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La pluralité des régulations : Régulation de contrôle et régulation autonome

C HAPITRE III : L ES APPROCHES C ONSTRUCTIVISTES

V. La pluralité des régulations : Régulation de contrôle et régulation autonome

Le débat classique opposant structure formelle et structure informelle a été stérile et n’a pas produit une meilleure compréhension du phénomène de la structuration. Saisir les logiques sous-jacentes de la structuration ne sera possible que dans un cadre qui dépasserait cette distinction classique. La théorie de la régulation propose de parler de régulation de contrôle et régulation autonome.

Fondamentalement, il existe deux types de règles, les règles autonomes et les règles de contrôle auxquelles sont associées la régulation de contrôle et la régulation autonome. La

114 hiérarchie possède des moyens d’action officielle lui permettant d’atteindre des objectifs d’efficacité. Ces moyens d’action sont contrés par une organisation informelle qui opère dans une logique de sentiment. C. Barnard (1938) a décrit le fonctionnement de l’organisation informelle qui répare les traumatismes causés par l’organisation formelle. Cette distinction entre organisation formelle et organisation informelle qui fractionne l’organisation en deux sphères distinctes n’aide pas à mieux comprendre le processus de structuration. Car ce raisonnement met en confrontation deux sphères abstraites et ne montre pas dans quelle mesure, en conservant chacune sa logique, elles peuvent se combiner dans un processus de structuration par exemple.

Dans la théorie de régulation sociale, la régulation autonome ne correspond pas forcément à la logique de sentiment qui fonde l’organisation informelle. L’exemple contradictoire est celui de l’enquête menée par F. E. Emery et E. L. Trist (1979) qui a démontré que l’organisation adoptée par les mineurs avait des objectifs économiques et constituait en même temps un système productif alternatif à celui de la direction. J.-D. Reynaud (1988, p. 8) cite Ronald Roy qui expliquait que le freinage analysé par Roethlisberger et Dickson (1939) comme réaction de protection sociale, pouvait parfaitement être considéré comme une auto-organisation, dont les travailleurs défendaient l’efficacité contre la logique de sentiment de la direction. C'est-à-dire que les résistances et les freinages ne sont pas l’expression d’une organisation informelle cantonnée dans une logique de sentiment et décontenancée de raison économique. Les valeurs affectives très fortes que les acteurs accordent à leur régulation ne s’expliquent pas par leur dimension strictement psychologique, mais par les enjeux de pouvoir qui sont liés à la concurrence de ces régulations.

D’une manière générale, les pratiques clandestines prises à l’initiative d’un groupe ne vont pas forcément à l’encontre des impératifs économiques, leur expression ne signifie pas un repli du groupe sur lui-même, elles sont souvent sensibles aux résultats économiques. Ceci nous conduit à l’idée que les deux régulations ne sont pas antinomiques, l’une se propose comme alternative à l’autre. Ces arguments essaient de démontrer l’inexistence d’une correspondance entre l’organisation informelle et formelle d’une part, et la régulation autonome et de contrôle de l’autre côté.

Les cercles de qualité (R. De Maricourt, 1993), les systèmes de montage réflexif (M. Freyssenet, 1995), les groupes autonomes et les communautés de pratiques (S. Dameron et E. Josserand, 2007) constituent, chacun à leur manière, des moyens pour conjuguer les deux

115 types de régulation. En effet, les ressources dont disposent les exécutants et les solutions qu’ils ont apportées à leurs problèmes de coopération ne sont plus considérées comme des résistances au changement mais comme des ressources à mobiliser dans une régulation conjointe.

La régulation de contrôle et la régulation autonome ne correspondent pas aux mondes distincts de l’informel et du formel, car les deux régulations peuvent conquérir les mêmes espaces et avoir les mêmes objectifs. Une relecture Crozienne de cette problématique permettrait de mieux saisir leurs liens.

Les logiques de contrôle et d’autonomie sont des orientations stratégiques des acteurs. La différence entre les deux ne se situe pas en termes économique et social. La régulation de la direction cherche à contrôler les zones de liberté et d’autonomie des salariés. Les actions entamées par les travailleurs sont une régulation qui tente de contrecarrer la régulation de contrôle opérée par les responsables. Ces derniers peuvent à leur tour contre-attaquer par des mesures officielles pour une meilleure régulation de contrôle. Cette lecture de l’action collective est assez proche de celle élaborée dans l’analyse stratégique.

Les acteurs agissent pour exercer une régulation de contrôle ou une régulation autonome. Autrement dit, ils développent des jeux, des attaques et des contre-attaques. Les deux régulations sont des stratégies de jeu d’acteurs qui s’expliquent par la conquête de pourvoir au sein de l’organisation. La dimension stratégique de la régulation signifie aussi que le contrôle et l’autonomie sont des stratégies d’acteurs en fonction de leurs positions dans l’organisation et des données de la situation. En ce sens, qu’une direction peut s’inscrire dans une régulation d’autonomie vis-à-vis d’une autre direction et en même temps développer une régulation de contrôle face à ses subalternes. C’est le caractère ambivalent de la régulation.

Néanmoins, la régulation autonome n’est pas une nébuleuse, elle est « élaborée, enseignée aux nouveaux venus, parfois imposée aux groupes non stratégiques. » (J.-D. Reynaud, 1988, p. 10) Quand à la régulation de contrôle, elle ne respecte pas toujours les textes officiels, elle se différencie par « son orientation stratégique qui est celle de peser de l’extérieur sur la régulation d’un groupe social. » (Ibid.) La distinction des deux régulations, ne s’applique pas à n’importe quelle relation de pouvoir. Elle désigne une relation spécifique : celle qui s’établit entre un groupe et ceux qui veulent le régler de l’extérieur. (Ibid., p.11) Cependant, cette relation ne caractérise pas uniquement les relations hiérarchiques. Très généralement, la

116 confrontation existe toutes les fois qu’un acteur à une capacité d’initiative concernant les objectifs et les procédures d’un autre acteur.

Les stratégies des acteurs s’expriment par des régulations. Elles visent non seulement à atteindre des résultats qui intéressent une des parties prenantes, mais, directement ou indirectement, à régler l’ensemble de l’activité pertinente. Ce qui est donc en cause dans les rencontres des deux types de régulation, ce ne sont pas les enjeux de chacun, ce sont bien les règles du jeu.

Même le management moderne qui tente de différentes manières de mobiliser les collaborateurs, n’a fait que reconnaître et admettre la régulation autonome des travailleurs, derrière laquelle se cachent des enjeux économiques. De ce fait, l’organisation devient une constellation de régulations qui négocient sans cesse des compromis. Une modification de la configuration du pouvoir au sein des organisations est l’aboutissement de cette régulation conjointe. Le management moderne n’a pas mis en place des dispositifs démocratiques pour donner la possibilité aux travailleurs de s’exprimer librement, ces derniers ont développé une capacité d’action qui a poussé la régulation de contrôle à les reconnaitre et à les associer dans le fonctionnement de l’organisation. « Par conséquent, la mise en place de structures plus participatives doit tenir compte des rapports de pouvoir en place pour envisager les perspectives de changements possibles. » (J.-D. Reynaud, 1988, p. 12)

Reynaud souligne à la fin que « la constitution des acteurs collectifs sur une stratégie, ce n’est cependant pas réduire ces acteurs à un objectif ou à une fonction dans un système. L’acteur collectif n’a pas pour seule dimension sa stratégie, il est pluridimensionnel. Il y a un poids des identités acquises etc. » (Ibid., 14)