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Le poids des difficultés concrètes auxquelles sont confrontées les JEEQ

B/ Les obstacles à la prise en charge des JEEQ

B.2 Le poids des difficultés concrètes auxquelles sont confrontées les JEEQ

Si les représentations personnelles des JEEQ leur permettent difficilement d’envisager un avenir professionnel solide, il convient d’ajouter que ces jeunes évoluent dans un univers social et économique particulièrement complexe. Cette complexité contribue, chez eux, à conforter une image négative de soi, en transformant les dynamiques de deuxième chance en véritables parcours du combattant. Elle se traduit par un ensemble de difficultés très concrètes que les JEEQ doivent résoudre pour accéder à l’emploi de qualité, difficultés bien connues des travailleurs sociaux et que l’on retrouve systématiquement dans les enquêtes auprès des publics éloignés de l’emploi. Les voici exposées brièvement :

• 1- L’accès à l’information sur l’offre disponible. Il pose trois problèmes majeurs :

- Les lacunes de la publicité et de la centralisation des offres. L’ANPE (futur Pôle Emploi) est ainsi loin de proposer l’ensemble des offres d’emploi disponibles sur le marché (on estime généralement qu’elle en recense environ 40 %). Une partie non négligeable de ces offres sont dispersées sur des sites Internet ou captées à la source par des cabinets de recrutement ou des structures d’insertion locales qui se battent pour en avoir l’exclusivité. Ce qui signifie qu’elles ne sont pas publiées ou circulent via des canaux discrets, sinon confidentiels.

- Les contacts limités des jeunes avec les diffuseurs d’offres d’emploi, même quand celles- ci sont publiées et centralisées. Les JEEQ ne sont pas tous inscrits à l’ANPE, loin de là. Un grand nombre ne fréquente pas les structures type Mission Locale, ou encore ne dispose pas d’un accès à Internet.

- La délicate question de la compréhension des offres, une fois que les jeunes y ont accès. Sans aide à la lecture, il est loin d’être évident pour un jeune en rupture d’interpréter correctement le langage d’un recruteur et d’en conclure s’il est pertinent ou non d’envoyer sa candidature.

• 2- Des difficultés pratiques et personnelles. Les enquêtes auprès des publics éloignés de l’emploi, et notamment des jeunes, en relèvent quatre grands types :

- Des difficultés liées à la mobilité (pour se rendre au travail ou dans l’exercice de ses fonctions) : faiblesse des transports en commun, coût des permis de conduire, coût des véhicules personnels.

- Des difficultés liées au logement et à l’hébergement : accès limité aux HLM ; ghettoïsation des logements sociaux ; coût des loyers dans le parc privé libre ; nécessité de rester chez les parents, avec les limites à la mobilité que cela implique ; manque de places dans les centres d’hébergement d’urgence, dans les Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) et dans les foyers de jeunes travailleurs.

- Des difficultés liées à la santé : faiblesse de la couverture sociale (notamment complémentaire) ; forte prévalence des addictions ; prévalence croissante des troubles psychiatriques ; situations de handicap.

- Des difficultés liées à la garde des enfants (notamment pour les jeunes parents isolés) : accès limité aux crèches ; faiblesse de l’accueil d’urgence et de l’accueil occasionnel dans les structures collectives (malgré la mise en place de la Prestation de Service Universelle43) ; coût de l’accueil individuel.

Remarque : dans l’ensemble, ces difficultés pratiques et personnelles témoignent de la précarité des conditions de vie des JEEQ. Rappelons que non seulement ces jeunes n’ont pas accès au RMI (sauf exceptions), mais qu’ils peinent à toucher l’Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) et l’Allocation Spéciale de Solidarité (ASS) des ASSEDIC, du fait des exigences qu’elles imposent en terme de temps passé en emploi (cf. partie suivante).

• 3- L’accès à une qualification consistante. Comme l’a montré notre typologie, une bonne partie des JEEQ souffre d’une formation initiale insuffisante ou inadaptée. Or, malgré les nombreux dispositifs de formation / qualification qui existent en France à destination des publics éloignés de l’emploi (cf. partie suivante), ces derniers sont nombreux à souligner qu’on ne leur propose généralement que des modules très courts et non professionnalisant (savoirs de base, bureautique, immersion éclair en entreprise…). Jeunes chômeurs et jeunes en emploi précaire connaissent encore de vraies difficultés à décrocher une place dans un parcours de qualification solide… et financé.

• 4- La barrière du recrutement. Enfin, les jeunes en rupture connaissent mal les codes du recrutement. La majorité d’entre eux ne maîtrisent pas les règles de la rédaction d’un Curriculum Vitae et d’une lettre de motivation, ni celles des postures à adopter lors des entretiens. Face à l’inconnu, c’est notamment là qu’ils peuvent adopter les attitudes passives ou agressives évoquées plus haut. Précision importante : cette problématique dépasse le strict cadre de la procédure de sélection. Franchir la barrière du recrutement consiste, tel que nous l’entendons dans le cadre de cette recherche, autant à être embauché qu’à transformer l’essai en confirmant cette embauche dans les semaines et les premiers mois qui suivent. Cette confirmation exige notamment, de la part du jeune embauché, une aptitude à adopter les usages et codes en vigueur dans le monde du travail.

Ces difficultés, toutes les personnes à la recherche d’un emploi de qualité peuvent les vivre. La spécificité des JEEQ, c’est d’abord qu’ils les accumulent, et ensuite qu’ils sont par définition trop fragiles pour parvenir à franchir seuls ces obstacles. Comme l’a en effet montré notre typologie (cf. Partie I), ils souffrent tantôt d’un bagage académique faible ou inadapté, tantôt d’un capital socioculturel limité, tantôt des deux.

En somme, face au principe de réalité (le monde dans lequel vivent les JEEQ), il apparaît nécessaire d’accompagner ces publics vers l’emploi de qualité, en travaillant d’abord sur leurs représentations personnelles, ensuite sur le franchissement des obstacles concrets qui se dressent

43 Mise en place en 2004 par la Caisse Nationale d’Allocations Familiales (CNAF), la PSU doit permettre de répondre aux besoins

spécifiques des familles, notamment en situation de précarité (recherche d'emploi, formation, temps partiel), ainsi qu’aux situations d'urgences, en adaptant les temps d'accueil à la diversification des rythmes de travail.

sur leur route. Ce n’est que dans ces conditions qu’un jeune en difficulté peut faire preuve de la capacité d’action nécessaire pour affronter sereinement et durablement la vie active.

On aboutit ainsi à une remise en cause de l’adéquationnisme évoqué plus haut, en le tempérant par une approche multidimensionnelle, consistant à faire correspondre à nouveau, chez les jeunes concernés, ce qu’ils sont (leurs représentations et compétences), ce qu’ils veulent (leurs motivations et projets propres) et ce qu’ils peuvent (dans les contraintes du contexte socioéconomique). Cette approche va de pair avec une personnalisation des prises en charge, qui ne cloisonne pas les publics suivis par chaque dispositif en fonction de critères réducteurs (âge, niveau de qualification, lieu de vie).

Le schéma suivant illustre le passage d’une approche à l’autre, passage que tarde à admettre la sphère politique mais qu’ont bien intégré la plupart des acteurs de terrain œuvrant dans les dispositifs décrits dans la partie suivante.

Figure 12 : adéquationnisme vs approche multidimensionnelle