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En 1946, la IVe République reconnait la laïcité comme étant un principe de droit constitutionnel. Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 la proclame comme

« particulièrement nécessaire à notre temps » et assure que « la Nation garantit l'égal accès

de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat. ». Et l’article 1 de renchérir : « La France est une République indivisible, laïque,

démocratique et sociale. ». La parenthèse de Vichy est donc définitivement tournée mais la question religieuse en milieu scolaire n’en est pas moins réglée ou dissoute. Néanmoins, le ton s’est réellement apaisé, il n’est plus question de guerre scolaire mais de question scolaire, sur laquelle les idées continuent de diverger.

La réintégration des catholiques à la vie politique nationale, que symbolise la création du MRP (Mouvement républicain populaire) dans le courant démocrate-chrétien, légitime à nouveau les considérations catholiques sur l’enseignement primaire et des projets d’aide financière aux écoles libres sont discutés. En effet, les difficultés économiques que rencontre le secteur privé amène une partie de l’opinion catholique et les autorités à réclamer une aide à l’Etat. Malgré de très fortes résistances à ces prétentions, au nom d’une

entorse à la laïcité, le "décret Poinso-Chapuis" est pris le 22 mai 1948. Il habilite les

associations familiales à recevoir des subventions publiques et à les répartir entre les familles en difficulté pour faciliter l'éducation de leurs enfants, même s’ils sont inscrits dans une école libre, car tel est le but de la manœuvre. Il ne sera pas appliqué mais la question scolaire suit son cours est divise pour un temps l’élite politique dans un nouvel affrontement droite-gauche, sur fond ancien d’opposition catholique-laïque, et donc sur ce vieux terrain qu’est l’enseignement La lutte pour la défense de la laïcité s’intensifie avec la création en 1951 du Comité National de Défense Laïque qui devient en 1953 le Comité National d’Action Laïque (C.N.A.L). En 1956, le gouvernement du socialiste Guy Mollet envisage, avec le Vatican, un système de contrats qui seraient alors proposé aux établissements catholiques. Le refus des évêques d’Alsace-Moselle fait avorter la tentative mais en 1959, une seconde phase de rapprochement entre les deux systèmes éducatifs est envisagée au nom de leur mission commune d’éducation. Elle aboutit à une réponse institutionnelle, encadrée alors par le Premier ministre Michel Debré, qui prend forme avec le vote de la loi qui porte son nom, le 31 décembre 1959. Elle établit alors une sorte de statut intermédiaire, mi- public, mi- privé, pour ces établissements sous contrat qui leur permet un financement public et la conservation de leur « caractère propre » mais, en contrepartie, ceux-ci s’engagent à respecter les principes républicains d’égalité de tous face à l’instruction (sans considération d’origine, d’opinion et de croyance) et de respect de la liberté de conscience des élèves ainsi qu’à appliquer les programmes et méthodes prescrits pas le ministère public. Du point de vue de l’école public, la reconnaissance de ces écoles constitutionnelles ne signifie pas l’abandon de l’enseignement du fait religieux par l’école. Il ne s’agit pas de proposer aux familles deux options d’enseignements pour satisfaire leurs attentes, un purement athée et l’autre admettant des éléments de religion. Le fait religieux

continue d’être abordé à l’école publique mais d’un point de vue scientifique et déconfessionnalisé, propre à la conception laïque de l’enseignement. En revanche, les législateurs inventent une nouvelle conception de la laïcité qui n’est cependant pas le fruit d’une évolution des idées mais plutôt du rapport des forces politiques en 1958-1959.

Est-ce un retour en force de l’Eglise dans le système éducatif français ? Pas tant que l’avait laissé présager la loi car, si les établissements catholiques sous contrat drainent environ 95% des élèves du primaire inscrits dans des écoles confessionnelles, le nombre de religieux qui les dirigent ou y enseignent est en constante baisse dans le contexte de déchristianisation de la société. La part du personnel laïc dans le corps enseignant et dirigeant des écoles catholiques est donc elle en constante hausse, et le rôle des parents d’élèves au sein de ces établissements est, de façon concomitante, croissant. Et, au demeurant, les convictions religieuses des instituteurs, des élèves et de leurs parents, sont, dans ce processus avéré de déchristianisation de la société française, sûrement moins fortes et moins combattives qu’auparavant. Il est d’ailleurs probable que déjà, le choix de ces établissements par les familles où les enseignants ne soit pas uniquement lié à des motivations religieuses.

La création de ces écoles sous contrat cherche donc à établir une paix scolaire entre les deux systèmes éducatifs si longtemps adverses. Mais, si la loi Debré est accueillie favorablement dans les milieux catholiques, les résistances du corps enseignants laïques et de l’opinion de gauche sont fortes, ils réclament notamment la nationalisation des écoles sous contrat. C’est donc une nouvelle opposition qui nait entre les défenseurs et les adversaires du subventionnement et qui va culminer après le retour de la gauche au pouvoir en 1981 au moment du projet de loi « Savary ». Ce projet de création d’un grand « service public unifié et laïque de l’Education nationale » (SPULEN) fait partie des 110 propositions pour la France faites par François Mitterrand pendant sa campagne présidentielle. Il sera confié au ministre au ministre de l’Education nationale Alain Savary. Il marque une volonté politique de rapprocher les établissements privés et publics d’enseignement. La question est délicate et les négociations sur le texte de lois seront longues tant le projet est complexe. Il est finalement adopté le 26 janvier 1984 mais ne satisfait pas les défenseurs de l’enseignement privé au premier rang desquels les étudiants, les associations de parents d’élève de l’école libre et les évêques, Ils organisent une grande manifestation à Paris, le 24 juin 1984, au nom de la liberté d’enseignement. Des centaines de milliers de personnes viennent de la France entière, l’Ouest en tête, pour défendre l’école privée. Un mois plus tard, François Mitterrand demande le retrait de cette loi,

poussant alors Pierre Mauroy, Premier ministre et Alain Savary à la démission. Ce défilé de l’école libre reste parmi les manifestations les plus marquantes des années 80.

Dans le même temps, la question de l'enseignement du fait religieux à l’école publique occupe régulièrement le devant de la scène médiatique. La Ligue de l'enseignement notamment réitère, au début des années 80, cette volonté d'enseigner le fait religieux aux jeunes générations dans une perspective anthropologique et comparée mais, l’abandon du projet Savary en 1984 la contraint à une restructuration et une réflexion en interne sur les fondements de la laïcité. Elle n’en réaffirme pas moins cette nécessité. A partir de 1986, le constat alarmiste d'une inculture religieuse chez les jeunes générations est fait par un certains nombres d’acteurs de l’éducation et de la sphère cléricale. Pierre Garrigue, doyen de l’inspection générale d’histoire-géographie et Marie-Claude Betbeder, posent alors cette question pour le champ historique dans Le monde de l’éducation : « le christianisme fait-il partie de notre histoire ? »71. Hélène SABBAH, professeur de lettres, pose un an plus tard, dans la même revue, la question de l’intelligibilité des symboles et des images pour les jeunes générations qui n’ont reçu qu’un enseignement succinct des connaissances religieuses72. De nombreux colloques, publications et sondages relayent alors cette question des carences de l’enseignement du fait religieux à l’école publique. La seconde partie de ce travail montrera qu’elle pose encore aujourd’hui et tentera de lui donner un ancrage dans la réalité de l’enseignement primaire public.

71 Pierre GARRIGUE « Le christianisme fait-il parti de notre histoire? », Le monde de l'éducation, novembre 1986. 72 Hélène SABBAH, « Religion et enseignement des lettres », Le monde de l'éducation, février 1987