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4.3) Les politiques à mener et la prise en compte des inégalités

Urbaniser de manière plus dense en renouvelant la ville sur elle-même, en canalisant l’urbanisation autour des transports collectifs et en favorisant les modes doux et la mixité fonctionnelle – tâche longue et ardue s’il en est – ne suffit pas pour s’orienter vers un développement urbain durable si de fortes inégalités subsistent en termes d’accessibilité et d’habitat car ces éléments déterminent l’accès aux activités (emplois, commerces, loisirs). Un logement abordable et accessible se définit comme un logement dont le coût est peu élevé et situé dans un espace où les services et activités sont facilement accessibles sans recourir à la voiture.

T. Litman392 affirme que les experts estiment qu’un logement doit coûter moins de 35 % du total du budget d’un ménage et si logement et transport sont combinés, ils ne devraient pas dépasser 50 % du budget.

Concernant l’accessibilité, il avance que les personnes vivant dans des espaces accessibles par plusieurs modes ont tendance à posséder moins de véhicules personnels motorisés et comptent plus sur les modes alternatifs à la voiture393. Or « De nombreuses politiques de développement

contemporaines et de pratiques de planification découragent le développement de logements abordables et accessibles. Cela inclut des restrictions concernant la hauteur des immeubles, la densité et le type ; des seuils minimum de parkings généreux, ainsi que des coûts et des taxes construites de telle manière qu’elles favorisent la construction d’unités de logements étalés et plus chers »394. Le développement urbain durable intègre une dimension sociale. D’ailleurs T. Litman affirme aussi, avec raison, que des logements avec un haut niveau d’accessibilité par les transports collectifs sont importants pour les personnes dans l’incapacité de conduire ou ne pouvant disposer de véhicule particulier : « De tels logements ne sont pas appropriés pour tous

les ménages, mais ils doivent être disponibles pour n’importe qui en ayant besoin »395.

Si l’on en croit T. Litman, des politiques d’aménagement existent pour développer des logements accessibles et abordables.

392 T. Litman, Affordable-Accessible Housing in A Dynamic City. Why and How To Increase Affordable Housing Developpement In Accessible Locations (Victoria Transport Policy Institute, mai 10, 2010).

393 Ibid.

394 Ibid., p.3. « Many current development policies ad planning practices discourage accessble-affordable housing development. These include restrictions on building height, density and type ; generous minimum parking requirements ; and fees and taxes structured in ways that favor fewer, more expensive units ».

395 Ibid., p.4. « Such housing is not appropriate for all households, but it should be available to anybody who needs it ».

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Tableau 5 Stragégies pour le développement de logements abordables et accessibles. Source: T. Litman, 2010396

Le tableau proposé par T. Litman résume bien les différentes stratégies à disposition des acteurs de l’aménagement pour développer des logements abordables et accessibles.

396 T. Litman, Affordable-Accessible Housing in A Dynamic City. Why and How To Increase Affordable Housing Developpement In Accessible Locations, (Victoria Transport Policy Institute, mai 10, 2010).

179 Certaines politiques d’aménagement permettent de construire des logements abordables mais peuvent avoir des conséquences néfastes :

- construire dans le périurbain peut permettre d’abaisser les coûts de construction de logements (terrains à des prix plus abordables) mais engendre des coûts supplémentaires de transports et favorise l’étalement urbain ;

- imposer des plafonds pour les loyers ou apporter des subventions ciblées favorise les résidents présents mais peut freiner le développement d’autres logements abordables (par un épuisement des subventions ou par un manque d’attrait pour les promoteurs privés provoqué par les plafonnements) ;

- le développement de larges programmes de construction de logements sociaux (ce qui peut engendrer des ghettos composés des populations pauvres) ou le subventionnement des transports collectifs périurbains, coûtent cher et ne sont pas jugées viables sur le long terme par T. Litman.

Si ces solutions n’apparaissent donc pas pertinentes, il existe, comme le montre le tableau, des solutions efficaces et relativement économes, dont certaines ont été exposées précédemment dans ce travail : réduction de la place accordée aux parkings (réduisant ainsi les coûts des programmes d’aménagement et la place de la voiture, obligeant au moins une partie des résidents à se tourner vers les transports collectifs et les modes doux), changer les habitudes et les façons de penser la densité (changer l’image de la densité et des logements abordables), améliorer l’accessibilité en transports collectifs (et favoriser les modes doux), encourager les aménageurs à développer des programmes de logements denses, améliorer l’architecture et l’esthétique des logements abordables et des espaces publics environnants, renouveler l’urbain (réutiliser les espaces en friches), …

Selon T. Litman, « faire du logement plus abordable est à la fois un acte de générosité et une

manière pratique de régler des problèmes et atteindre des objectifs de planification :

- Régler la question des sans-abris et des problèmes qui y sont liés397 ;

- Favoriser l’accès social à l’habitat pour les ménages à faible niveau de revenus ; - Fournir un logement pour les travailleurs précaires, les étudiants et les retraités, et

ainsi soutenir le développement économique local. »398

180 Pour que le transport soit considéré comme abordable, il est estimé que la part du budget d’un ménage consacrée aux déplacements de base (accès aux services et activités courantes : santé, études, travail, commerces, et dans une certaine mesures des activités de loisirs)399 ne doit pas dépasser les 20 %.

D’ailleurs « les ménages doivent souvent faire des compromis entre transport et logement : les

logements moins chers se situent souvent dans des endroits isolés où les déplacements de base coûtent plus cher. […] Beaucoup d’experts […] recommandent que la part du budget d’un ménage consacrée au logement et au transport ne dépasse pas 45 à 50 % des revenus d’un ménage. »400

Il faut d’ailleurs aussi tenir compte du fait que le niveau d’accessibilité ne dépend pas seulement des modes présents. Il varie en fonction de différents facteurs401 :

- la mobilité ; soit la facilité physique de déplacement ;

- les possibilités de transport (qualité des cheminements piétons et vélos, niveau de desserte des transports collectifs, …) ;

- le coût des transports par rapport au budget des ménages ; - la forme urbaine et la distribution des activités dans l’espace ; - le niveau de qualité des connexions et interconnexions ;

- le niveau de qualité des « substituts à la mobilité » (qualité des télécommunications et des services de livraison) ;

- le niveau de qualité des informations à l’usager.

Ces facteurs, qui déterminent le niveau d’accessibilité et dont les acteurs de l’aménagement doivent tenir compte pour développer des logements abordables et accessibles, doivent venir 398 T. Litman, Affordable-Accessible Housing in A Dynamic City. Why and How To Increase Affordable Housing Developpement In Accessible Locations, (Victoria Transport Policy Institute, mai 10, 2010), p.6. « Increasing housing affordability is both an act of generosity and a practical way to solve problems and achieve various planning objectives:

• Reduced homelessness and associated problems.

• Financial savings and flexibility to lower-income households.

• Provide housing for lower-wage workers, students and retirees, thus supporting local economic development. »

399 T. Litman, Affordable-Accessible Housing in A Dynamic City. Why and How To Increase Affordable Housing Developpement In Accessible Locations, (Victoria Transport Policy Institute, mai 10, 2010).

400

Ibid., p.9. « Households often face tradeoffs between housing and transportation costs: cheaper homes are often in more isolated locations where basic transport is more expensive. […] many experts […] recommend that housing and transportation together should total less than 45% to 50% of household income. »

401 T. Litman, Affordable-Accessible Housing in A Dynamic City. Why and How To Increase Affordable Housing Developpement In Accessible Locations, (Victoria Transport Policy Institute, mai 10, 2010).

181 compléter les constats suivants, amenant à penser que le développement de logements abordables et accessibles est une solution adaptée et cohérente402 :

- population vieillissante (en demande de logements plus petits et accessibles en transports collectifs) ;

- taille des ménages plus réduite (moins d’enfants ou pas), donc besoin de surfaces moins importantes ;

- des revenus en stagnation en raison du contexte économique ; - prix fluctuant et en hausse des énergies fossiles ;

- augmentation de la congestion.

Ces différents constats ne doivent pas laisser penser qu’il n’existe pas d’aspects négatifs. Comme le rappelle T. Litman403, construire de tels logements engendre certains coûts : jardins privés plus petits, garantie d’une totale intimité et de calme moins importante que dans une maison individuelle dans le périurbain, lumière naturelle et paysage potentiellement cachés par des immeubles, augmentation de certains coûts de gestion urbaine, augmentation du coût des services publics (les ménages à faibles revenus seront très demandeurs).

Afin de pouvoir développer de tels types de logements, des outils d’observation et d’identification d’espaces densifiables apparaissent indispensables : T. Litman404 préconise d’ailleurs que les autorités compétentes construisent et mettent à jour une base de données des espaces densifiables. Cela rejoint les objectifs de l’observatoire croisé foncier/transport développé dans l’action 11 du projet BahnVille 2 et qui est au cœur de cette thèse.

Les mesures énoncées ici apparaissent nécessaires pour développer un urbanisme durable, notamment dans sa dimension sociale. Le pari de construire des logements abordables dans des programmes de densification est loin d’être gagné car : « Le grand gagnant de l’évolution

récente redevient la maison individuelle isolée en diffus, en dehors de tout aménagement. Ce succès s’explique parce que c’est le seul produit immobilier sans risque financier pour l’opérateur. En outre, c’est aussi le produit le moins cher, facilement éligible aux populations à revenus modestes soutenues par les mesures du plan de relance, comme le doublement du prêt

402 Ibid.

403 Ibid. 404 Ibid.

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à taux zéro et le pass foncier. Enfin, c’est le produit de prédilection des primo-accédants, qui constituent la clientèle qui tire le marché aujourd’hui. »405

Cette tendance n’est pas le seul obstacle à l’élaboration d’un urbanisme durable. Elaborer un urbanisme durable signifie intervenir dans plusieurs domaines :

- environnement ; - transport ; - urbanisme ; - social.

Le projet EcoDensity, développé à Vancouver, illustre bien les divers éléments à prendre en compte. Ce projet a été lancé après une prise de conscience porteuse de quelques inquiétudes : « […] bien que Vancouver soit considérée comme un modèle international de développement

durable, notre empreinte écologique est démesurée – si tous les habitants de la planète vivaient à la manière des habitants de Vancouver, quatre planètes seraient nécessaires pour subvenir aux besoins de tous »406. Le programme vise à développer une ville plus dense et compacte, axée sur les modes doux et les transports collectifs dans l’optique d’assurer une certaine qualité de vie et un environnement agréable (qualité architecturale, aménagement des espaces publics, …) et offrant des logements abordables.

Le programme a permis de déterminer qu’une des clefs du développement urbain durable est la mise en place d’une densité élevée mais avec une forme bien spécifique, compacte, « density-done-well »407 (concept évoqué précédemment et dont a été tiré le concept de « densité éco-modulée »). De plus un tel programme semble avoir de meilleures chances de réussite s’il est accompagné d’un projet partenarial.

La ville de Vancouver a d’ailleurs choisi de développer le projet EcoDensity avec l’ensemble des acteurs de l’aménagement : citoyens, habitants, acteurs économiques, experts de l’environnement et de l’urbanisme, chercheurs, organisations non gouvernementales,

405 J. C Castel, De l’étalement à l’émiettement urbain de l’habitat - Nouvelles données, nouvelles questions, avril

30, 2010, p.2. 406

City of Vancouver, EcoDensity. How density, design, and land use will contribute to environmental sustainability, affordability, and livability. Project summary (City of Vancouver

(http://www.vancouver-ecodensity.ca/), 2010), p.5.« […] although Vancouver is considered an international model of sustainability, our ecological footprint is oversized - if everyone on the planet lived the way we Vancouverites do, it would take four planets to sustain us. »

183 collectivités publiques. Cette implication d’une diversité d’acteurs de l’aménagement semble importante, comme dans le projet BahnVille 2 qui a aussi impliqué chercheurs, techniciens, élus et des habitants.

Le projet EcoDensity met en avant le fait que le développement durable est indissociable d’une qualité de vie et d’un accès équitable aux logements et aux activités, comme le montre la figure suivante. Les espaces disponibles et densifiables doivent être accessibles en transports collectifs et modes doux et une partie des logements doivent être abordables, comme le souligne également T. Litman408 afin de permettre de garantir un certain degré de mixité sociale. Le développement d’un urbanisme orienté vers les transports collectifs semble devoir être mené avec

l’ensemble des acteurs de

l’aménagement pour assurer une certaine cohérence dans les projets urbains et la gestion urbaine.

Un développement urbain durable ne doit pas se limiter à des questions environnementales, il s’agit aussi de favoriser la mixité sociale et fonctionnelle et d’essayer de réduire les inégalités, notamment en termes de déplacements et d’accessibilité.

408 T. Litman, Affordable-Accessible Housing in A Dynamic City. Why and How To Increase Affordable Housing Developpement In Accessible Locations, (Victoria Transport Policy Institute, mai 10, 2010).

Figure 57 Sustainability, Livability, Affordability. Source : EcoDensity. How density, design, and land use will

contribute to environmental sustainability, affordability, and livability. Project summary, 2010

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Conclusion Chapitre IV

Certains principes d’un développement orienté vers les transports collectifs (ou TOD) ne sont pas nouveaux. Il s’agit néanmoins de les mobiliser pour les employer de manière novatrice dans l’optique de développer un renouveau urbain axé sur les principes du développement durable. De plus, nous l’avons vu, la densification et le développement d’un espace urbain plus compact semblent réalisables et peuvent bénéficier d’aménagements à même d’assurer une certaine qualité de vie. Un espace urbain plus compact semble correspondre aux objectifs du développement durable en termes de déplacements et d’urbanisation.

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Figure 58 Espace-temps et déplacements. Réalisation: T. Leysens, 2011

L’espace urbain actuel fait encore la part belle à la voiture particulière et à la vitesse dans une moindre proportion. La vitesse permet de contracter l’espace-temps, rapprochant ainsi les lieux

186 en termes de distances-temps (en fonction des modes et des infrastructures). Cela demande de l’énergie, toujours plus d’infrastructures (paradoxe Downs-Thomson évoqué dans la première partie) et provoque en partie l’étalement urbain.

Or, comme un déplacement est contraint, entre autres, par l’espace-temps et qu’on ne dispose pas de la possibilité d’effectuer des déplacements « instantanés », des « bonds » dans l’espace-temps, il convient de repenser l’organisation de l’espace. Il s’agit à la fois d’organiser l’espace autour des transports collectifs et des modes doux et de limiter les déplacements (nombre, longueur, fréquence). Afin de réduire les déplacements, il semble pertinent de rapprocher les activités afin d’améliorer l’accessibilité et d’opter pour une organisation polycentrique. Cela doit aussi permettre de réduire les inégalités en termes d’accès aux activités et de logements, ce qui correspond à certains objectifs d’un développement urbain durable. Pour ce faire, il est cohérent de s’appuyer sur l’ensemble des acteurs de l’aménagement et de pouvoir coordonner l’urbanisme, l’usage des sols et les transports, car comme on l’a vu, ces éléments et leurs interactions sont primordiaux dans le développement d’un espace urbain plus durable.

Un espace urbain plus compact organisé autour des transports collectifs demande une observation et une coordination urbanisme / transports pour voir son développement facilité et assurer une certaine cohérence dans l’évolution de ce renouveau urbain.

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