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Interactions culturelles entre Européens, Amérindiens et Africains : Une relation

Chapitre 3. Contexte géographique et historique de la Guyane française

3.4 Portrait culturel et démographique de la Guyane sous l'Ancien Régime

3.4.5 Interactions culturelles entre Européens, Amérindiens et Africains : Une relation

La colonisation de la Guyane a entrainé une période d'interactions culturelles entre des populations nouvellement en contact. Nous évaluons ici, de quelle façon elles se sont manifestées et quelles ont été les conséquences de ces interactions entre les populations amérindiennes, africaines et européennes, en s'attardant plus particulièrement sur le rôle joué par les jésuites. Les documents d'archives traitent généralement du point de vue des Européens par rapport aux autres groupes culturels présents en Guyane française. Cependant nous tentons ici d'éviter les biais eurocentristes en abordant d'un point de vue critique les attitudes réciproques générales manifestées entre chacun des groupes.

Les premiers temps de la colonisation ont été particulièrement favorables aux échanges et aux emprunts culturels entre les premiers colons européens et les populations amérindiennes du continent sud-américain. Tout d'abord, au cours du XVIIe siècle, les déficiences chroniques dans l'approvisionnement venant d'Europe ont laissé les premiers colons grandement isolés dans un environnement hostile (Losier 2012). Ce contexte a incité les colons à s'appuyer sur les techniques et connaissances locales des populations autochtones pour leur logement, l'approvisionnement alimentaire, l'agriculture et le transport (Hurault 1989: 48; Le Roux 1994). Tout au long de l'époque coloniale, des amérindiens ont aussi été employés à diverses activités, notamment en tant que navigateurs, cultivateurs, chasseurs, pêcheurs, piroguiers, guides, ouvriers et fabricants de pirogues et de hamacs (Polderman 2004: 203-204). Les représentants de l’administration coloniale avaient aussi recours sur une base volontaire aux groupes amérindiens pour diverses tâches, par l’intermédiaire de réquisitions appelées « service du roi » (Hurault 1989: 116). En conséquence, les apports amérindiens à la population coloniale ont été fort nombreux et incluent notamment des connaissances sur la géographie locale, la flore et la faune, les modes de transport (canoë), l'agriculture sur brûlis, les pratiques culinaires (utilisation du manioc et du mil) et la préparation des

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aliments tels que le boucanage (fumage) des poissons et de la viande, l'adoption du hamac et des influences dans l'architecture traditionnelle guyanaise (Hurault et al. 1998: 21-22,42,100; Le Roux 1994: 234, 256, 333, 347, 559; Losier et Coutet 2014a; Polderman 2004: 209).

Le contact entre Européens et populations autochtones s'est d'abord manifesté sous la forme d'échanges économiques, notamment via le commerce de traite. Les Amérindiens échangeaient des denrées alimentaires (produits agricoles, de la chasse et de la pêche), des produits locaux (bois, plumes d'oiseau) et des produits artisanaux tels que des hamacs, des « pierres vertes »7F

12 ainsi que du matériel pour travailler le manioc (grages à manioc, couleuvres pour l'égoutter, manarets pour la passer et pagarets). Comparativement, les objets échangés aux Amérindiens par les Européens consistaient en des objets métalliques, tels que des haches, des serpes, des aiguilles, des clous, des couteaux, des crochets, des machettes, des anneaux, etc. Parmi le matériel de traite se trouvent également l'alcool, des céramiques, objets de verre, et des objets dits de pacotille, tels que des miroirs et des perles de verre (appelées rasades), spécifiquement destinés au commerce avec les amérindiens.

Pour les administrateurs, les produits de traite servaient entre autres à rémunérer les Amérindiens en échange des services qu’ils effectuaient dans la colonie, ceux-ci tâcheront donc toujours de garder en réserve des objets spécifiquement désignés pour ces échanges (Hurault 1989: 116-117). D'ailleurs, les autorités politiques incluaient dans la dépense du roi une somme allouée pour les présents aux « Indiens » (Polderman 2004: 189). Si la traite était dans les premiers temps de la colonie le fait d'hommes isolés, elle deviendra plus généralisée par la suite. Au XVIIIe siècle les jésuites y participeront aussi et seront d'ailleurs accusés par d'autres habitants d'abuser de leur position afin de se livrer à un marché fructueux, du fait de leur proximité avec les amérindiens (Polderman 2004: 192). En plus des objets susmentionnés, les jésuites donnaient plus spécifiquement, à l'endroit des amérindiens, des images pieuses, des remèdes-médicaments et des crucifix, dans l'espoir que ces présents suscitent la foi chez leurs bénéficiaires (Verwimp 2011: 230). Les échanges constituaient pour les Européens une forme de contrôle et un élément de dépendance envers les populations amérindiennes : « Ce qui flatte le plus particulièrement les Indiens est la boisson [...] à laquelle il ne serait pas mal de les accoutumer ainsi qu'à l'usage de toutes les choses d'une grande consommation qui multiplie leurs besoins et les mettent dans le cas de ne pouvoir se passer de nous »8F

13. Leur

12 Ces pierres pouvaient être en serpentine, néphrite, stéatite, quartzite et en granite. Les Amérindiens étaient notamment inhumés avec. Elles étaient recherchées par les Européens pour leurs pouvoirs guérisseurs (Polderman 2004 : 190). 13 Rapport adressé par le gouverneur Fiedmont au ministre de la Marine en 1767 (Polderman 2004 : 192).

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dépendance à l'égard des produits européens est d'ailleurs devenue rapidement très importante (Hurault 1989: 118-119).

Dans leurs attitudes, les Amérindiens ont fait montre à la fois d'hospitalité, de curiosité, d'indifférence, de méfiance ou d'incompréhension envers les Européens (incluant les missionnaires jésuites). Ils avaient principalement un intérêt marqué pour les produits manufacturés par les européens. Ils s'alliaient également aux Européens pour participer à leurs guerres qui s'avéraient plus meurtrières avec l'utilisation des armes à feu (Hurault 1989: 26-31). Leur peu d’intérêt envers la religion catholique conduira à l’échec des principales tentatives d’évangélisation par les missionnaires, qui useront de nombreuses stratégies pour tenter de convertir les peuples autochtones (Hurault 1989: 100-101; Verwimp 2011).

Les Européens ont quant à eux porté à l'endroit des Amérindiens une attitude à la fois teintée de convoitise, de condescendance (ou racisme), de crainte et de méfiance, d'intérêt et de mépris, (Polderman 2004: 169-173), mais aussi de fascination, d’estime et de sympathie (Hurault 1989: 94- 95). Le contact entre les Amérindiens et les Européens s'est parfois soldé par des affrontements, dont des actes de légitime défense de la part de groupes amérindiens par suite d'agressions de la part des Européens (Polderman 2004: 169-173). Les autorités de la colonie ont aussi tenté d’administrer indirectement les groupes autochtones par l’intermédiaire de leurs chefs de tribus, mais aussi en les régissant sur le plan judiciaire, sans toutefois se référer à la loi française (Hurault 1989: 101-104). Malgré une attitude paternaliste, les Français vont tout de même considérer les Amérindiens en tant que peuples libres, ce qui leur confèrera une protection relative et le droit de libre-circulation dans la colonie (Polderman 2004: 169-173).

En ce qui concerne les populations d'origine africaine, les colons européens dans leurs écrits ne semblent pas avoir grandement considéré les aspects sociaux, culturels et spirituels des populations d'esclaves africains ou des Noirs libres. Les esclaves étaient avant tout considérés comme sans culture par leurs contemporains instruits et par les philosophes des Lumières (Polderman 2004: 383). Plutôt que de s'intéresser à leur culture, les maîtres étaient surtout soucieux du bon état de leurs esclaves, en tant que « marchandise » et de leur force de travail, pour laquelle ils avaient investi des sommes parfois importantes. Les écrits des colons fournissent donc principalement des informations techniques quant au dénombrement des esclaves, leurs tâches, l’organisation du travail, l’état des ateliers, etc. Autrement, on sait que les esclaves à talents, formés ou qualifiés pour des tâches essentielles, avaient tendance à être mieux traités que les autres esclaves affectés aux travaux des champs (Polderman 2004: 381-412).

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Les Africains ont quant à eux manifesté diverses formes de résistances au système esclavagiste. Les attitudes d'opposition, tels qu'attestées dans les documents d'archives et dans les témoignages historiques, se manifestaient par des pratiques et comportements de diverses gravités : danses, attroupements, vols, désobéissances, refus des tâches imposées, mauvaise exécution du travail, révolte verbale ou physique, assassinat du commandeur (assez fréquent) ou du maître (très rare), empoisonnement, maladie, avortement, infanticide, suicide, la complicité ou le silence couvrant le marronnage, la communication de renseignements aux marrons sur les habitudes du maître, etc. (Le Roux 1994; Mam-Lam-Fouck 1982: 65; Price et Price 2003).

Au niveau du métissage sexuel, le mariage avec une esclave était toléré dans les débuts de la colonisation, mais a été prohibé à la fin du XVIIIe siècle. On compte tout de même un certain nombre de métissages entre Européens et esclaves africains (Polderman 2004: 519-522). Le métissage avec les Amérindiens est aussi pratiqué, par exemple, entre 1693 et 1757, on compte vingt-deux mariages mixtes entre Amérindiennes et Européens et trois mariages entre une Amérindienne et un Noir libre, trois autres ne sont pas précisés (Polderman 2004: 168). Chez les jésuites, il est aussi fait mention que le père O'Reilly aurait fait venir de l'Oyapock des « Indiennes » pour les marier avec ses esclaves noirs (Thibaudault 1995: 34). Des cas de mariages mixtes entre Blancs et gens de couleur libres sont aussi attestés, bien qu'il soit difficile d'en mesurer la proportion. Les descendants de ce genre d'union se faisaient appeler « mulâtres », tandis que « Métis » désignait plutôt tout croisement au-delà de mulâtre (Mam-Lam-Fouck 1982: 76).

La relation entre Amérindiens et Africains est peu documentée et semble assez complexe. On sait d’après les écrits coloniaux que les peuples autochtones participaient parfois aux grandes chasses organisées à la poursuite des esclaves fugitifs (Polderman 2004: 204). Cependant il semble qu'il ait également existé une certaine solidarité de la part des Amérindiens envers les Africains dans leurs conditions d'esclaves, comme cela est témoigné dans la tradition orale de la société marronne des Saramaka (Price 1994). Il est aussi vraisemblable de croire qu’il y ait eu diverses formes d’interactions associées à des échanges mutuels de connaissances entre ces deux populations, malgré une concurrence et une certaine méfiance. Ces relations entre les esclaves africains et les Amérindiens semblent toutefois n'avoir été que ponctuelles, puisqu'en dehors des missions ou des établissements coloniaux de l'intérieur des terres, les amérindiens étaient peu présents dans l'univers colonial.

Les interactions et les échanges culturels entre ces groupes ont également eu une incidence sur les productions matérielles. Comme le soulignent Losier et Coutet (2014a), l'interaction entre Amérindiens, Européens et Africains semblent avoir eu une influence dans les traditions potières de

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Guyane, entrainant l'apparition de céramiques métissées. Certaines productions céramiques, marqueraient de par leurs formes spécifiques ou leurs techniques de décoration ou traitement de surface représenté par des « motifs simples peints à l’engobe rouge, ponctuations au doigt ou à l’ongle sur les bords, modelés-appliqués » (Losier et Couter 2014: 186), des influences des traditions potières amérindiennes ou africaines. Similairement, les bouteilles Kali'na dites Watrakan, ont une forme qui rappelle les premières bouteilles européennes, mais dont la production est attribuée au groupe amérindien Kali'nas et l'usage était destinée aux populations créoles et européennes (Losier et Couter 2014: 185-186). D'autres poteries retrouvées en Guyane comportent également un motif décoratif spécifique constitué de cercles et de croix. Ce motif a été retrouvé à la fois sur une urne funéraire amérindienne et une poterie coloniale dans des contextes compris entre la fin XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle. D'après Losier et Coutet (2014a: 183), ce type de décor, inconnu dans la tradition stylistique européenne du XVIIe siècle, mais retrouvée sur d'autres sites de plantation ou associés à la diaspora africaine. Il pourrait être associé au cosmogramme Bakongo, connu de nombreux groupes de l’Afrique de l’Ouest. D'ailleurs, d'après Stefania Capone (2005: 46): « le symbole de la croix chrétienne aurait été immédiatement perçu par les esclaves d'origine bantu comme relevant de leur cosmologie », d'autant plus que « bon nombre des esclaves bantu connaissaient déjà les symboles de la religion chrétienne, puisque le royaume du Congo avait été le premier à adopter le christianisme en Afrique » (Capone 2005: 46).

3.4.5.1

Attitude des jésuites envers les populations amérindiennes et groupes

d'ascendance africaine

Durant l'époque coloniale, les interactions culturelles et sociales entre les jésuites, les Amérindiens et les Africains se sont produites au sein de deux grandes sphères d'interactions quotidiennes. On retrouve d'abord le contexte de l'habitation agricole, où on observe une interaction quotidienne et fréquente teintée d'une relation de domination morale et physique des jésuites envers les esclaves africains. À l'opposé, au sein des missions catholiques, les missionnaires ont entretenu des relations plus étroites, ponctués d'échanges économiques, matériels et d'instruction religieuse avec les groupes amérindiens de Guyane (figure 6).

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Figure 6 Schéma simplifié représentant les sphères d'interactions entre les jésuites (Européens), les esclaves africains et les Amérindiens.

Les jésuites ont ainsi maintenu des relations distinctes entre les peuples autochtones et les esclaves africains. Ils ont notamment agi en tant que défenseurs des groupes autochtones, en intervenant souvent auprès du gouverneur ou des autres habitants pour faire cesser les pratiques injustes, les persécutions ou l'exploitation (esclavage) des Amérindiens en Guyane (Hurault 1989; Le Roux et al. 2009: 59-61; Poucet 2012: 236). Il semble également que les jésuites n'aient pas tenté de modifier radicalement les coutumes familiales, le mode de vie et l'habitat des Amérindiens. Ils apprendront la langue de certains groupes, produisant des dictionnaires de traduction, notamment dans le but d'atteindre leurs objectifs de conversion (Collomb 2006). Ces derniers ont aussi toléré dans une certaine mesure la nature mobile des Amérindiens, sous condition que ces derniers continuent de se réunir pour les messes dominicales. Ils s'efforceront finalement de maintenir les productions artisanales amérindiennes et même d'en accroître la production, notamment dans un objectif pécunier, afin de subvenir aux besoins des missions de Kourou et de Sinnamary (Hurault 1989: 58).

En revanche, s'ils se sont portés comme défenseurs des populations amérindiennes, l'attitude manifestée par les jésuites envers les esclaves africains demeure beaucoup plus ambigüe. Malgré une opposition formelle à l'asservissement des Africains par les Portugais au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, les jésuites accepteront tout de même assez rapidement la situation de l'esclavage colonial des populations africaines, qui était déjà bien implanté dans le monde colonial. Ils justifieront l’asservissement des populations africaines, par l’abondance apparente de ces derniers sur le continent

Européens

(jésuites)

Africains

Amérindiens

Monde colonial

Habitation agricole

Mission catholique

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africain ou selon des références bibliques dont figure la malédiction de Canaan (Collomb 2006: 97). Ils pratiqueront aussi l’esclavage à condition que les esclaves soient initiés à la religion catholique. Les conversions s'avéreront d'ailleurs beaucoup plus faciles et durables qu'avec les Amérindiens (Poucet 2012: 237), bien que celles-ci ont été fort probablement facilitées par les contraintes de l'esclaves et par l'autorité morale que devaient exercer les pères jésuites à l'endroit des esclaves. Pour preuve, notons dans l'estimation des biens de jésuites au moment de leur expulsion, le nombre important d'esclaves portant des noms français, probablement issus de leurs baptêmes, en plus de la proportion importante d'hommes et de femmes mariés (Verwimp 2011). Cet extrait du père de la Mousse (1684-1691), exprime une partie de la conception de la religion catholique pour les esclaves africains du point de vue d'un jésuite (Collomb 2006: 97) :

... quand ils sont une fois chrétiens, leurs enfants et leur postérité, qui est toujours esclave, ne quitte jamais le christianisme, parce qu'ils sont domestiques des Français, et que par toutes les raisons divines et humaines, leur intérêt est d'être chrétien afin d'être considérés de tout le monde et d'être reçus dans les églises avec leurs maîtres et les gens les plus considérables.

Les jésuites se chargeront donc de l'instruction religieuse des esclaves de la colonie, se rendant périodiquement en semaine sur les habitations ou à l'église dans les villes, où les esclaves devaient se rendre les dimanches et les jours de fête (Verwimp 2011: 168). La religion jouera un rôle accru dans l'intégration des populations africaines dans la société coloniale, comme le souligne Le Roux (1994: 793) : « En valorisant la cellule familiale selon un schéma chrétien (prohibition de la polygamie, des unions libres, condamnation des différentes formes d'animisme). On a pu dire que cette institution a tenté de « désafricaniser » les esclaves jusque dans leurs rituels d'inhumation ». La religion catholique et ses préceptes, constituait un redoutable instrument de soumission et de contrôle envers les esclaves africains, comme en témoigne cette citation du père Jean de la Mousse (1684- 1691) : « Les Indiens et les Nègres sont fort touchés des honneurs qu'on leur rend après la mort, et une des considérations les plus fortes qu'on a pour faire les Nègres chrétiens est de leur dire qu'on les traitera après la mort comme des chiens ou des chevaux, s'ils ne sont pas baptisés » (Collomb 2006: 97).

La vie des esclaves sur une habitation jésuite était donc rythmée par les obligations religieuses et les tintements de la cloche de l'église. Les prières du matin et du soir ouvraient et concluaient la journée de travail, elles donnaient aussi l'occasion au maître d'examiner les esclaves et de contrôler les absences. Les manquements aux offices étaient considérés comme une forme de rébellion et pouvaient être punis par le fouet. Les jésuites ont même adapté une messe chantée à l'usage des esclaves de Loyola. Les messes du dimanche et des fêtes religieuses étaient d'ailleurs

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souvent en français adapté et non en latin. Les religieux se déplaçaient aussi à travers les habitations pour le catéchisme et les prières. Des cadeaux et récompenses (bons points et médailles) permettaient de souligner les bons comportements chrétiens (Le Roux et al. 2009: 111-117; Poucet 2012: 240). Les jésuites usaient de tous les artifices possibles lors des cérémonies religieuses afin d'impressionner esclaves et Amérindiens. Le père de la Mousse en fait notamment état en parlant d'une procession funéraire qu'il organisa « Nos Français avouèrent que hors de nos villes ils n'avaient rien vu ailleurs de plus beau que cette procession qui donna aux Nègres de grandes idées de la religion. » (Collomb 2006: 131).

Dans le traitement réservé à leurs esclaves, les jésuites suivront généralement les règlements du Code Noir. Comme nous l'avons vu précédemment, les prescriptions associées à ce code de loi, impliquent un grand nombre d'obligations religieuses et assure également les besoins élémentaires (habillement, nourriture, logement, etc.) aux populations d'esclaves. En contrepartie, les punitions encadrées par le Code Noir sont assez sévères, celles-ci pouvant se solder par divers châtiments corporels pouvant aller jusqu'à la peine de mort (Le Roux et al. 2009: 111-112). Les pères pouvaient cependant aussi faire montre d'une certaine compassion envers les esclaves et leurs conditions de vie, comme le démontre cette citation du père Fauque supérieur de Cayenne: « Qu'il est triste pour un homme raisonnable et susceptible de réflexions et de sentiments, de voir vendre ainsi son semblable comme une bête de charge » (Le Roux et al. 2009: 112-113). Ils se porteront aussi à leur défense contre les abus de certains colons et tenteront de faire respecter auprès des maîtres, les obligations de nourriture et les congés imposés par les fêtes religieuses et les dimanches (Le Roux et al. 2009: 116). Pour toutes ces raisons, les esclaves des jésuites étaient globalement mieux traités que leurs compagnons d'infortune, surtout ceux des moyennes et des grandes habitations. Ils jouissaient donc d'un important prestige auprès des esclaves, ce qui leur assurait un certain contrôle envers cette population nombreuse, comme en fait foi l'absence de rébellion documentée sur l'habitation Loyola dirigée pendant près d'un siècle le plus souvent pas un seul frère coadjuteur. (Le Roux et al. 2009; Verwimp 2011).

Autrement, malgré une curiosité scientifique et intellectuelle envers les Amérindiens, les religieux ne semblent jamais avoir manifesté un réel intérêt envers la culture africaine ou les pratiques religieuses animistes des esclaves africains (Poucet 2012: 238). Les danses africaines ont été qualifiées de « lubriques et obscènes » et les pratiques morales, douteuses (Collomb 2006: 196 cité dans Poucet 2012: 239). Poucet (2012: 242), résume assez bien dans cet extrait l'attitude des jésuites envers les Africains et l'esclavage :

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S'ils ont su être des passeurs auprès des Amérindiens et des Africains, voire des défenseurs, s'ils ont tenté de saisir quelque chose de la culture amérindienne qui les déroutait, car c'était, dans le langage du temps, « l'univers des sauvages », en revanche, ils n'ont pas compris la culture africaine et n'ont fait aucun effort pour la comprendre: il n'y a pas eu, là, de véritable rencontre interculturelle, pas d'étude anthropologique, pas