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 Quelles prescriptions ?

1) Quelle place à la morale? Quels enjeux aujourd’hui ?

Après les deux conflits mondiaux qu’ont connus la France et le monde, et particulièrement après celui de 1939-1945, l’urgence de l’éducation civique est réaffirmée à l’école publique en France, et ce notamment par Gustave Monod, alors Directeur de l’enseignement du second degré, et Louis François, Inspecteur Général de l’Education nationale. La découverte des horreurs de la Shoah rappelle évidemment la nécessité d’éduquer les jeunes générations aux droits de l’Homme. L’utilisation de l’arme atomique à Hiroshima et Nagasaki pose dès lors un certain nombre de questions aux éducateurs, surtout en sciences. Quel discours tenir du progrès lorsqu’il est mis au service de la destruction massive. La nécessité d’éduquer à la paix est alors prégnante. De plus, le régime de Vichy pose aux Français un grave problème de conscience et l’on préfère alors tenir un discours résistancialiste qui fait oublier qu’une partie de l’élite française a collaboré. Il faut donc renforcer et renouveler l’éducation civique. Le plan Langevin- Wallon proposé en 1946, s’y intéresse en partie et propose une éducation civique qui serait présente partout, de l’école maternelle au lycée, et qui aurait deux piliers fondamentaux : l’éducation morale et l’éducation à la démocratie. Mais, ce texte ne passe pas. Pourtant, pour l’école primaire, toutes les Instructions officielles d’après 1945 réaffirment l’importance de l’éducation civique. Ce qui devient alors central c’est l’éducation à la paix, à la tolérance et au dialogue entre les peuples. On ne connait pas vraiment la réalité des pratiques de classe dans ce domaine à cette époque et donc l’impact de ces enseignements.

Néanmoins, dans les années 1950 et surtout dans les années 1960 cet enseignement semble disparaître.

Au début des années 1970, un certain nombre de voix s’élèvent qui s’opposent à cette éducation civique et morale. Une partie du corps enseignant, plus contestataire et libertaire que dans les décennies précédentes, estiment qu’il n’a pas à véhiculer un discours officiel sur les valeurs de la République. L’idée que le cadre qui prédomine à cet enseignement est trop franco-centré alors que l’on réclame un enseignement à l’Europe et au monde est également un argument qui vient mettre à mal les prescriptions dans ce domaine. Mais, dans le contexte des « Trente Glorieuses », c’est l’instruction morale qui pose désormais le plus de problèmes. Les enseignants estiment que ce n’est pas leur rôle de diffuser une morale et ils dénoncent surtout son aspect vieillot, « très IIIe République ». Ainsi, dans les années 1980, on constate la quasi disparition de cet enseignement à tous les niveaux (suppression au lycée, de la seconde à la terminale en 1965 ; au collège avec les nouveaux programmes liés à la réforme Haby, circulaire du 29 avril 1977).

Cependant, dans les années 1980-1985, beaucoup d’acteurs de l’éducation, beaucoup d’hommes politiques et de parents insistent sur la nécessité de réintroduire l’éducation civique dans l’école. En effet, la jeunesse a beaucoup changé en quelques décennies. Désormais, les progrès des technologies de la communication et de l’information donnent plus de choses à voir, à entendre. Les jeunes sont aussi plus libres et plus vite responsables (majorité à 18 ans en 1974). Le monde docile et protégé de l’enfance est fini, il faut protéger et éduquer les adolescents. L’ouverture de notre société au monde dans ce contexte de mondialisation, et le développement considérable des médias qui fournissent diverses informations sur tous les sujets et qui abreuvent les esprits d’un flot continu d’images rendent fondamentale la nécessité d’éduquer aux médias. De plus, après la crise pétrolière de 1974-1975, la France connaît une crise économique et un taux de chômage importants. S’en suit un phénomène de « ghettoïsation » des grands ensembles d’habitat collectif populaires, une croissance de la fracture sociale, avec une augmentation de la ségrégation spatiale, de l’exclusion, des phénomènes de rejet ou de racisme. D’où la nécessité de réaffirmer les règles de la communauté nationale afin d’éviter le repli sur soi et sur la communauté d’appartenance des populations fragilisées et soutenir ainsi la cohésion et l’unité nationale. Ces considérations sont prises en compte par les législateurs et, l’arrêté du 14 novembre 1985 réintroduit obligatoirement au collège et en primaire, l’éducation civique autonome avec des programmes clairs et précis des différentes notions à transmettre : les règles de vie dans la communauté scolaire et leur élargissement à la vie civile, la notion de solidarité, de justice, l’importance de la pratique effective de sa

citoyenneté au travers du débat… C’est ce qu’on appellera le « moment Chevènement » du nom du ministre qui a conduit cette réforme. En 2008, les nouveaux programmes de l’Education nationale pour l’école primaire insistent à nouveau sur les vertus et les contenus de cet enseignement.

Ainsi, la morale et l’éducation civique voient leur importance tantôt remise en cause dans le cadre scolaire, tantôt réaffirmée comme urgente. Ces fluctuations semblent tenir à la conjoncture économique, au contexte social, politique… Depuis sa création et sa mise en œuvre en 1882, l’instruction civique et morale est un enseignement problématique, à part mais pluridisciplinaire, mal identifié. S’il marque principalement la mission reconnue de l’école laïque de former des citoyens, se posent néanmoins de nombreuses questions : à quelle citoyenneté éduquer les jeunes générations? Une citoyenneté d’obéissance ? D’appartenance ? Participative ? Et à quelle échelle ? Locale ? Nationale ? Européenne ? Mondiale ? Voilà tous les enjeux de cet enseignement aujourd’hui.