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Le manque de modèle ex vivo de cellules épithéliales recréant la complexité de l’axe crypte- villosité a pendant longtemps compliqué les investigations sur l’homéostasie de l’épithélium intestinal. Le laboratoire de Hans Clevers a décrit un modèle, nommé « organoïde », pour la première fois en 2009 (Sato et al., 2009). Pour cela, les auteurs ont isolé des cryptes intestinales, dissocié les cellules puis mis celles-ci en culture dans du Matrigel pour fournir un support extracellulaire proche de celui existant in vivo avec des laminines et du collagène. Lors de la mise en culture, les cryptes se referment sur elles-mêmes et forment une sphère avec une lumière au centre (Figure 17A). La croissance de ces organoïdes nécessite des facteurs permettant de stimuler la voie Wnt (WNT3a et R-SPONDIN pour amplifier la signalisation Wnt), de l’EGF important pour la prolifération et de la NOGGIN pour inhiber la signalisation Bmp. Grâce à ces facteurs, les organoïdes croissent et forment au bout de quelques jours des bourgeonnements contenant des cellules souches ainsi que des cellules de Paneth, donc similaires à des cryptes. Les cellules différenciées se trouvent hors des cryptes dans des domaines récapitulant l’organisation des villosités (Figure 17A, B et C). Ces organoïdes peuvent être dissociés et les cryptes réensemencées pour donner naissance à de

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nouveaux organoïdes, qui peuvent être ainsi cultivés pendant une durée supérieure à 8 mois (Sato et al., 2009). Ce système est donc le premier à permettre la culture à long terme de cellules épithéliales intestinales qui s’auto-organisent pour recréer les équilibres de l’homéostasie intestinale et en mimer la physiologie de l’axe crypte-villosité. Cette technique montre que les cellules de l’organoïde sont capables de recréer l’asymétrie entre la crypte et la villosité sans l’aide des cellules mésenchymateuses. Par exemple, l’agoniste de WNT (R- Spondin) est présent dans tout le milieu de culture, mais pourtant seules les cellules de la crypte des organoïdes ont une signalisation Wnt active (Sato et al., 2009). Enfin, les auteurs ont également montré la possibilité de créer des organoïdes à partir de cellules souches Lgr5+ isolées. Cependant cette culture nécessite l’ajout supplémentaire, par rapport à la

culture à partir de cryptes entières, d’agoniste de la voie Notch pour pouvoir former des organoïdes (Sato et al., 2009). Ceci semble confirmer le caractère indispensable des cellules de Paneth pour activer la voie Notch dans les ISC et permettre le maintien de ces dernières. Ce modèle facilite donc l’analyse de l’homéostasie de l’épithélium intestinal par une approche ex vivo. Il permet notamment d’aborder le rôle de différents facteurs dans le maintien du caractère souche ou l’induction des lignages, par exemple par des approches de pertes de fonctions (siRNA, CRISPR-Cas9, …) ou en comparant différents génotypes. Par exemple, la mise en culture des villosités de souris sauvages n’entraîne pas la formation d’organoïdes, prouvant le caractère différencié et non prolifératif des cellules des villosités. Cependant, la mise en culture des villosités provenant des souris ayant la voie Wnt et l’oncogène KRAS activés dans tout l’épithélium entraîne la formation et la croissance d’organoïdes, prouvant ainsi que, dans ces souris, certaines cellules des villosités ont des caractéristiques souches (Schwitalla et al., 2013). Aussi, l’ajout d’un agoniste de la voie Bmp (BMP4) dans le milieu de culture des organoïdes entraine la perte de la formation de ces structures (Qi et al., 2017). Ce modèle est donc puissant pour analyser le caractère souche des cellules.

Ce modèle permet également l’analyse de la perméabilité de l’épithélium par injection de molécules fluorescentes à l’intérieur des organoïdes, puis analyse du maintien de la fluorescence à l’intérieur de l’organoïde au cours du temps. Par exemple, dans une étude, il a été montré que l’ajout de la toxine de Clostridium, dans le milieu de culture, entraîne la perte de la fluorescence en 20h, contrairement aux organoïdes contrôles non traités dans

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lesquels cette fluorescence est encore présente (Hill et al., 2017). Cette technique permet donc d’analyser la perméabilité de l’épithélium intestinal en réponse à des molécules en temps réel. La micro-injection permet également d’analyser la relation hôte-pathogène. Par exemple, la micro-injection de Salmonella enterica dans la lumière d’organoïdes a permis de montrer le rôle protecteur de l’Interleukine-22 contre l’invasion intracellulaire de cette bactérie (Forbester et al., 2018). Tous ces exemples montrent la multitude de possibilités d’utilisation des organoïdes comme modèle d’étude des caractères physiologiques du tissu. L’un des atouts de ces organoïdes est également l’une de leurs principales limitations : ils sont uniquement constitués de cellules épithéliales, ce qui permet de découpler leurs propriétés et physiologie de celles du mésenchyme (Sato et al., 2009). Or les cellules entourant l’épithélium intestinal in vivo ont également un rôle prépondérant dans le contrôle de sa physiologie et son homéostasie. Pour remédier à ceci de plus en plus d’études utilisent les organoïdes en coculture avec un autre type cellulaire (revue Holloway et al., 2019). Par exemple, une étude a montré la possibilité de cultiver les organoïdes intestinaux avec des lymphocytes intraépithéliaux (IEL). La coculture de ces IEL avec les cellules épithéliales donne naissance à des organoïdes qui présentent ces lymphocytes au sein de l’épithélium (Nozaki et al., 2016). Cette co-culture pourrait, notamment, permettre l’analyse plus complète de la réponse immunitaire intestinale ex vivo. La coculture de cryptes provenant du colon sur un tapis cellulaire de myofibroblastes sous-épithéliaux a montré une plus forte capacité à former des colonoïdes que la culture sans ces cellules (Hirokawa et al., 2014). L’étude de la coculture de différents types cellulaires avec les cellules épithéliales n’est qu’au début de son investigation mais semble très prometteuse dans la meilleure compréhension de la physiologie de l’épithélium intestinal.

Enfin, en plus de leur importance dans la compréhension de la physiologie intestinale, les organoïdes ont aussi un gros potentiel thérapeutique. Il a été montré que des colonoïdes peuvent être greffés dans des colons in vivo. Pour cela, les auteurs ont cultivé des organoïdes exprimant la GFP pour pouvoir facilement les suivre, puis ils les ont implantés dans des colons endommagés par une colite induite par le DSS (Dextran Sodium Sulfate) de souris immunodéprimées (KO pour Rag2). Quelques jours après la greffe, les auteurs ont observé que des cellules GFP+ ont recolonisé le colon et restauré son intégrité. Cette greffe

Figure 18 : Structure de la chromatine

A : Schéma illustrant les différents niveaux de compaction de la chromatine. La plus petite unité est formée

par l’enroulement d’environ 147 paires de bases d’ADN autour d’un octamère d’histone, et est appelée nucléosome. La fixation de l’histone de liaison H1 (« linker histone ») au nucléosome aboutit à la formation de l’unité de la chromatine appelée chromatosome. L’interaction entre les nucléosomes peut aboutir à la formation d’une fibre plus compacte : la fibre de 30nm, même si son existence in vivo fait l’objet d’intense débat. D’après Fyodorov et al., 2018. B : Schéma illustrant un nucléosome avec l’enroulement de l’ADN autour du tétramère H3/H4 et des 2 dimères H2A/H2B. A noter : les queues N-ter des histones (qui sont le lieu de nombreuses modifications post-traductionnelles) sont à l’extérieur du coeur du nucléosome.

A

B

H2A

H2B

H3

H4

Queue N-terminale ADN

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2012). Les organoïdes ont donc un fort intérêt thérapeutique pour la greffe chez des patients atteints de pathologies inflammatoires chroniques induisant des dommages aux épithéliums intestinaux et du colon.

Ce modèle en recréant la physiologie de l’épithélium intestinal pourrait permettre d’analyser le rôle de la chromatine et sa dynamique dans le contrôle de l’identité des cellules épithéliales intestinales, ainsi que le possible lien avec les facteurs de transcription et les voies de signalisation clés de l’homéostasie de l’épithélium intestinal.