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Plasticité intermodale par le biais de la substitution sensorielle chez

CHAPITRE 1. INTRODUCTION GÉNÉRALE

1.5 Plasticité intermodale par le biais de la substitution sensorielle chez

Chez l’aveugle congénital, la conséquence corticale de la substitution sensorielle est la plasticité inter-modale. La plasticité est un phénomène naturel, une adaptation du cerveau au changement, dans ce cas une adaptation à l’entrainement avec un appareil de substitution sensorielle. La cécité congénitale et précoce chez l’humain engendre des changements au niveau du cortex par un phénomène de plasticité et de réorganisation cellulaire. Nous avons vu que le cortex visuel de sujets aveugles de naissance à un métabolisme supra-normal (de Volder, 1997). La plasticité et l’intermodalité chez l’humain peuvent être observées dans des cas de privation sensorielle, de lésions, ou d’apprentissage de nouvelles tâches.

apprendre à intégrer de l’information qui provient d’autres modalités. À l’aide de techniques en imagerie nous avons la possibilité de démontrer les zones corticales sollicitées dans la substitution sensorielle. Par exemple, le cortex visuel est activé lors la lecture du braille chez les AN (Cohen et al., 1997; Sadato et al., 1996), et peut être activé par des sons ou de la stimulation tactile, ce qui n’est pas le cas chez les sujets voyants (Sampaio et al., 2000). L’activation du cortex visuel durant la lecture du braille est due à une réorganisation corticale suite à la privation sensorielle. En effet, certaines parties du cortex visuel sont recrutées par des modalités autres que la vision chez les aveugles. Par exemple le recrutement du lobe occipital pour accomplir des tâches tactiles, auditives et cognitives est bien documenté chez les aveugles (voir revue dans: Ptito & Kupers, 2005; Cattaneo et al., 2008).

Les chercheurs tentent aujourd’hui d’exploiter cette impressionnante capacité d’adaptation du cortex visuel pour rétablir une forme de vision aux aveugles et faciliter leur vie. L’interface tactile ou sonore pour la substitution sensorielle emploie ce même principe de plasticité intermodale pour acheminer l’information visuelle au cortex.

La stimulation électrotactile de la langue sollicite le cortex visuel chez les sujets AN grâce au TDU (Ptito et al., 2005). Cette étude a montré que le cortex occipital prend en charge la fonction de discrimination tactile sur la langue. La lettre T est projetée sur la langue sous forme d’influx électriques grâce à une grille de pixels placée sur la langue. Les aveugles ayant appris à discriminer l’orientation de la lettre T ont un taux de succès de 90% ou plus. La stimulation magnétique transcrânienne (TMS) du cortex occipital chez les sujets voyants entraîne

l’apparition de phosphènes visuels, tandis que chez les aveugles de naissance dont le cortex visuel est recruté pour des tâches tactile, cette même stimulation entraîne l’apparition de phosphènes tactile sur la langue et les doigts (Kupers, et al., 2005). Cela est une preuve supplémentaire de la réorganisation corticale de ces participants.

Figure 1.7 : Activations chez les sujets AN et voyants dans la tâche de discrimination linguale.

Les sujets AN activent le cortex occipital, mais pas les voyants. Adapté de Ptito et al., (2005).

Non seulement le cortex visuel est-il recruté pour accomplir ces tâches ‘visuo`- tactiles, mais le cortex occipital traite cette information comme si c’était réellement de la vision. Comme nous avons vu dans la section sur le système visuel, le

mouvement et la forme sont ségrégués en voies dorsale et ventrale dans le cortex pariétal et temporal. Si on projette sur la langue du mouvement ou de la forme, le cortex visuel des AN sépare aussi cette information en voie dorsale (Ptito et al., 2009) et ventrale (Ptito et al.;, 2005; Ptito et al., 2008; Ptito et al., 2009; Renier et al., 2009).

Figure 1.8 : Activation de hMT+ chez l’humain AN.

Un contraste entre les voyants et les AN montrant une activation plus forte dans hMT+ chez ce dernier groupe par le mouvement électro-tactile de la langue. (Ptito et al., 2008).

Le cerveau visuel peut être recruté pour interpréter l’information de la substitution sensorielle visuo-auditive (Arno et al., 2001; Amedi et al., 2005). Effectivement, on démontre à l’aide de méthodes TEP que le cortex occipital de sujets de cécité précoce est recruté après entrainement. La stimulation magnétique trans-crânienne de cette zone empêche aussi les sujets aveugles de faire des discriminations visuelles à l’aide de l’appareil, ce qui démontre le rôle fonctionnel du cortex visuel dans la substitution sensorielle.

De la même façon que le cortex visuel de sujets aveugles s’adapte à la cécité, le cortex auditif de personnes nées sourdes est plastique et peut adapter de

l’information provenant d’autres sens. Les sourds qui apprennent à lire sur les lèvres ont un cortex auditif qui répond au visionnement du mouvement des lèvres (Fine et al., 2005). Ce qui indique un principe général de réorganisation cérébrale suite à une privation sensorielle et un entrainement avec les sens demeurant qui n’est pas propre seulement à la vision.

1.5.1 Existe-il une période critique pour la plasticité intermodale?

La question qui se pose maintenant est de savoir s’il existe une période critique pour ces changements, comme il a été démontré pour les colonnes de dominance oculaire chez le chat. Il semblerait que les personnes aveugles, sans égard face à l’âge de la cécité, ont une plus grande activation du cortex visuel associatif que les voyants dans des tâches de discriminations tactiles. Par contre, l’activation du cortex visuel proprement dit (V1) n’était activé que chez les sujets dont la cécité était apparue avant l’âge de 16 ans (Sadato, et al., 2002).

Il semblerait donc improbable que V1 soit la porte d’entrée pour la redirection des signaux tactiles vers le cortex visuel. Par contre, le cortex visuel associatif pourrait moduler la circuiterie grâce à laquelle V1 est activé lors de tâches de discrimination tactile. Le cortex visuel associatif est activé chez des personnes de cécité tardive sans aucun entraînement au braille, mais pas chez les voyants (Sadato et al., 2004). Ceci implique que la plasticité corticale au niveau du cortex associatif est possible même au-delà de la période critique. Les aveugles de naissance qui apprennent à faire des discriminations tactiles avec la langue n’ont pas d’activation de V1 avant l’entraînement, mais suite à un entraînement, V1 est

activé (Ptito et al., 2005). Ceci peut vouloir dire que, suite à un entraînement, le cortex visuel associatif peut rediriger l’intrant tactile vers V1. Une étude de localisation de sons dans l’espace chez les aveugles de cécité tardive montre une réorganisation du cortex occipital. Cette tâche active le cortex occipital des sujets de cécité tardive, aussi bien que ceux de cécité précoce (Renier et al., 2005).

1.5.2 Habiletés conférées

Chez l’aveugle, cette plasticité intermodale a des conséquences comportementales importantes. Comme chez le chat aveugle (voir la section sur la privation sensorielle chez l’animal) qui performe mieux dans la localisation de stimuli auditifs, on observe chez les aveugles de naissance une compensation tactile et auditive pour l’absence de vision.

William James en 1890 écrivait aussi que la perte d’un sens devrait promouvoir d’extraordinaires habilités perceptuelles des autres sens. Il existe dans l’imaginaire commun l’idée que les individus aveugles ont des capacités perceptuelles compensatrices pour les sens intacts qu’il leur reste. Malgré un désavantage marqué au niveau perceptuel, les aveugles de naissance sont capables d’interagir efficacement avec leur environnement pour accomplir une multitude de tâches complexes grâce à l’apport de leurs autres sens.

En effet plusieurs études démontrent un avantage perceptuel pour les aveugles de naissance au niveau de leurs sens tactile et auditif (voir revue: Cattaneo et al., 2008; Sadato; 2005; Merabet, 2005, Theoret et al., 2008, Pascual- Leone et al., 2005), de leurs fonctions cognitives (Bavelier & Neville, 2002;

Muchnik et al., 1991; Neville & Bavelier, 2002; Roder et al., 2000), de la mémoire (Amedi, et al., 2003) et de l’attention (Liotti, et al., 1998; Muchnik et al., 1991; Niemeyer & Starlinger, 1981; Roder et al., 1996; Roder, et al., 1999). Les aveugles peuvent même surpasser les voyants dans une variété de situations expérimentales incluant la localisation sonores (Lessard et al., 1998).

Cet avantage perceptuel et cognitif repose sur les mécanismes de plasticité intermodale (Ptito et al., 2005; Shimony et al, 2006) exposé dans la section précédente. C’est ce recrutement du lobe occipital pour le traitement d’information autre que visuel qui confère aux aveugles une habileté supranormale quant à la localisation spatiale de sons (Gougoux et al., 2005), et une acuité tactile plus fine (Wan et al., 2009; Allary et al., 2009; Legge et al., 2008, Chebat et al., 2007). En effet, le cortex occipital de sujets aveugles de naissance peut être recruté pour faire une multitude de tâches pour remplir les exigences de l’environnement (Ptito et al., 2009; Ptito et al., 2005). Le lobe occipital devient une structure multimodale dans la cécité congénitale (Amedi et al., 2003) capable d’intégrer de l’information provenant d’autres sens. Pour faciliter la substitution sensorielle plusieurs appareils ont été développés et seront décrits brièvement dans la prochaine section.