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Chapitre 3. Contexte géographique et historique de la Guyane française

3.4 Portrait culturel et démographique de la Guyane sous l'Ancien Régime

3.4.2 Les populations amérindiennes

Sur le territoire actuel de la Guyane, les groupes amérindiens se divisent en trois grandes familles linguistiques : Tupí-Guaraní, Karib et Arawak. Les Kali'na et Wayana sont issus de la famille des Karibs; les Wayàpi et Émerillon de la famille des Tupí-Guaraní; et les Arawak-Lokono et Palikur des Arawak. Ces groupes sont issus de migrations successives provenant d'autres régions du plateau des Guyanes. Les Arawaks auraient migré par la périphérie nord de l'Amazone autour du premier siècle ap. J.C. Les groupes Karib seraient quant à eux arrivés vers l’an 900 sous une première vague migratoire issue du bas Amazone, suivi d'une seconde migration issue du réseau des fleuves du Rio Negro et de l’Orénoque. L'expansion des Tupí-Guaraní dans la région des Guyanes remonterait quant à elle à l'an à 1400 (Mazières 2006: 85-93).

Bien que l'on sépare les populations amérindiennes selon leurs familles linguistiques, il est aussi courant pour des raisons pratiques de considérer séparément les populations du littoral de celles de l'intérieur. Les Amérindiens de l'intérieur tirent leurs subsistances de la forêt tropicale humide et des rivières, tandis que ceux des côtes sont plus fortement tournés vers la mer et tirent parti des mangroves, des marais ou de la forêt galerie (Hurault et al. 1998: 12). Les populations amérindiennes du littoral sont composées de trois ethnies issues de deux différents groupes linguistiques : les Palikur (Arawak), les Arawak-Lokono (Arawak) et les Kali'na (Karib) (Mazières 2006: 93). L'intérieur de la Guyane est occupé par trois populations amérindiennes, issues de deux grandes familles linguistiques : les Wayana (Karib), les Wayàpi (Tupí-Guaraní), et les Émerillons (Tupí-Guaraní) (Mazières 2006: 106). Année Libres (Blancs et Noirs) Esclaves africains Esclaves

amérindiens Amérindiens Source(s)

Vers 1500 0 0 0 ~ 30 000 (Polderman 2004: 172) Vers 1670 N/D N/D N/D ~ 16 500 (Hurault 1972: 363-367) 1677 254 1491 115 - (Losier 2012: 116) 1685 165 1397 - - (Losier 2012: 116) 1710 268 1768 126 - (Losier 2012: 116) 1720 666 2651 - - (Losier 2012: 116) 1733 738 4303 - - (Losier 2012: 116) 1749 777 5471 - - (Losier 2012: 116) 1763 575 7000 - > de 1000 (Hurault 1972: 363-367; Losier 2012: 116) 1765 2401 5728 - - (Losier 2012: 116) 1788 1831 10430 - - (Losier 2012: 116)

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Aux XVIe et XVIIe siècles, un certain nombre de tribus amérindiennes ne pratiquaient pas l'agriculture et préféraient se concentrer sur la chasse ou la pêche tout en faisant la traite avec les tribus voisines d'agriculteurs pour compléter leurs subsistances (Hurault 1989: 12-13). Il semble toutefois qu'avec l'arrivée des Européens, toutes les nations amérindiennes se sont mises à pratiquer l'agriculture sur brûlis (Grenand 1982: 73). Avant l'introduction des outils de fer par les Européens, le défrichement se faisait à l'aide de haches de pierre inappropriées pour l'abattage des arbres, on priorisait donc la force des bras pour les petits arbres et l'usage du feu pour les plus gros (Hurault 1989: 13). Pour la conservation de la viande et des produits de la pêche, les Amérindiens ont mis au point une technique culinaire appelée boucanage. Cette méthode de conservation tient à la fois du séchage, de la grillade et du fumage (Hurault et al. 1998: 100). La technique du boucanage aurait été transmise aux premiers habitants de la colonie et aux Créoles, qui la pratiquent encore aujourd'hui.

Les Amérindiens excellent dans diverses formes d'artisanat, dont l'archerie, la vannerie et la plumasserie (Hurault et al. 1998: 110). Le travail des femmes est plutôt consacré à la préparation du manioc, le tissage du coton, la confection d'ouvrage de perles, la poterie, la cueillette de plantes médicinales et l'agriculture (Hurault et al. 1998). L'architecture diffère entre les ethnies, mais fait tout de même appel à des technologies similaires basées sur des matériaux locaux : toits de palmes, structures de bois (avec ou sans pilotis) et l'utilisation de lianes (Hurault et al. 1998: 50-66). Durant l'époque coloniale, l'habitat durable consistait en des carbets de tailles et de structures variables dont les fonctions étaient diverses. Sont dénotés des carbets domestiques, de passage, de cuisine en plus de ceux destinés pour les rassemblements ou les fêtes (Polderman 2004: 182). L'espace guyanais amérindien était principalement organisé autour du village, centre de la vie politique, tandis que l'ethnie représentait une structure politique plus lâche, mais qui pouvait jouer un rôle dans le cas de guerres interethniques (Mam-Lam-Fouck 1996: 21). Les villages étaient reliés par un réseau de voies de communication forestières parcourues à pied ou par navigation sur les nombreux cours d'eau du plateau des Guyanes soit à l'aide de canots d'écorces ou de pirogues monoxyles (Hurault et al. 1998: 18-19; Mam-Lam-Fouck 1996: 22).

Les structures politiques amérindiennes étaient fondées sur le système de chefferie, en général héréditaire, où la succession obéissait à des règles variables selon les systèmes de parenté. Les capitaines amérindiens dirigeaient les chasses ou guerres, sans toutefois détenir tous les pouvoirs politiques ou civils (Verwimp 2011: 138-139). Le chaman (piai) occupait les fonctions spirituelles de la communauté et agissait aussi dans les règlements de conflits individuels et collectifs, en plus d'occuper certaines autres fonctions politiques (Mam-Lam-Fouck 1996: 21). Les anciens étaient respectés et écoutés. Leurs responsabilités étaient confirmées par des cérémonies d'initiation. Des

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rituels d'initiation existaient aussi pour tous les membres d'une communauté amérindienne, chacun devant subir des épreuves à certaines étapes de leur vie (Polderman 2004: 181-182). D'après Verwimp (2011: 115), parmi les Amérindiens en contact avec les jésuites, on distingue trois formes de croyances, soit : les événements météorologiques et astraux, les animaux et les entités spirituelles. Ces croyances se caractérisent par diverses formes de rituels ou de pratiques spirituelles. Au niveau des rites mortuaires et funéraires amérindiens, le défunt est parfois enterré dans une sépulture avec ses ornements et ses bijoux, en prenant soin que son corps ne soit pas mélangé avec d'autres ossements (Verwimp 2011: 116-119).

3.4.2.1

Les groupes amérindiens présents à l'époque coloniale

D'après Hurault (1989), dans les débuts de la colonisation, on estime la présence de six groupes amérindiens sur le littoral et d'au moins 18 groupes à l'intérieur de la Guyane, pour un total avoisinant plus de 15 000 personnes. D'autres estiment ce nombre à près 30 000 pour le territoire de la Guyane française, au début du XVIIe siècle (Lézy 2000: 52). Le début de la période coloniale et l'arrivée des Européens ont toutefois coïncidé avec une très forte décroissance démographique chez les populations amérindiennes. Les causes de cet effondrement démographique sont variées. Tout d'abord, les épidémies causées par l'importation par les Européens de virus et microbes tels que la variole, la rougeole, la tuberculose et les virus respiratoires (grippes ou rhumes), qui ont d'abord touché les populations du littoral et celles de l'intérieur, ont été dévastatrices. Les Européens ont aussi accentué cette baisse démographique, en s'associant à des guerres ou en fournissant des armes aux Amérindiens, profitant des conflits interethniques préexistants entre les groupes indigènes du plateau des Guyanes (Hurault et al. 1998: 13-14). Finalement, on compte de nombreux mouvements migratoires chez les populations, ce qui a contribué à remodeler radicalement le paysage démographique amérindien sur le plateau des Guyanes. Ainsi, dès la fin du XVIIe siècle, des ethnies devenues moins populeuses qu'au siècle précédent se sont assimilées aux groupes dominants, principalement Kali'na, et Palikur (Polderman 2004: 176).

3.4.2.2

Occupation amérindienne de l'île de Cayenne

Avant l'arrivée des Européens, l'île de Cayenne marquait une frontière culturelle et politique entre deux groupes autochtones, les Kali'na (Karib) à l'ouest et les Palikurs (Arawak) et leurs alliés dans l'est (Coutet 2010). Selon Hurault (1989), l'île de Cayenne abritait une population importante du groupe amérindien des Galibis (Kali'na). Le père Grillet mentionne aussi la présence des Aracarets (famille des Karibs) sur l'île de Cayenne avant l'arrivée des Européens et au moins jusqu'en 1673 (Abonnenc 1951: 14, Lombard 1928: 138). À proximité du site de l'habitation Loyola, sur le sommet tabulaire de la montagne à Colin, une quantité abondante de tessons de céramique et d'outillage

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lithique ont été retrouvés. Il s'agirait des restes d'un important village dont les habitants auraient profité de cet emplacement propice à une position défensive (Le Roux et al. 2009: 21).

Au fil des voyages d'exploration européens et des tentatives de colonisation de l'île de Cayenne, les populations amérindiennes présentes, plus particulièrement les Kali'na ont entretenu des relations souvent hostiles (bien que parfois amicales) à l'endroit des Européens. En 1666, le recensement du gouverneur La Barre, permet de constater une nette diminution des groupes du littoral (Hurault 1989: 27-37). En 1666, ce dernier conclut une entente avec les Galibis (Kali'na), où il leur demande de ne plus s'établir sur l'île de Cayenne en s'engageant en contrepartie à les laisser en paix et à leur autoriser le libre commerce avec les habitants (Mam-Lam-Fouck 1996: 60). À partir de 1685, d'autres groupes, notamment les Arouas (Arawak), fuyant les hostilités portugaises, viennent se réfugier et s'établir à l'est de l'île de Cayenne (Hurault 1989: 27-37).

Dès le début du XVIIIe siècle, les Français de Cayenne ont pris conscience du dépeuplement amérindien du littoral et des environs immédiats de l'île de Cayenne. En 1711, le Père Ramette mentionne qu'il ne reste pas plus de quatre cents Galibis entre l'île de Cayenne et le Maroni. Le père Chrétien mentionne quant à lui en 1718 que plusieurs des nations amérindiennes ne sont réduites qu'à une cinquantaine de personnes. À partir de 1715, les quelques centaines d'Amérindiens du littoral sont pratiquement tous rassemblés dans les régions de Kourou et de Sinnamary au sein des missions et ils passeront directement ou indirectement sous le contrôle des jésuites qui les isoleront le plus possible de Cayenne (Hurault 1989: 27-37).

3.4.2.3

Esclaves amérindiens

Les colons français auraient pratiqué l'esclavage des Amérindiens surtout dans les débuts de la colonie. La part d'esclaves amérindiens dans la population servile des habitations est toutefois demeurée modeste, représentant en moyenne 1% et ne dépassant jamais 6% à 8,5 % (Polderman 2004). On retrouve la mention d'Amérindiens dans les recensements, au sein de quelques habitations coloniales, c'est le cas notamment l'habitation Loyola6F

10 où figure la présence « d'Indiens esclaves » jusqu'en 1709. Les esclaves amérindiens étaient employés aux tâches domestiques, artisanales ainsi qu'aux activités de chasse et de pêche, plutôt qu'aux travaux des champs (Le Roux et al. 2009; Verwimp 2011: 161). Ce phénomène était plus marqué sur les habitations de petite à moyenne dimensions, éloignées de l'île de Cayenne, notamment sur l'Oyapock (Le Roux et al. 2009: 60). L'esclavage amérindien prendra toutefois fin en 1739, au moment où ces derniers seront déclarés

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sujets de Sa Majesté, les esclaves et leurs descendants seront donc remis en liberté (Le Roux et al. 2009: 103).