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Section 2 – La notion d‘attaque

2.2 La population civile en tant que cible de l‘attaque

Les statuts des tribunaux ad hoc et le Statut de Rome exigent que l‘attaque soit « dirigée » contre une « population » « civile ». Cette exigence témoigne de la vocation des crimes contre l‘humanité, à savoir la sanction des crimes commis à l‘occasion de campagnes de violence de grande ampleur ou préalablement organisées qui sont menées contre une population civile77. Avant d‘examiner le sens à donner aux termes « population » et « civile », il convient de s‘attarder brièvement sur l‘expression « dirigée ».

L‘attaque sera considérée comme ayant été « dirigée » contre la population civile si cette dernière était la cible principale de l‘attaque plutôt qu‘une victime incidente78. La chambre

généralisée. Elle n‘a analysé le caractère systématique de l‘attaque que par « souci d‘exhaustivité » : Décision relative à la confirmation des charges dans l‘affaire Katanga, supra note 8, au paragr. 412.

74 Voir les propos du juge Hans-Peter Kaul à ce sujet : Situation en République du Kenya, ICC-01/09, Opinion

dissidente du juge Hans-Peter Kaul, en annexe à la Décision relative à la demande d‘autorisation d‘ouvrir une enquête dans le cadre de la situation en République du Kenya rendue en application de l‘article 15 du Statut de Rome (31 mars 2010) au paragr. 25 (CPI, Chambre préliminaire II) [Opinion dissidente du juge Kaul à la Décision relative à l‘ouverture d‘une enquête sur la situation au Kenya].

75 Ildephonse Hategekimana c. Le Procureur, ICTR-00-55B-A, Arrêt (8 mai 2012) au paragr. 62 (TPIR,

Chambre d‘appel) [Arrêt Hategekimana].

76 Le Procureur c. Pauline Nyiramasuhuko, ICTR-98-42-T, Jugement (24 juin 2011) aux paragr. 6043 et 6044

(TPIR, Chambre de première instance II) [Jugement Nyiramasuhuko].

77 Le Procureur c. Tihomir Blaškić, IT-95-14-A, Arrêt (29 juillet 2004) au paragr. 107 (TPIY, Chambre

d‘appel) [Arrêt Blaškić]. Voir également notre discussion sur ce sujet : supra, chapitre liminaire, section 1, aux p. 15 et ss.

78 Arrêt Kunarac, supra note 7, aux paragr. 91 et 92. Voir également : Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba

Gombo, ICC-01/05-01/08, Décision rendue en application des alinéas a) et b) de l‘article 61-7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à l‘encontre de Jean-Pierre Bemba Gombo (15 juin

d‘appel du TPIY a identifié dans l‘affaire Kunarac une série de facteurs inspirés du droit relatif aux crimes de guerre qui doivent être considérés pour déterminer si l‘attaque était effectivement dirigée contre la population civile :

Pour déterminer si tel était le cas, la Chambre de première instance doit tenir compte, entre autres indices, des moyens et méthodes utilisés au cours de l‘attaque, du statut des victimes, de leur nombre, du caractère discriminatoire de l‘attaque, de la nature des crimes commis pendant celle- ci, de la résistance opposée aux assaillants à l‘époque, ainsi que de la mesure dans laquelle les forces attaquantes semblent avoir respecté ou essayé de respecter les précautions édictées par le droit de la guerre. Dans la mesure où les crimes contre l‘humanité allégués ont été commis au cours d‘un conflit armé, le droit de la guerre offre un cadre de référence fiable, à l‘aune duquel la Chambre peut apprécier la nature de l‘attaque et la légalité des actes commis à l‘occasion de celle-ci.79

La condition que l‘attaque soit dirigée contre une « population » civile permet de s‘assurer que seuls les crimes de nature collective seront sanctionnés au titre des crimes contre l‘humanité80. Il n‘existe pas de seuil minimal quant au nombre de personnes devant former la population visée, chaque situation étant un cas d‘espèce. Il suffit simplement de prouver qu‘un nombre suffisant d‘individus ont été ciblés, « ou qu‘ils l‘ont été d‘une manière telle que la Chambre soit convaincue que l‘attaque était effectivement dirigée contre une ‗population‘ civile, plutôt que contre un nombre limité d‘individus choisis au hasard »81. Il n‘est pas non plus nécessaire que la population visée par l‘attaque corresponde à celle de la région où se déroule cette attaque82.

l‘affaire Bemba]. Dans certaines affaires instruites devant le TPIY, la défense a fait valoir que les victimes civiles dont on prétendait qu‘elles formaient une population visée par une attaque n‘étaient, en fait, que de malheureuses victimes d‘une opération militaire légitime et proportionnée. Voir, par exemple : Le Procureur

c. Ante Gotovina, IT-06-90-T, Gotovina Defence Final Brief (27 juillet 2010) aux paragr. 811-822 (TPIY,

Défense d‘Ante Gotovina).

79 Arrêt Kunarac, supra note 7, au paragr. 91.

80 United Nations War Crimes Commission, History of the United Nations War Crimes Commission, supra

note 39, à la p. 193 ; Schwelb, « Crimes against Humanity », supra note 38, à la p. 191. Les tribunaux ad hoc l‘ont rappelé dans leurs premières décisions : voir, par exemple, Jugement Tadić, supra note 26, aux paragr. 644 et 648 et Le Procureur c. Ignace Bagilishema, ICTR-95-1A-T, Jugement (7 juin 2001) au paragr. 80 (TPIR, Chambre de première instance I).

81 Arrêt Kunarac, supra note 7, au paragr. 90.

82 Jugement Tadić, supra note 26, au paragr. 644. C‘est ce que faisait aussi remarquer le Secrétaire général

des Nations unies dans un document remis à la Commission du droit international en 1949 : « The reprobated

27 Le caractère « civil » de la population visée par l‘attaque est le second élément qui caractérise les crimes contre l‘humanité83. Une population sera considérée comme « civile » si elle compte en son sein une majorité de civils84, c‘est-à-dire une majorité de personnes n‘appartenant pas à des forces armées85. En revanche, la présence de membres des forces armées dans la population ne prive pas nécessairement cette population de son caractère civil86.