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4. Quels sont les liens potentiels entre migration et autisme ?

5.1. Population 1 Groupe autiste

Le groupe autiste est constitué de 30 garçons avec autisme, selon les critères diagnostiques DSM-5 (APA, 2013) et CIM-10 (1994) validés par deux pédopsychiatres puis vérifiés par les échelles ADI-R (Lord, Rutter, Le Couteur, 1994) et ADOS (Lord, Risi, Lambrecht et al, 2000). Les moyennes des scores d’ADI-R, d’ADOS et le score total de la CARS sont rapportées dans le Tableau n°2. Pour rappel, l’échelle ADI-R est un entretien parental semi-structuré mené par un clinicien auprès des parents de l’enfant. Il s’agit de recueillir des informations dans les domaines des interactions sociales réciproques, de la communication et du langage, ainsi que des comportements stéréotypés et répétitifs. L’ADI-R prend en compte les éléments du développement dans la petite enfance (l’algorithme est établi sur la période de vie de 4 à 5 ans, et le diagnostic d’autisme est validé en rétrospectif), ainsi que la présentation clinique actuelle. L’échelle ADOS est quant à elle une évaluation semi-structurée du langage et de la communication, de l’interaction sociale réciproque, des comportements répétitifs et des intérêts restreints, ainsi que de l’imagination et la créativité, au moyen d’une observation directe de l’enfant réalisée dans des conditions de jeu standardisées. Ces deux échelles sont souvent utilisées de manière complémentaire en pratique clinique afin d’étayer un diagnostic d’autisme lorsqu’il est suspecté. La situation de jeu standardisée de la passation de l’ADOS est également utilisée pour évaluer les critères diagnostiques d’autisme selon la CARS (Child Autism Rating Scale). A noter, les 3 échelles diagnostiques utilisées ont également permis d’évaluer la sévérité des troubles autistiques, dans les domaines comportementaux principaux de l’autisme, à savoir, la communication

verbale et non verbale, les interactions sociales, et les stérétoypies/intérêts restreints.

Le niveau d’efficience intellectuelle de la population d’autistes recrutés a été évalué au moyen des matrices de Raven (Raven, 2003). Il s’agit d’un test évaluant le niveau intellectuel, qui serait plus adapté aux personnes autistes que les tests « classiques » d’évaluation de l’intelligence (tel que le test de QI de Wechsler), qui sous-estimeraient leur niveau intellectuel (Dawson et al., 2007 ; Motron, 2011). Sur la population des 30 garçons avec autisme, 13 présentaient une déficience intellectuelle (classe 5 du score de Raven), 3 présentaient des capacités intellectuelles nettement inférieures à la moyenne (classe 4 du score de Raven), 2 présentaient des capacités intellectuelles moyennes (classe 3 du score de Raven), 1 présentait des capacités intellectuelles nettement supérieures à la moyenne (classe 2 du score de Raven), et pour 11 enfants l’évaluation n’a pas été possible (non accès à la consigne, arrêt en cours de passation, trop grande excitation de l’enfant).

Les enfants étaient en moyenne âgés de 11.4 ± 2.1 années (IC 95% 7.2- 15.5). Seuls des garçons avec autisme ont été recrutés, le sexe masculin étant plus fréquent dans les troubles du spectre autistique, avec un ratio de 2,5 à 4 garçons en moyenne pour une fille (Lord, 1982). Le recrutement a été réalisé dans plusieurs régions françaises, à savoir la région Bretagne (Rennes et Brest), Poitou-Charentes (Poitiers), Champagne-Ardenne (Reims et Epernay) et Ile de France (Paris).

5.1.2. Groupe contrôle pathologique

Le groupe contrôle pathologique a été apparié sur l’âge et le sexe avec le groupe autiste. Il est composé de 30 garçons âgés en moyenne de 10.7 ± 2.1 années (IC 95% 6.7-14.8). Les garçons du groupe contrôle sont tous venus consulter en CMP (Centre Médico Psychologique) au sein du service PHUPEA (Pôle Hospitalo Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent) dépendant du CHGR de Rennes, pour des troubles du langage ayant nécessité au minimum un bilan d’orthophonie, mais sans trouble du spectre autistique associé (critère d’exclusion). Sont exclus les enfants pour lesquels un diagnostic de la série F84 (selon la CIM-10) a été porté. En revanche, n’étaient pas exclues les autres comorbidités psychiatriques (ont été retrouvés des troubles de l’adaptation, troubles des conduites, troubles hyperkinétiques, somatisation en regard de la CIM-10).

Au total, tous les enfants relevant de ces critères d’inclusion et ayant consulté sur les 5 CMP du pôle PHUPEA ont été systématiquement contactés pour participer à cette étude.

Pour les 2 groupes d’enfants, le consentement des parents a été recueilli, et l’étude a été menée conformément aux principes éthiques énoncés dans la déclaration d’Helsinki (1964).

A notre connaissance, il s’agit de la première étude à proposer une comparaison du facteur d’exposition « migration » entre une population d’enfants autistes et une population d’enfants témoins non autistes, mais souffrant de troubles du langage les ayant amenés à consulter en CMP avec un(e) orthophoniste. On peut se demander pourquoi avoir sélectionné un groupe contrôle pathologique sur le critère des troubles du langage non spécifiques. On peut en effet se demander si le lien entre migration et autisme, déjà retrouvé dans des études antérieures comparant le pourcentage de parents immigrés chez des enfants autistes versus enfants témoins en population générale, est spécifique de la pathologie autistique, ou serait-il plutôt le reflet de troubles du langage verbal, dimension importante faisant partie du diagnostic de trouble du spectre autistique. Si la différence s’avérait non significative entre nos deux populations étudiées, ceci pourrait suggérer que le lien « migration- autisme » rapporté par des études antérieures sur le sujet ne serait pas spécifique de la pathologie autistique, mais relèverait plus d’un lien entre migration et troubles du langage, dimension ici commune aux deux groupes étudiés. On pourrait alors s’intéresser au développement du langage en situation migratoire, lorsque plusieurs langues sont parlées dans l’environnement de l’enfant (environnement familial, scolaire et social).

5.2. Evaluations

Pour répondre aux objectifs principaux et secondaires de notre étude, des entretiens semi-structurés ont été réalisés avec les familles de chaque groupe, au moyen d’un questionnaire original que nous avons élaboré.

Plusieurs facteurs de vulnérabilité environnementaux à la pathologie autistique sont étudiés et recueillis à l’aide de ce questionnaire (présentation du

questionnaire en annexe), leur pertinence ayant été reconnue à la lumière de la

parentale (critère de jugement principal), pour répondre à l’objectif principal. La définition du statut d’immigré retenue est celle de l’Insee, à savoir qu’un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. D’autres questions s’intéressent au vécu migratoire pour répondre à l’objectif secondaire.

Notons l’importance de prendre en compte les potentielles variables confondantes, pour mieux comprendre par la suite si le facteur migration est indépendant ou corrélé à d’autres facteurs de vulnérabilité environnementaux connus à la pathologie autistique.

Les données suivantes sont ainsi recueillies en lien avec les objectifs principaux et secondaires, de façon à la fois qualitative et quantitative : pays de naissance des parents, date d’immigration des parents ou de l’enfant en France (durant l’enfance ou à l’âge adulte ; Magnusson et al., 2012), pays de naissance de la mère et indice de développement humain du pays (pour les parents et grands- parents), moment de la migration en regard de la naissance du cas index (Magnusson et al., 2012), langue parlée à la maison (Schieve et al., 2012), degré d’urbanisation du milieu de vie des parents (Lauritsen et al., 2005 ; Gillberg et al., 1987 ; Keen et al., 2010), liens avec le pays et la communauté d’origine, modalités de contact avec la nouvelle culture, processus d’acculturation (Herskowits, 1938), présence éventuelle de la famille dans le pays accueillant et qualité des relations intra-familiales, vécu de l’expérience migratoire (stress notamment), motif de la migration (Baubet et Moro, 2013).

Des variables d’intérêt, reconnues comme facteurs de vulnérabilité environnementaux participants à la genèse des troubles autistiques sont également étudiées, telles que : présence de complications obstétricales (saignements notamment), poids de naissance de l’enfant pour l’âge gestationnel, éventuelle prématurité, score Apgar à 1 et 5 minutes de vie (témoin d’une hypoxie néonatale) (Magnusson et al., 2012 ; Gardener et al., 2009 ; Kolevzon, 2007), type de présentation de l’enfant à l’accouchement (siège ou sommet), présence éventuelle d’un déficit sensoriel (Tordjman et al., 2014), possible prise de médicament pendant la grossesse (Strombland et al., 1994 ; Tordjman et al., 2014 ; Williams et al., 2001), antécédents de dépression maternelle et moment de survenue d’un éventuel épisode dépressif en utilisant les critères du DSM-5 (Harrington, 2014 ; El Marroun, 2014), éventuel antécédent d’épisode dépressif chez le père (Rai et al., 2012), conditions socio-économiques défavorables (Delobel-Ayoub et al., 2015 ; Rai et al., 2012),

rythmes de vie familiaux et de l’enfant (Liu, Zhang, Rodzinka-Pasko et Li, 2016 ; Tordjman et al., 2014 ; Tordjman et al., 2015 ; Tordjman, Anderson, Pichard, Charbuy et Touitou, 2005 ; Tordjman, Anderson, Bellissant, Botbol, Charbuy, Camus et al., 2012), encore appelés « zeitgeber » (Ehlers, 1988), âge parental (Kolevzon, 2007 ; Gardener et al., 2009), position de l’enfant dans la fratrie (c’est-à-dire être l’aîné si fratrie de deux enfants, ou le cadet si fratrie d’au moins trois enfants) (Gardener et al., 2009).

5.3. Procédure

L’étude a été expliquée par mes soins aux parents des enfants du groupe contrôle, en des termes adaptés et clairs, de façon à potentiellement recueillir leur consentement libre et éclairé. Si les familles acceptaient de participer à l’étude, un entretien téléphonique ou une consultation au sein de leur CMP habituel leur était proposé (soit deux modalités de passation du questionnaire possibles). La procédure de recrutement des sujets contrôles est présentée dans la Figure 1.

La passation du questionnaire pour le groupe autiste a, quant à elle, eu lieu dans la mesure du possible, soit dans la plupart des cas, au cours d’un entretien clinique « physique » ; pour des raisons de contraintes temporelles ou géographiques, il a pu leur être proposé un entretien téléphonique. Le groupe autiste a été recruté parmi une cohorte d’enfants autistes déjà suivie pour l’étude méladose (Tordjman et al., 2013).