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Malgré l’aspect apparemment définitif de l’engagement dans un lignage et de la différenciation qui s’en suit, de nombreuses études ont montré récemment que les cellules de l’épithélium intestinal conservent une grande plasticité. Ce terme de plasticité définit ici les cellules progénitrices ou différenciées qui sont capables de se dédifférencier en cas de perte des CBC Lgr5+ pour donner naissance à de nouvelles cellules souches, qui peuvent

alors renouveler l’épithélium en entier. La première description de ce phénomène a été faite en 2012 par le laboratoire de Hans Clevers (van Es et al., 2012b). Les auteurs ont montré

Figure 15 : Les cellules Dll1+ peuvent se dédifférencier mais ne sont pas des cellules souches quiescentes

Nombre de clones LacZ+après induction de la CRE dans les cellules Dll1+et perte des ISC (dû à l’irradiation).

Le groupe 1 représente le contrôle négatif car il n’y a pas d’irradiation. L’absence de clones LacZ+ dans le

groupe 2 avec l’induction de la CRE 14 jours avant l’irradiation couplée à la présence de clones LacZ+dans le

groupe 3 avec l’induction de la CRE 1 jours avant l’irradiation montre, en plus de la dédifférenciation de ces cellules, que les cellules Dll1+ne sont pas des cellules souches quiescentes à longue durée de vie. D’après van

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qu’une population de cellules progénitrices du lignage sécrétoire, localisée au-dessus du compartiment des CBC et exprimant le marqueur moléculaire Dll1, est capable de se dédifférencier. Pour démontrer cela, les auteurs ont utilisé la technique de suivi du lignage (comme décrite en Figure 6) des cellules Dll1+. En conditions d’homéostasie, 4 jours après

l’induction de la CRE sous la dépendance du promoteur Dll1 et d’expression de LacZ, quelques cellules sont positives dans les cryptes et les villosités, marquant des cellules de Paneth, des cellules à mucus, entéroendocrines et de « tufts ». Ceci montre le caractère progéniteur du lignage sécrétoire des cellules Dll1+. De plus, 10 jours après l’induction,

seules des cellules de Paneth sont encore positives, confirmant une durée de vie courte des autres types de cellules Dll1+. Pour tester la plasticité les souris ont été irradiées à 6G, ce

qui cause la perte des CBC Lgr5+. Les auteurs ont montré que, 28 jours après l’irradiation et

l’induction de la CRE, des clones de cellules positives font leur apparition tout le long de la crypte et de la villosité (Figure 15, groupe 3). Tous les types cellulaires sont représentés dans ces cellules positives, et le marqueur Lgr5 spécifique des CBC est réexprimé. Ces résultats montrent la dédifférenciation des cellules Dll1+ en cellules souches CBC après perte des

cellules Lgr5+ pour permettre le renouvellement normal de l’épithélium. De plus, les auteurs

ont également montré que, lorsqu’ils ont induit la CRE 14 jours avant l’irradiation, 28 jours après l’irradiation aucune cellule n’est positive à LacZ (Figure 15, groupe 2). Ceci confirme que les cellules Dll1+ sont des progéniteurs avec une courte durée de vie et pas des cellules

souches quiescentes (van Es et al., 2012b). Une autre étude a directement analysé une population de cellules dites quiescentes, grâce à leur capacité à retenir un marquage à long terme (ici H2B-YFP) comme décrit par Potten et ses collaborateurs (Potten et al., 1978). Dans cette étude, ces cellules sont localisées dans la crypte, avec une préférence pour la position 3, et sont nommées LRC (Label-retaining cells) (Buczacki et al., 2013). L’étude transcriptomique de ces cellules montrent qu’elles expriment à la fois des marqueurs de cellules souches, de cellules du lignage sécrétoire ainsi que les marqueurs des cellules « +4 ». En conditions d’homéostasie, les auteurs ont montré que ces cellules donnent naissance principalement aux cellules de Paneth et aussi aux cellules entéroendocrines. Enfin, par suivi du lignage ils ont montré que ces cellules sont capables de renouveler l’épithélium en entier, mais seulement en réponse aux dommages causant la perte des CBC Lgr5+. Les auteurs ont

donc fait l’hypothèse que ces cellules décrites comme des cellules souches quiescentes par Potten et ses collaborateurs (Potten et al., 1978) pourraient être en fait des précurseurs du

Figure 16 : Les cellules Alpi+peuvent se dédifférencier pour régénérer l’épithélium intestinal

En homéostasie normale, les cellules progénitrices Alpi+ ont une durée de vie courte et donnent naissance

aux entérocytes matures en migrant vers le haut de la villosité. Lors de la perte des ISC Lgr5+, les cellules Alpi+ sont capables de migrer vers le bas et de se dédifférencier pour permettre la régénération de

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lignage sécrétoire avec une durée de vie assez longue, et capables de se dédifférencier en cas de perte des CBC Lgr5+ (Buczacki et al., 2013). Cette hypothèse est en accord avec

Bjerknes et ses collaborateurs qui avaient montré l’existence de cellules progénitrices du lignage sécrétoire à longue durée de vie (Bjerknes and Cheng, 1999). Cette étude a l’avantage de n’être pas basée sur des marqueurs moléculaires, qui ne sont pas toujours spécifiques, mais sur la capacité de la cellule à retenir un marquage, ce qui caractérise les cellules souches quiescentes selon Potten. Une autre étude a montré que les cellules Bmi1+,

qui ont été caractérisé comme des cellules souches quiescentes en position +4 (Sangiorgi and Capecchi, 2008), seraient en fait une population de cellules entéroendocrines différenciées (Yan et al., 2017). Cette population contient plusieurs sous-populations, en accord avec l’hétérogénéité des cellules entéroendocrines, et est capable de renouveler l’épithélium après irradiation et perte des CBC Lgr5+ (Yan et al., 2017). Enfin, il a également

été montré que les cellules progénitrices du lignage entérocytaire, Alpi+, sont capables de

régénérer l’ensemble des cellules épithéliales intestinales à long terme après perte des cellules Lgr5+ alors qu’elles ont une courte durée de vie et une descendance exclusivement

entérocytaire dans l’homéostasie normale (Tetteh et al., 2016) (Figure 16).

Toutes ces études suggèrent que les cellules +4, qui permettent, comme d’autres cellules progénitrices, le maintien de l’épithélium suite à la perte des CBC Lgr5+, seraient en fait des cellules différenciées ou en cours de différenciation, qui sont capables de se dédifférencier en cas de problème. Cette hypothèse est cohérente avec la grande hétérogénéité des cellules présentes au niveau de cette position en terme moléculaire (Bmi1+, Hopx+, Prox1+…)

ou en termes de sensibilité à l’irradiation. Cette hypothèse suggère que les cellules présentes au-dessus de la zone des CBC se retrouvent en positions inférieures lors de la perte des CBC et donc au contact de la niche des cellules souches qui leur impose alors une identité souche. Ce mécanisme mis en place par l’organisme pour maintenir l’intégrité du tissu quoi qu’il arrive, assure la robustesse fonctionnelle du tissu. Toutefois, il a pour inconvénient de permettre à n’importe quelle cellule de l’épithélium de se dédifférencier, de proliférer et, donc potentiellement, d’entrainer l’initiation de la tumorigénèse en réponse à des signaux environnementaux. Par exemple, une étude a montré que la surexpression de la β-Caténine stabilisée, en association avec l’activation des oncogènes NF-κB ou KRAS, dans les cellules Lgr5- (grâce à l’expression de la CRE sous la dépendance du promoteur Xbp1) de

Figure 17 : Le modèle organoïde

A : Croissance d’un organoïde cultivé à partir d’une cellule souche isolée durant 13 jours. B : représentation

schématique d’un organoïde avec la lumière au centre de l’épithélium. Les bourgeonnements contiennent les cellules souches et sont assimilés à la crypte. Entre ces bourgeonnements les cellules différenciées sont présentes et récapitulent l’organisation des villosités. C : Images confocales (a, b, c et d) et coupes paraffines (e, f, g et h) montrant la présence dans les organoïdes d’entérocytes (a : villine, e : alkaline phosphatase), de cellules à mucus (b : Muc2, f : acide périodique de Schiff), de cellules de Paneth (c et g : Lysozyme) et de cellules entéroendocrine (d : Chromogranine A, h : Synaptophysine). D’après Sato et al., 2009.

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l’épithélium intestinal entraîne la tumorigénèse intestinale. Les polypes formés sont très prolifératifs mais surtout ils expriment un grand nombre de gènes marqueurs des ISC (Lgr5, Ascl2…), ce qui montre que la surexpression de ces oncogènes dans les cellules différenciées de l’épithélium intestinal a engendré la dédifférenciation de ces cellules et donc la tumorigénèse (Schwitalla et al., 2013). De plus, dans un modèle permettant l’ablation des cellules Lgr5+ par ajout de toxine diphtérique, après la formation des tumeurs, la déplétion

de ces cellules entraîne l’arrêt de la croissance des tumeurs jusqu’à l’arrêt du traitement qui engendre alors la reprise de la croissance (de Sousa e Melo et al., 2017). Ceci suggère que des cellules de la tumeur, après la fin du traitement, se sont dédifférenciées pour relancer la prolifération et donc la croissance tumorale. Ceci pourrait expliquer la résistance de certaines tumeurs vis-à-vis des traitements ciblant les cellules souches cancéreuses.

Là aussi, la plasticité de l’épithélium intestinal étant fortement liée aux mécanismes de mise en place de l’identité cellulaire, la chromatine pourrait avoir un rôle majeur dans ce processus et donc dans le maintien à long terme de l’homéostasie de l’épithélium intestinal.