. III, 1959, p. 19.

Il est également question des Hespérides : (t. II), 1er part., liv. XIX, chap. I, p. 189 ; (t. II), 2e part., liv. XXIV, chap. VIII, p. 414.

429

Robert Graves, les Mythes grecs, op. cit., t. I, chap. XXXIX, p. 157.

430 Platon, Œuvres complètes, t. II, Paris, éditions Gallimard, 1950, bibliothèque de La Pléiade, vol. LXIV,

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intérêt se porte plutôt sur le rôle joué par l’Atlantide dans l’imaginaire des navigateurs du XVIe siècle.

Le mythe de l’Atlantide est présent dans tous les esprits et beaucoup de chroniqueurs de l’époque y font référence. Lorsque Vicente Yáñez Pinzón (vers 1460-1523) atteint le cap Saint-Augustin, la pointe la plus orientale de l’Amérique du Sud, son chroniqueur italien, Pietro Martire d’Anghiera (1457-1526), relate l’expédition en ces termes : « Je crois qu’il s’agit de ce continent que les auteurs de cosmographie ont dit être la grande Atlantide, mais sans donner de plus amples détails sur sa situation et sur sa nature431 ». Même Bartolomé de Las Casas (1474-1566) remonte à l’Antiquité, aux premiers chapitres de son œuvre, comme bien d’autres chroniqueurs, pour argumenter son témoignage432. Enfin, il semble que l’Atlantide ait été la manifestation de l’idée trés répandue dans l’Antiquité, selon laquelle devrait exister, ailleurs, outre-Atlantique, des terres et des peuples encore inconnus.

Pour Christophe Colomb ainsi que pour ses contemporains, l’Occident n’est autre que l’Extrême-Orient. Cela explique l’apparition sur le continent américain de certaines régions situées à l’est du monde antique et que l’on croyait être en Amérique. Ainsi en est-il des deux pays qui semblent se trouver du côté du levant : Ophir et Tharsis. Étant donné que c’est la Bible qui révèle leur existence, il n’était pas envisageable de mettre en cause les affirmations du texte sacré. Ainsi, les renseignements imprécis fournis par les chapitres IX et X du Livre des Rois, permettent des interprétations multiples et variées. Selon ce texte, le royaume de Salomon entretient des relations commerciales avec les villes d’Ophir et de Tharsis et les Israélites connaissent un regain de prospérité. À cette occasion, le roi Salomon (v. 970-931 av. J.-C.), profite de l’or venu de ces deux pays pour construire le temple de Jérusalem. La Bible décrit le fait en ces termes :

431

Pierre Martyr Anghiera [Pedro Martir de Angleria ou Pietro Martyre d’Anghiera], De Orbe Novo (traduit du latin par Paul Gaffarel), Paris, Ernest Leroux, 1907, chap. VII, p. 200.

432 « (…) Christophe Colomb put raisonnablement croire et espérer, bien que cette grande île eût disparu engloutie, qu’il devait en rester d’autres, ou tout au moins la terre ferme, et qu’en les recherchant, il pourrait les trouver. »

Bartolomé de Las Casas, « Historia de las Indias », dans Obras escogidas, Madrid, Atlas, 1957 - 1958, t. 1, liv. I, chap. VIII, p. 29.

167 « Tous les vases à boire du roi Salomon étaient en or et tous les objets de la

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