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Le planning Excel, support central de la routinisation des tâches

3. Les appuis matériels de l’animation d’une page de marque

3.2. Le planning Excel, support central de la routinisation des tâches

Chaque CM de l’agence Daltone possède son propre planning de publication en format Excel, constitué à titre personnel au fil de son activité, qui joue un rôle crucial dans le pilotage du travail. Permettant de bénéficier d’une vue d’ensemble des activités en cours et à venir, ce document sert à la fois à élaborer des propositions de contenu, parfois plusieurs semaines à l’avance, à obtenir l’aval du client, et enfin à établir une traçabilité au service d’une éventuelle justification a posteriori des actions menées. Catherine justifie la création de son planning personnel par l’absence de procédures conventionnelles propres au « métier tout neuf » qu’elle exerce, et par la multitude des espaces dont elle est l’animatrice.

« Je l’aurais peut-être pas établi si j’avais qu’un seul client et que j’avais qu’une page à gérer. Mais là, le fait d’être sur cinq ou six pages en même temps, tous les jours, ça devenait compliqué en fait de penser à tout. Il y a toujours plein de posts qui sont lancés en même temps, il faut penser à relancer les gens et tout ça, donc ça demande une organisation. (…) C’est un document qui reste ouvert sur mon ordinateur toute la journée et je l’alimente continuellement. » (Catherine, octobre 2012)

L’inscription des tâches s’avère indispensable pour Valpuro. La stricte procédure de contrôle imposée par ce client oblige en effet la CM à faire approuver par ses interlocuteurs chacune des actions qu’elle souhaite entreprendre. Interdite de publier du contenu « directement sur la page », Catherine a ainsi établi deux tableaux Excel distincts, contenant respectivement ses propositions de publications (posts) et ses suggestions de modération des messages et commentaires reçus. Elle transmet ces documents par mail à la cheffe de produit et à son ou sa stagiaire dès qu’elle conçoit une nouvelle publication [Fig. 4] ou qu’elle relève un message sur la page auquel il lui semble nécessaire d’apporter une réponse [Fig. 5]. Cette procédure donne lieu à de très fréquents envois, et à des retours souvent lents.

Figure 4 : Exemple de la procédure de validation d’une publication et de son visuel (Extrait du planning de septembre 2013)

La Figure 4 offre une bonne illustration de la somme de travail que représentent l’animation et la modération d’une page Facebook dans le cas où l’autonomie de l’administrateur de la page est très réduite. Dans cet exemple, il aura fallu pas moins de quatre envois, et autant de commentaires de la cheffe de produit (dans la colonne de droite), elle-même soumise à l’approbation de sa hiérarchie, pour obtenir l’autorisation de publication. Le message sera finalement diffusé sous la forme de la troisième proposition, après validation du service juridique de l’entreprise, et obtiendra 14 mentions like et 11 réponses – dont 10 correctes – en commentaire.

Figure 5 : Exemple de la procédure de réponse au message d’un internaute sur la page (Extrait du document « Gestion de la modération » de janvier 2013)

Cette figure-ci rend compte de l’importance accordée à la valorisation de la prise de parole des fans sur la page. La double demande de renseignement exprimée par l’internaute (Sara) sur le mur de la page, fait d’abord l’objet d’un remerciement public, puis d’une réponse détaillée en message privé. Cet extrait du document de gestion de la modération indique également le temps que peut prendre la formulation d’une réponse, dans ce type de configuration où le client est peu disponible : publié le 10 janvier 2013, le message de Sara n’obtiendra une réponse qu’une quinzaine de jours plus tard. Une lenteur que les professionnels du community management abhorrent, et que Catherine dénonce sans mâcher ses mots.De fait, malgré les deux réunions de l’automne 2013, la relation entre la CM et ses interlocuteurs chez Valpuro n’évolue guère. La nouvelle cheffe de produit et sa stagiaire se montrent tout aussi peu répondantes que leurs prédécesseurs, et l’agence ne parvient pas à assurer un rythme de publication régulier au cours de l’année 2014. Catherine n’obtient aucune autonomie supplémentaire, et me répète à ce propos ce qu’elle déplorait déjà précédemment :

« Je peux toujours rien publier sans validation, donc la moindre publication nécessite des allers-retours. Ils sont sous l’eau, et Facebook n’est pas vraiment leur priorité. Et c’est pas seulement qu’ils sont lents à répondre, c’est qu’eux-mêmes demandent validation en interne. Genre pour un message de félicitations pour deux gagnantes d’un quiz j’ai fait cinq versions, quoi. Pour ça. Pour que dalle ! Ça n’a aucun sens. » (Catherine, avril 2014)

La surveillance dont son activité est l’objet de la part de son client se présente dans son discours comme le principal obstacle à un impératif d’immédiateté qu’elle considère comme intrinsèque à sa fonction. Ainsi les notions d’« esprit du community management » et d’« esprit des réseaux sociaux », employées respectivement par Catherine et Louise, sont-elles cruciales, en ce qu’elles pointent simultanément l’idéologie associée à la profession et à son environnement numérique, et le fait que la transmission d’informations par le client constitue l’enjeu essentiel de sa relation à l’agence, du point de vue de cette dernière.

À l’inverse des publications promotionnelles et des réponses aux commentaires des internautes, comme celles des deux exemples précédents, les principaux temps forts qui jalonnent la page, portés par une série de publications destinées à en maximiser la visibilité, sont organisés plus en amont. Pour un événement tel que le Circuit, le dispositif événementiel déployé sur la page Facebook convoque les trois membres du pôle web, mais également des graphistes chargés d’élaborer les visuels, de retoucher les photographies prises au cours de l’événement, etc. Une fois les contenus prêts à être publiés, il arrive fréquemment que Catherine programme leur diffusion au moyen d’un tableau de bord numérique (dashboard), afin de libérer du temps pour ses autres tâches. Son travail est grandement facilité par l’outillage sur lequel il prend appui.

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