• Aucun résultat trouvé

66 POÉSIES DE SCHILLER.

qu’il s’en revenait de la chasse avec le comte, il lui jeta dans le cœur les germes du soupçon.

a Que vous étés heureux, noble comte! lui dit-il traîtreusement : le doute rongeur ne trouble pas votre paisible sommeil; car vous possédez une ver-tueuse femme dont la pudeur augmente les charmes.

Nul séducteur ne parviendrait a ébranler une telle vertu.

- Que me dis-tu la? répondit le comte avec un

regard sombre. Puis-je me fier à la vertu de la

femme, mobile comme l’onde? Elle attire facile-ment les paroles flatteuses. Ma confiance repose sur une base plus ferme, et le séducteur, je l’espère, n’oserait s’approcher de la femme du comte de Saverne.

- Vous avez raison, reprend Robert, et il ne faut

que rire de l’insensé valet qui ose élever ses vœux téméraires jusqu’à la noble dame à laquelle il doit obéir. - Quoi! s’écria le comte, parles-tu de celui qui est la ?

- Oui, sans doute. Mon maître ignore ce dont chacun parle, et puisque vous ne savez rien, je vou-drais me faire. - Tu es mort, si tu n’achèves, dit le comte d’une voix terrible. Qui oserait lever les»

yeux sur Cunégonde? - Je veux parler du petit blond.

---.-. . ;- -.--;:.:m.::zm .-- iA . -4:

FRIDOLIN. 67 M

a Il n’est pas laid de figure - continue Robert avec méchanceté, tandis qu’à chaque mot la sueur

inonde le visage du comte. -- Est-il possible,

mon-seigneur, que vous n’ayez jamais remarqué qu’il n’a

des yeux que pour elle! A table, il reste languissant

derrière sa chaise, et ne s’occupe pas môme de vous.

a Voyez ces vers qu’il a écrits et ou il avoue son amour. - Il avoue! - Et l’audacieux la conjure de l’aimer aussi. La noble comtesse, qui est si douce et si bonne, ne vous en a rien dit par pitié pour lui. Je me repens d’avoir laissé échapper ces paroles : car qu’allez-vous faire? n

Le comte, dans sa colère, pénètre au milieu d’un

bois voisin, ou l’on fond le fer dans une de ses forges. La, matin et soir, les ouvriers entretiennent

le feu d’une main active. L’étincelle jaillit, les souf-flets sont en mouvement, comme s’il fallait vitrifier les rocs.

La on voit réunie la puissance de l’eau et du feu.

La roue, poussée par les flots, tourne sans cesse;

les rouages résonnent jour et nuit, le marteau tombe lourdement sur l’enclume, et le fer cède à ses coups

répétés.

Il fait signe à deux forgerons et leur dit:

a Le premier messager qui viendra ici vous

68 POÉSIES DE SCHILLER.

mander si vous avez accompli les ordres de son mal-tre, vous le prendrez et vous le jetterez dans la four-naise. Qu’il y soit réduit en cendres, et que mes yeux ne le revoient plus. »

Ces paroles donnent aux forgerons une joie de bourreau; car leur cœur était dur comme le fer. Ils raniment avec le soufflet le feu de la fournaise et at-tendent avec un cruel désir leur victime.

Robert s’en va trouver Fridolin, et lui dit d’une voix hypocrite : «Allons! hâte-toi, le maître veut te parler. » Et le comte dit à Fridolin: a Il faut que tu ailles a l’instant même à la forge, et que tu demandes aux ouvriers s’ils ont accompli mes ordres.

- Cela sera fait, répond Fridolin, » et il se pré-pare à partir. Cependant il réfléchit tout à coup que sa maîtresse peut avoir quelque ordre à lui donner.

Il s’en va prés d’elle et lui dit: a On m’envoie à la

forge, dites-moi ce que je dois faire, car c’est à vous que j’appartiens. »

La dame de Saverne lui répond avec douceur : a Je voudrais bien entendre la messe, mais mon fils est malade. Va prier à ma place, et, en te repentant de

tes péchés, obtiens-moi la grâce de Dieu. »

Et, joyeux de recevoir cet ordre, il se met en

marche. A peine arrivé au bout du village, il entend

FRIDOLIN. 69

le son de la clochette qui invite solennellement tous les pécheurs à s’approcher du saint sacrement.

a Ne t’éloigne pas, se dit-il, du bon Dieu, si tu le trouves sur ta route, » et alors il entre dans l’église.

Elle est déserte, car c’est le temps de la mdisson.

Les laboureurs sont dans les champs, il n’y a pas même un enfant de chœur pour servir la messe.

Fridolin a bientôt pris sa résolution. Il remplace;

le sacristain. a Peu importe, se dit-il, le délai, c’est le ciel qui legveut. » Il donne au prétrel’étole et la chasuble, prépare à la hâte les vases néCessaires pour le saint office. Puis, après avoiraccompli cette tâche, il marche devant le prêtre, s’agenouille à droite, s’agenouille a gauche, obéit a chaque signe, et au Sanctus fait sonner trois fois la clochette.

Lorsque le prêtre s’incline pieusement,.et, tourné du côté de l’autel, tient entre ses mains le Dieu des-cendu dans l’hostie, le sacristain agite sa clochette, et tous les assistants s’agenouilleut, se frappent la poitrine et font le signe de la croix devant le Christ.

Fridolin accomplitainsi habilement son devoir re-ligieux. Il connaît les coutumes de l’Église et les suit

de point en point, jusqu’à ce que le prêtre prononce le Dominus vobiscum et termine l’office en bénissant la communauté.

Alors Fridolin remet tout en ordre sur l’autel et

Documents relatifs