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Points communs et différences entre magical girls « traditionnelles » et magical girls « guerrières »

La construction du genre par les dessins animés magical girl : permanences et

Chapitre 4 : Héroïsme féminin : héritages et spécificités

I. La place du féminin dans l’animation télévisée : vers le rôle principal et l’héroïsme

2) Points communs et différences entre magical girls « traditionnelles » et magical girls « guerrières »

Il nous semble que les spécificités de l’héroïsme des magical girls se fondent principalement sur la magie – qui rend ces jeunes filles uniques et exceptionnelles car elles sont seules ou presque à avoir des pouvoirs magiques – et les usages qu’elles en font. Alors que l’héroïsme a pour principale origine des hauts faits guerriers pour les hommes, il nous semble que la magie peut être une façon de créer des héroïnes sans qu’elles aient besoin d’être des guerrières ou de se battre frontalement. Par exemple, c’est toujours par l’intermédiaire de la magie que Sakura lutte contre les esprits des cartes afin de capturer ces dernières dans Sakura,

chasseuse de cartes. Lionel, le jeune garçon qui l’aide parfois à attraper les cartes,

possède quant à lui une vraie arme, une épée, pour combattre, en plus de ses pouvoirs magiques73. Seule Cherry Miel combat frontalement de manière systématique, mais cette série est un cas particulier puisqu’elle s’adresse à un public masculin.

Deux principaux usages de la magie façonnent des héroïnes différentes. Les premières magical girls et une partie de leurs héritières (Sally, Caroline, Makko, Gigi, Tickle, Lydie, Lalabel, Chocola et Vanilla, Dorémi) utilisent la magie pour aider autrui, faire le bien autour d’elles. Par exemple, la mission de Gigi est d’aider les humains à retrouver rêves et espoirs. La plupart du temps, les magical girls n’ont pas

70 Question de confiance, 23 avril 1997, TF1.

71 Le tour du monde de Lydie, Creamy, adorable Creamy, Sailor Moon, Sakura, Mew Mew Power,

Chocola et Vanilla, Pichi Pichi Pitch, Shugo Chara. Parfois, c’est un OAV ou un film sortant après la

série qui suggère ou explicite clairement la relation amoureuse, par exemple dans Sakura et Creamy.

72 Sally la petite sorcière, Caroline, Gigi, Cherry Miel, Le monde enchanté de Lalabel, Magical

Dorémi, Magique Tickle.

115 un objectif précis de faire le bien et elles ont parfois une quête toute autre74, mais elles apportent le bien et aident des personnages quand même dans chaque épisode au fil de leurs rencontres. Par exemple, Caroline aide un loup capturé à retrouver la liberté75, Gigi aide une jeune fille à rejoindre son grand-père mourant en dépit de bandits qui veulent l’en empêcher76

, etc. Leur héroïsme se fonde donc sur des valeurs et des qualités de bienveillance, de solidarité, d’altruisme. Là encore, les chansons des génériques soulignent cet aspect des magical girls : « Gigi, ô Gigi, personne ne sait d’où tu viens, tu nous crées un monde angélique où tout devient féérique, c’est grâce à toi Gigi » dans Gigi77, « Une petite fille qui est venue sur Terre pour aider ses amis (…) elle se sert de sa magie pour aider ses amis, (…) pour nous apporter l’espoir et l’amitié » dans Sally la petite sorcière78

, « Je m’appelle Lalabel et dès que je le peux, je donne un morceau de ciel, moi j’aime les gens heureux (…) Je peux faire un monde plus beau en disant Mélalimélo » dans Le monde enchanté de

Lalabel79, « C’est nous les cinq apprenties sorcières de la planète Terre pleines de rêves et de caractère, on est téméraires, on est solidaires, gentilles, jolies et pleines de savoir-faire » dans Magical Dorémi80.

Les représentations traditionnelles de la féminité, et en particulier la norme féminine du care, peuvent infléchir cet héroïsme. Le care renvoie à « tout le travail de soin et de prise en charge (matérielle et psychologique) des enfants, des personnes âgées et des adultes dépendants (malades, handicapés), quelles que soient ses conditions de réalisation (…) »81

. Certains épisodes soulignent cette dimension de soin, de côté maternel, spécifique à l’héroïsme au féminin82. Par exemple, dans l’épisode 6 du Tour du monde de Lydie, la jeune fille console une femme âgée qui fait le deuil de la mort de sa petite-fille et lui fait un massage pour soulager ses douleurs au dos83. Alors que Makko et ses amis jumeaux se font séquestrer dans une

74 Par exemple, Lydie doit trouver une fleur magique, Chocola et Vanilla doivent collectionner les

cœurs des garçons pour devenir reine

75

Club Dorothée : émission du 8 mai 1990, TF1.

76

Croque vacances plateau : émission du 3 juillet 1986, TF1.

77 Club Dorothée vacances : émission du 5 février 1988, TF1. 78 Club Dorothée vacances : émission du 26 février 1991, TF1. 79 Mariage olympique, 14 septembre 2007, Mangas.

80 Un joyeux Noël, 18 décembre 2009, Télétoon.

81 BERENI Laure, CHAUVIN Sébastien, JAUNAIT Alexandre, REVILLARD Anne, Introduction

aux études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, 2012, p. 189.

82 Pour le côté maternel des magical girls, voir Partie II, Chapitre 5. 83

116 grotte par un homme recherché par la police, la jeune fille fait un bandage à son ravisseur blessé qui s’avère être un homme bon84

.

Avec Cherry Miel, mais surtout à partir de Sailor Moon, certaines magical girls utilisent leurs pouvoirs pour se battre, combattre le mal, voire sauver le monde (Sakura, chasseuse de cartes, Mew Mew Power, Pichi Pichi Pitch, Shugo Chara)85. Elles font alors preuve d’un héroïsme fondé sur l’action, le combat contre un ennemi et sur des qualités de courage, d’habileté, de force et puissance. Selon Gladys L. Knight, un concept primordial pour définir le héros est celui de « toughness », la robustesse, la solidité, tant au niveau de son corps – le héros est fort, musclé – au niveau de son attitude – le héros possède une grande confiance – au niveau de l’action – le héros est actif, il court, il combat… – qu’au niveau de son autorité – le héros inspire respect, admiration et crainte 86 . Or, les caractéristiques traditionnellement attribuées aux femmes sont l’opposé de ces qualités. La particularité de l’héroïsme de ces magical girls guerrières est d’être hybride en ce qu’il emprunte à la fois des traits de l’héroïsme masculin traditionnel, des conventions de la culture masculine (le combat, les superhéros) et des traits traditionnels de la féminité, de la culture féminine (l’amour, l’apparence, le soin des autres)87.

En effet, les jeunes héroïnes sont amoureuses, attentives à leur apparence, se meuvent de façon gracieuse dans le combat, sont parfois sexualisées, et, tout comme les magical girls plus traditionnelles, elles adoptent des comportements caractéristiques du care. Par exemple, Bunny a un comportement maternel envers Camille, qui est la fille de la Princesse Sérénity dont elle est la réincarnation. Camille appelle d’ailleurs Bunny « maman » avant de retourner dans le futur88. Dans l’épisode 19 de Cherry Miel, la jeune fille reste auprès d’un homme blessé pendant le

84 Dorothée matin : émission du 6 décembre 1989, TF1.

85 Notons que, bien que le combat ne soit pas systématique chez les magical girls dont nous avons

parlé précédemment, il leur arrive à l’occasion de se battre.

86

KNIGHT Gladys L., Female action heroes : a guide to women in comics, video games, film, and

television, Santa Barbara, Greenwood, 2010, Preface, p. xiv. Pour le concept de « toughness », voir les

ouvrages de Sherrie A. Inness. Par exemple, Action Chicks: New Images of Tough Women in Popular

Culture, New York, Palgrave Macmillan, 2004, 310 p.

87

Voir KNIGHT Gladys L., Female action heroes : a guide to women in comics, video games, film, and

television, Santa Barbara, Greenwood, 2010, Preface, p. xiii., et ALLISON Anne, « Sailor Moon:

Japanese Superheroes for Global Girls », IN: J. CRAIG Timothy (dir.), Japan Pop!: Inside the World

of Japanese Popular Culture, Armonk, New York, M.E. Sharpe, 2000, p. 259.

117 trajet jusqu’à l’hôpital, ce qui lui vaut le commentaire de Monsieur Tatami : « Il a la chance d’avoir une infirmière comme toi ! »89

Mis à part l’intérêt des héroïnes pour l’amour, le care et leur apparence, d’autres caractéristiques font la spécificité de l’héroïsme au féminin des magical girls guerrières, par rapport à celui des héros. Comme l’a noté Kazuko Minomiya90, tandis que les superhéros sont concentrés exclusivement sur leur quête, les superhéroïnes, telles qu’elles sont dépeintes dans les séries magical girl, ont une vie emplie de plaisirs du quotidien. La quête n’est pas centrale, le combat ne dure parfois que quelques minutes à la fin de l’épisode et il est courant de voir les héroïnes faire des activités quotidiennes telles que aller en cours, faire du shopping, manger, passer des moments en famille ou entre amis, faire des activités ludiques. Ainsi, Bunny aime jouer à des jeux d’arcade et acheter des vêtements et des bijoux91

, et on peut voir Lucie et Hannon faire du lèche-vitrine, manger une glace et se prendre en photo dans l’épisode 1 de Pichi Pichi Pitch92

.