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Les voyageurs insistent dans leurs récits sur la population servile et les notables de l’île. Mais la société bourbonnaise/réunionnaise est plus complexe.

La population est aussi constituée d’esclaves affranchis que le voyageur reconnaît par ses souliers. Lavollée écrit à ce sujet : « J’appris […] que les affranchis, les Noirs devenus

Blancs se permettaient le luxe d’une paire de souliers. L’émancipation a dû combler de joie

tous les cordonniers de la colonie251 ». Le voyageur retient qu’un simple soulier symbolise la

liberté pour l’ancien esclave. Mais pour l’affranchi, ce soulier est un symbole important. D’ailleurs, l’esclave préfère marcher pieds nus sur les cailloux plutôt que d’utiliser ces souliers252.

Au cours de ses périples dans l’île, le voyageur rencontre des affranchis. Ceux des Hauts de l’île qui ont eu droit à une propriété sont présentés comme n’abusant pas du travail253.

Mais la rencontre du voyageur Lavollée avec un couple d’affranchis en train de travailler la terre remet en cause cette perception de l’affranchi. En effet, le voyageur est étonné de voir des

250 LAVOLLÉE, Charles-Hubert. Voyage en Chine : Ténériffe, Rio-Janeiro, Le Cap, Ile Bourbon, Malacca,

Singapore, Manille, Macao, Canton, ports chinois, Cochinchine, Java, 1852, p. 105‑106.

251 Ibid, p. 74.

252 Ibid,.

59 affranchis travailler aussi durement alors qu’ils n’ont pas de maître. Il décrit l’affranchi : « Son front ruisselait de sueurs ; ses mains calleuses, son corps amaigri, à peine couvert d’une ceinture de coton, annonçaient une vie rude et un travail opiniâtre254 ». Son dialogue avec l’affranchi

révèle la raison de ce laborieux travail, celui-ci souhaite acheter la liberté de son fils. Lavollée ajoute qu’après cette discussion, « […] le nègre saisit sa bêche et se remit à l’œuvre avec énergie, comme s’il regrettait la minute qu’il venait de perdre255 ».

L’image de l’esclave tant ressassé n’est pas à généraliser. Le regard étonné de Lavollée à la vue d’un couple d’affranchis qui travaille révèle que le voyageur à des idées reçues sur les esclaves et les affranchis. Évidemment les affranchis restent pour les voyageurs des esclaves. Le voyageur Billiard tient à le préciser256.

Les voyageurs présentent les mulâtresses comme objet de tentation du colon257. Ce

dernier succombe à leur attrait physique d’après Lavollée :

« Leur corps à la fois ferme et souple, leur taille élégamment cambrée, leurs traits accentués […] les tresses brillantes et sinueuses de leur chevelure, leur costume bariolé des plus riches couleurs et

jusqu’à ce doux babil […] tout en elles semble empreint de séduction plus encore que de beauté258 ».

Cette description donne une belle image de la mulâtresse. Outre sa beauté le voyageur souligne qu’en termes de caractère elle connaît « le code de toutes les roueries259 ». Pour le voyageur, le

colon est une victime de la mulâtresse.

Billiard admet que : « la race croisée des Blancs et des nègres jouit d’une heureuse constitution260 ».

Le voyageur Yvan ajoute que les belles mulâtresses sont l’objet de spéculation pour ceux qui les possèdent comme esclaves. Ceux qui possèdent ces belles mulâtresses profitent de la passion du colon pour « […] arriver à certaines fins, ou bien ils leur assignent un prix exorbitant !261 ».

Ce voyageur montre que les propriétaires profitent de l’amour du colon pour s’enrichir.

254 LAVOLLÉE, Charles-Hubert. Voyage en Chine : Ténériffe, Rio-Janeiro, Le Cap, Ile Bourbon, Malacca,

Singapore, Manille, Macao, Canton, ports chinois, Cochinchine, Java, 1852, p. 100.

255 Ibid, p. 101.

256 BILLIARD, Auguste. Voyage aux colonies orientales, ou Lettres écrites des îles de France et de Bourbon

pendant les années 1817, 1818, 1819 et 1820. 1822, p. 207.

257 YVAN, Melchior-Honoré. De France en Chine. 1855, p. 156.

258 LAVOLLÉE, Charles-Hubert. Voyage en Chine : Ténériffe, Rio-Janeiro, Le Cap, Ile Bourbon, Malacca,

Singapore, Manille, Macao, Canton, ports chinois, Cochinchine, Java. 1852, p. 71.

259 Ibid, p. 71.

260 BILLIARD, Auguste. Voyage aux colonies orientales, ou Lettres écrites des îles de France et de Bourbon

pendant les années 1817, 1818, 1819 et 1820. 1822, p. 226.

60 A la limite et au-delà des terres cultivées, les voyageurs rencontrent des habitants. Le voyageur Billiard y fait référence sous le terme de « créoles des hauts ». Les créoles des Hauts sont tout simplement des affranchis et des Petits-Blancs262. Ceux-ci se différencient des créoles

des Bas de l’île.

Les Petits-Blancs sont décrits comme descendant des premiers habitants de la colonie et de race européenne pure263, alors qu’il n’existe pas de pureté à Bourbon/La Réunion. Billiard les

présente comme étant bons, mais ignorants264. Le voyageur indique aussi qu’ils vivent

modestement de ce que leur offre leur petite parcelle de terre. Billiard représente cette partie de la population de manière positive.

Au milieu du siècle, les voyageurs s’accordent avec la perception du voyageur Billiard. Yvan considère les Petits-Blancs comme étant : « […] la population la plus originale et la plus intéressante de notre possession265 ». En effet, les Petits Blancs représentent une population

originale, ils font partie des catégories pauvres de l’échelle sociale et qui sont de ce fait associé aux mêmes niveaux que la population de couleur. Le statut des Petits Blanc, donne à la pyramide sociale de Bourbon/La Réunion un caractère d’exception266.

Les voyageurs mettent en avant la situation difficile dans laquelle se retrouve cette population. Itier écrit : « Hélas ! la misère ronge les Petits Blancs de Bourbon267 ». Il ajoute que les Petits-

Blancs que les voyageurs rencontrent au Bois-Blanc vivent du travail de cette terre : « […] si ingrate, qu’on y meurt à peu près de faim268 ».

La description des Petits-Blancs des Hauts est plus favorable que celle des colons de l’espace côtier. Les voyageurs parlent de cette population retirée dans les solitudes intérieures : « […] chez ces êtres revenus à la simplicité primitive, il se commet peu de délits parmi eux, et un crime y est une chose à peu près inouïe269 ».

Cet exemple met en valeur la différence entre les Hauts et les Bas de l’île. Dès lors que l’habitant s’éloigne de l’espace côtier, les mœurs semblent se bonifier. L’espace de vie a une influence sur le caractère des habitants de l’île.

262 BILLIARD, Auguste. Voyage aux colonies orientales, ou Lettres écrites des îles de France et de Bourbon

pendant les années 1817, 1818, 1819 et 1820. 1822, p. 445‑446.

263 Ibid, p. 445.

264 Ibid, p. 446.

265 YVAN, Melchior-Honoré. De France en Chine. 1855, p. 175.

266 BOURQUIN, Alexandre. Histoire des Petits-Blancs de La Réunion : XIXe-début XXe siècle. Paris : Karthala,

2005, p. 28.

267 ITIER, Jules. Journal d’un voyage en Chine en 1843, 1844, 1845, 1846. 1848, p. 152.

268 Ibid, p. 152.

61 Cependant, en se retirant loin de la ville et de la civilisation, cette population est dans la plus grande ignorance. Itier met en avant cette idée suite à sa rencontre avec Mlle Amélia, « […] la plus simple et la naïve des filles du Bois-Blanc270 […] ». En effet, Mlle Amélia a pour

seule connaissance du monde, sa terre du Bois-Blanc et ses alentours, selon le voyageur. Le défaut de vivre retiré de tous est de perdre pied avec la civilisation.

Le regard des Petits-Blancs sur les colons souligne qu’ils se distinguent d’eux. Les Petits- Blancs parlent des colons comme : « […] des parvenus, qui ont conquis leurs biens par l’usure […] 271 ». Pour eux, les colons se sont enrichis de la plus mauvaise des manières. Or, les Petits-

Blancs travaillent de leurs mains pour subvenir à leurs besoins et celui de leur famille. Les femmes « se livrent aux travaux du ménage et confectionnent les nattes, les chapeaux […] 272 »

et les hommes cultivent leur terre, exploitent la forêt, d’autres pratiquent la pêche et le braconnage273.

Les voyageurs présentent les Petits-Blancs comme des travailleurs alors que les élites de la ville sont inactives.