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Un poids économique important : des associations gestionnaires et professionnalisées

L‟importance de leur poids économique constitue également l‟une des spécificités des associations étudiées, qui découle directement de leur articulation à l‟action publique. Au sein de ce champ d‟intervention, la majorité des associations peuvent ainsi être qualifiées d‟ « associations gestionnaires ».

Il n‟existe pas de définition juridique de l‟association gestionnaire. Pour les acteurs, tant associatifs que publics, ce qualificatif est couramment utilisé pour désigner les associations qui possèdent la gestion d‟établissement ou de services sociaux et médico-sociaux au sens de la loi du 2 janvier 2002. Au sein de la littérature, les seules définitions qui nous sont données à ce jour peuvent être attribuées aux travaux du courants français de l‟économie sociale (DESROCHES, 1983 ; VIENNEY, 1994). Ils s‟attachent à définir les composantes de l‟économie sociale que sont les coopératives, les mutuelles et les associations. Ces travaux se sont développés dans les années 1970 et 1980 de manière concomitante à la création par les pouvoirs publics d‟une Délégation interministérielle à l‟économie sociale (DIES), qui

31 Même si, à l‟inverse, cet indicateur peut également être le résultat de ces stratégies.

deviendra plus tard la Délégation interministérielle à l'innovation, à l'expérimentation sociale et à l'économie sociale (DIIESES)32.

Cette conception avance que les associations d‟économie sociale doivent exercer une activité de production semblable à celle des mutuelles et des coopératives. Selon cette définition, le statut associatif n‟est donc pas suffisant pour identifier les structures de l‟économie sociale car seules les associations gestionnaires d‟équipements font partie de l‟économie sociale.

Différentes caractéristiques peuvent dès lors être attribuées aux associations gestionnaires.

Elles admettent une activité économique significative, elles font intervenir des personnels salariés dans la conduite de leur action et enfin, la mise en œuvre de leur projet passe le plus souvent par la gestion d‟équipements (VIENNEY, 1994). Elles assurent une fonction de production de services et de gestion d‟équipements collectifs et exercent une activité économique « repérable ». Les associations étudiées font ainsi partie de l‟économie sociale

« instituée » ou « émergée » au sens de DESROCHES c‟est-à-dire qu‟elles peuvent s‟appréhender à partir de données économiques et juridiques traduisant leur poids économique.

L‟analyse des données statistiques existantes en la matière permet ainsi de mettre en évidence le fait que les associations de solidarité représentent aujourd‟hui un poids économique important relativement à l‟ensemble des associations. Ce dernier s‟apprécie habituellement à travers différentes caractéristiques des associations et notamment par le nombre de leurs emplois salariés ou encore par le volume des budgets gérés.

Comme le soulignait encore récemment Édith ARCHAMBAULT dans un ouvrage consacré aux associations de solidarité (ARCHAMBAULT, 2010), des progrès ont été réalisés ces dernières années pour appréhender les associations à partir de données empiriques, là où elles étaient quasi inexistantes il y a encore une vingtaine d‟années. On peut reprocher à ces études leur caractère épars et éclaté, ce qui ne contribue par à leur visibilité extérieure, mais elles constituent indéniablement une avancée majeure pour la connaissance sur les associations.

Ainsi, pour la première fois, l‟économie sociale a été mesurée par la statistique officielle, même si des efforts restent encore à faire pour en corriger les imperfections. Dans ce cadre, une série de tableaux statistiques fournissent des données sur l‟emploi et les établissements employeurs dans l‟économie sociale, au niveau national et régional, a été publiée par l‟INSEE

32 Aujourd‟hui fondue dans la nouvelle Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).

en 200833. En privilégiant une entrée par grandes familles de l‟économie sociale (associations, coopératives, mutuelles), ces données nous renseignent peu sur la place particulière des associations de solidarité par rapport à l‟ensemble du monde associatif. Elles sont en effet comprises dans un ensemble très vaste, la catégorie « éducation, santé et action sociale », catégorie « fourre-tout » (qui concentre à elle seule 60 % de l‟emploi de l‟ESS et 75% des emplois des associations) et qui mériterait de gagner en précision.

Néanmoins, des travaux complémentaires menés par des organismes privés viennent combler en partie ces lacunes. Une récente enquête menée par le centre d‟études sur les associations

« Recherches et solidarités » en partenariat avec l‟UNIOPSS fournit des données plus fines sur l‟emploi dans le secteur associatif sanitaire, social et médico-social relevant du régime général de Sécurité sociale et du régime agricole34.

Ces travaux nous apprennent qu‟en 2007, le secteur comprenait plus de 30 000 établissements employeurs représentant près de 800 000 salariés, c‟est-à-dire 47% du volume de l‟emploi salarié dans les associations et près de 5% du total des salariés du secteur privé. Avec 13 milliards d‟euros de masse salariale, le secteur social associatif représente plus que la métallurgie (11,1 milliards d‟euros en 2007) ou l‟agroalimentaire (11,7 milliards d‟euros en 2007). Le tableau 3 ci-dessous donne une idée de la répartition des emplois par sous secteur de l‟action sociale (GUERRY,2009a).

33 Le périmètre de l‟économie sociale a été discuté et validé conjointement par la DIIESES et par le CNCRES (Conseil national des chambres régionales de l‟économie sociale), partenaires de l‟Insee sur ce sujet. Les données sur l‟emploi résultent de la source INSEE-CLAP qui procède d‟une mise en cohérence des sources DADS (Déclarations Annuelles des Données Sociales), URSSAF et Fonction Publique d‟État.

34 Elles s‟appuient sur des données de l‟Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS-URSSAF) et de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). De la même manière que les données INSEE/CNCRES, leur fiabilité doit être soulignée dans la mesure où elles reposent sur des sources exhaustives.

Tableau 3 : Nombre de salariés par sous secteurs d’activité

Sources : D’après Guerry (2009a). Exploitation des données ACOSS-URSSAF et CCMSA – Traitement R & S.

Les données sont arrondies. nc signifie que le nombre des références est trop faible pour être diffusé.

De plus, l‟emploi dans les associations de solidarité connaît une progression importante (cf.

Figure 1 ci-dessous). En 7 ans, le secteur associatif sanitaire et social a gagné près de 190 000 emplois, avec un taux de croissance annuel moyen de 3,8%, il dépasse ainsi largement la tendance de l‟ensemble de l‟emploi salarié et de l‟emploi associatif (hors sanitaire et social) en France (GUERRY, 2009a, op. cit.).

Figure 1 : Évolution de l’emploi dans les associations de solidarité en 7 ans

500 000 550 000 600 000 650 000 700 000 750 000 800 000 850 000 900 000 950 000

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Sources : D’après Guerry (2009a). Données ACOSS-URSSAF et CCMSA – Traitement R & S.

Nombre de salariés Régime

général

Régime

agricole Total

Aide à domicile 140 135 6 160 146 300

Accueil des enfants en difficulté 35 245 nc 35 250

Accueil des enfants handicapés 69 620 125 69 750

Accueil des adultes handicapés 92 820 50 92 870

Accueil des personnes âgées 68 190 105 68 295

Aide par le travail 122 020 1 180 123 190

Crèches, garderies 28 780 nc 28 790

Autres hébergements sociaux 24 190 60 24 250

Autres formes d'action sociale sans hébergement 206 000 2 300 208 295

Total 787 000 9 980 796 990

L‟importance de leur poids économique se vérifie également au niveau des budgets gérés par les associations de solidarité. Selon l‟enquête du CES (TCHERNONOG, 2007), le secteur de l‟action sociale et de santé représente 45% du poids économique global du secteur associatif.

Avec un budget total estimé de 21 516 millions d‟euros, elles réalisent en outre à elles seules plus du tiers du budget cumulé des associations et 42 % du budget cumulé des associations employeurs.

Les associations étudiées constituent ainsi une force économique importante, à travers leur rôle de prestataire de services sociaux et d‟employeur. Il s‟agit donc d‟associations qui sont

« entrées en économie » (PARODI, 1997). Elles sont positionnées à ce titre par certains travaux comme incarnant l‟idéal-type de l‟ « entreprise associative » (HELY, 2009). Cette expression est utilisée par cet auteur afin de mettre l‟accent sur sa différence avec la forme associative traditionnelle, composée exclusivement de bénévoles. En plus d‟être régie par le cadre traditionnel de la loi de 1901, l‟entreprise associative, qui comporte au moins un salarié, doit également se conformer au code du travail ; ce qui la rapproche de la fonction employeur propre à l‟entreprise classique. Il entend de cette façon souligner l‟ « ambivalence » des entreprises associatives régies par un double contrat : de travail et d‟association. C‟est en cela qu‟il la qualifie d‟ « être juridique hybride ». Il s‟agit donc également de cette manière d‟insister sur le tiraillement (déjà souligné précédemment) pouvant exister entre son projet et la production de service. De la même façon, E. MARCHAL (1992) considère l‟entreprise associative comme « une structure juxtaposant deux dispositifs distincts et autonomes, celui d'une association et celui d'une entreprise, dont les intérêts peuvent diverger totalement ». Il est en effet possible d‟observer un partage des rôles conflictuels entre des administrateurs qui s‟expriment sur le mode de l'interpellation politique et des professionnels salariés qui agissent dans une logique de rationalisation technique de l‟action conforme au cadre défini par les pouvoirs publics, et intégrant de cette façon les contraintes qui y sont associées.

À travers cet effort de délimitation du champ étudié, nous avons souhaité mettre l‟accent sur les spécificités des associations de solidarité qui viennent justifier que l‟on s‟intéresse à leurs relations aux pouvoirs publics. La description de leurs principales caractéristiques a ainsi permis de mettre en exergue leur forte imbrication aux politiques sociales et les tensions qui peuvent naître de cette situation. Au sein du développement suivant, nous souhaitons montrer que cette proximité à l‟action publique trouve également des justifications théoriques.

1.2. DES SERVICES QUI NECESSITENT UNE INTERVENTION PUBLIQUE : UN MARCHE MIS EN ECHEC

Les services sociaux et médico-sociaux Ŕ en raison de la spécificité des publics auxquels ils s‟adressent, de la nature même de la relation de service et enfin, de leur portée sur la collectivité Ŕ plaident pour une intervention publique qui, nous le verrons, peut prendre différentes formes (régulation de la qualité ou encore des financements, dans un souci d‟équité). Il existe en effet certaines circonstances où les règles du marché sont inefficientes, ce qui vient justifier la mise en place d‟un traitement particulier de ces services par rapport aux règles de la concurrence. Dans la mesure où ces services sont indissociables d‟une régulation publique et que les associations en sont les premiers fournisseurs, la conduite d‟une réflexion sur leurs relations aux pouvoirs publics nous semble par conséquent incontournable.

La question de l‟insertion dans le marché des services rendus par les associations de solidarité fait aujourd‟hui l‟objet de controverses comme en témoignent les débats amorcés depuis une quinzaine d‟années au niveau européen autour de la reconnaissance de la spécificité des

« services sociaux d‟intérêt général » (SSIG) parmi les « services d‟intérêt économique général » (SIEG). Ils trouvent aujourd‟hui un certain retentissement à travers les discussions (tout juste tranchées) autour de la transposition de la directive « services »35 (ex-Bolkestein) en droit français. Tout l‟enjeu pour les associations était d‟exclure ces services d‟une application stricte des règles de la concurrence. Au niveau européen, les services rendus par les associations de solidarité sont en effet considérés comme des activités économiques et se retrouvent ainsi dans la catégorie des services sociaux d‟intérêt économique général (SIEG)36. Au sein d‟une communication d‟avril 2006 (COM, 2006), la Commission européenne affirmait en effet que « la quasi-totalité des services prestés dans le domaine social peuvent être considérés comme des « activités économiques » au sens des articles 43 et 49 du traité CE ».

Elle se fonde pour cela sur la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européenne (CJCE) qui définit la notion d‟activité économique comme toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné moyennant rémunération. La Cour n‟exige pas néanmoins que le service soit payé directement par ceux qui en bénéficient, ce qui élargit

35 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

36 Au niveau européen, les services d'intérêt général (SIG) sont définis comme « les services, tant économiques que non économiques, que les autorités publiques classent comme étant d'intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public » (COM, 2007). Au sein des services d‟intérêt général (SIG), la Commission européenne oppose en effet les SIG « purs » des services d‟intérêt économique général (SIEG). Les SSIG se situent quant à eux à l‟intérieur de ce que le Parlement européen qualifie de « zone grise » des SIG, tantôt économiques, tantôt non économiques.

considérablement le champ des services concernés. En outre, elle ne tient pas compte du statut juridique de l‟opérateur. En tant que productrices de services sociaux échangés en contrepartie d‟un prix (et donc même si son financements est issu de la solidarité nationale), les activités fournies par les associations de solidarité remplissent de cette façon l‟ensemble des conditions requises pour être qualifiées d‟activité économique selon la définition du droit communautaire.

Dès lors, les règles relatives au marché intérieur (principe de libre circulation des services et de liberté d'établissement) et à la concurrence sont censées s‟appliquer à ces services. Néanmoins, les caractéristiques des services sociaux conduisent à certaines défaillances du marché sur lesquelles l‟État peut jouer un rôle. C‟est pourquoi le Parlement européen a exclu par principe les services sociaux du champ d'application de la directive "services"37(même si la définition de leur périmètre reste à la charge des États membres).

En faisant appel à la théorie économique, différentes causes d‟échecs du marché peuvent ainsi être identifiées dans le cadre de ces services.