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La place de l’individu dans les scandales et censures de l’art contemporain

ENTRE ŒUVRE ET PUBLIC, QUELQUES MOTS SUR L’ART POUR L’INDIVIDU-SPECTATEUR

B- La place de l’individu dans les scandales et censures de l’art contemporain

« Comme si l’art pouvait encore provoquer qui que ce soit. Nous ne sommes plus à l’époque du

dadaïsme ou du surréalisme. 375» Jean-Charles Massera, critique d’art

La liberté de l’art est idéale, espérée. Relative.

En recherche permanente, l’art se dépasse, repousse ses limites, et celles des autres. Mais libre, l’est-il ? Un urinoir exposé sur un socle a t-il permis, enfin, une expression sans contrainte au gré des inspirations ? Rien n’est moins sûr. La “crise de l’art contemporain’’ médiatisée dans les années 1990, le dévoilement des subventions accordées aux lieux d’exposition par l’état, liant solidement l’art à l’argent et au pouvoir, ont encouragé les opinions négatives du grand public à l’encontre de la création. Les Démarches opèrent une ronde continue ; omniprésentes, elles signifient leur impact sur les expositions. Aucune manifestation de colère ne les anime : est-ce parce que le lieu qu’elles traversent a soigné l’exposition et sa médiation ? Ou bien tout simplement, parce que les œuvres en ont été effacées ?

Hormis Internet qui permet aux seuls intéressés de s’informer sur le sujet, les médias traitent rarement de l’art excepté pour annoncer une exposition importante (telles celle de Jeff Koons à Versailles puis de Takashi Murakami,) ou, justement, les affaires de scandales (telles … celle de Jeff Koons à Versailles puis de Takashi Murakami,).

« [La télévision] ne prend en considération le phénomène musée que sous la forme de l’événement, du spectaculaire […], du marché de l’art […], des accidents comme les dégradations diverses […]. Ou si des émissions plus proches du véritable travail d’un artiste ou d’un musée sont proposées, c’est à des heures d’écoute si tardives qu’elles ne touchent qu’un public extrêmement restreint, ce qui permet ensuite de les supprimer, faute d’audience suffisante. 376»

déplore Elisabeth Caillet. Les recherches artistiques, les rencontres organisées entre les artistes et la population, les efforts d’accessibilité de l’art présentent moins d’intérêt que les scandales.

Les visiteurs évoluent aujourd’hui dans un milieu contrôlé, parsemé d’avertissements : je pense également que la médiation a en partie pour vocation de désamorcer les comportements les plus négatifs à l’encontre des œuvres. Pourtant, en France, à l’étranger, les manifestations d’agressivité à l’encontre des œuvres d’art sont depuis longtemps à l’origine d’un nombre important de censures. Quel est le rôle du spectateur dans l’émergence des scandales ? Que révèlent-ils de sa relation à l’art contemporain ?

a- Le scandale, une tradition historique

« Exposées aux désirs de les soumettre à un contenu, de leur imposer des interdits moraux, religieux

ou politiques, de les instrumentaliser au profit de la réalité façonnée par les convictions des uns ou des autres, les œuvres, aujourd’hui au moins autant qu’hier, requièrent une protection déterminée et la solidarité de tous. 377» Ligue des Droits de l’Homme de Toulon

Le scandale est étymologiquement ce qui occasionne une chute (de l’hébreu mikchôl, obstacle), mais aussi ce qui détourne de la morale. Le terme est initialement convoqué dans les affaires religieuses ; il s’apparente également à une surprise indignée, que peuvent provoquer l’originalité ou le non-conformisme d’une personne ou d’une œuvre artistique. Parfois issu de simples ragots, le scandale peut au-delà de l’indignation, provoquer le blâme 378.

Dans l’histoire occidentale, les scandales sont rares avant le XVIIIème siècle. Le traitement des scènes

376 Elisabeth Caillet, Evelyne Lehalle, A l’approche du musée, la médiation culturelle, op. cit., p. 118

377 Article de la Ligue des Droits de l’Homme de Toulon, « l’Observatoire de la liberté d’expression en matière de création revient sur la déprogrammation de films israéliens à Lussas », 30-11-2006, http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1699, 12-2010

378 http://www.cnrtl.fr/etymologie/scandale, 09-2009

religieuses a sans doute donné lieu à plusieurs affaires ; celles qui nous sont parvenues nous en apprennent beaucoup sur la position des censeurs, mais également sur les libertés que s’octroyèrent parfois les artistes. Les exemples du Caravage, qui dit-on se servit d’une prostituée ou d’une noyée comme modèle de La mort de la Vierge, ou encore des nus de la Chapelle Sixtine dont l’impudeur fut par la suite couverte de drapés maladroits, laissent percevoir la méfiance de l’Eglise à l’encontre d’un traitement trop réaliste, trop trivial de la représentation des scènes ou des personnages divins.

Progressivement pourtant, les artistes revendiquent le scandale déclenché par leur œuvre. On peut aujourd’hui considérer celui-ci comme « nécessité de carrière, [comme] l’étape obligée qu’exige de tout nouvel arrivant le champ artistique depuis la fin du XVIIIème siècle. 379» déclare Stéphane Guégan, historien

et critique d’art. Effectivement, l’ouverture des Salons au grand public dès 1750 marque un tournant dans l’histoire de l’art et des scandales. La presse et surtout les critiques (dont Diderot), sont alors investis d’un pouvoir grandissant ; ils se dressent contre la traditionnelle régulation royale. Les innombrables artistes peinent à atteindre la reconnaissance. Certains, dont Edouard Manet, saisiront rapidement le bénéfice des calomnies dont leurs peintures sont l’objet. « Si les artistes savaient ce qui fait scandale, ils passeraient leur temps à le produire. C’est très difficile. Il y a des questions de forme, de public, de contexte. 380» constate

le philosophe Ruwen Ogien. Au XXème siècle, les scandales foisonnent.

Tous les artistes ne cherchent cependant pas à choquer, et subiront au même titre que leur œuvre les assauts d’une morale mal disposée à leur égard ; Egon Schiele est coutumier de telles attaques. Arrêté en 1912 à cause de ses dessins érotiques, le juge alla jusqu’à brûler l’œuvre incriminée. Etonnamment, on lui reprochait surtout le traitement désenchanté et dépressif de la sexualité. Constantin Brancusi, quant à lui rarement sujet d’indignation, est censuré lorsqu’il présente au Salon des Indépendants de 1920 Princesse x, statue de bronze poli ; le malaise que créera la silhouette phallique au Salon incitera le préfet de police à la retirer de l’exposition, avant qu’elle y soit réintégrée grâce au soutien d’artistes et de célébrités.

Le traitement du corps, divin ou humain, était et demeurera un tabou à manier en connaissance de cause. Un peintre tel que Balthus voit en 1934, sa Leçon de guitare exposée derrière un rideau : la galerie Pierre nourrit l’espoir de s’attirer ainsi le bénéfice de l’indignation publique.

La Fontaine de Marcel Duchamp choque quant à elle toujours des spectateurs néophytes pour lesquels un urinoir n’a pas sa place au musée. Cette réaction est intégrée à la démarche de l’artiste, qui interroge la nature de l’objet d’art et de son institutionnalisation. Fontaine est à nouveau au centre d’un scandale lorsque Pierre Pinoncelli urine en 1993 dans le ready-made. Il brisera en 2006 d’un coup de marteau un

379 Stéphane Guégan, Beaux-Arts magazine n° 290, août 2008, p.53 380 Ruwen Ogien, idem, p.91

autre exemplaire de l’urinoir exposé à Beaubourg. Pinoncelli revendique ces actes comme des manières de rendre aux ready-made leur véritable implication. L’artiste devra rembourser d’importants frais de restauration à Beaubourg.

Cette destruction de l’œuvre est-elle le scandale absolu ? Ou plutôt, la remise en question du traitement de certaines œuvres par les musées oublieux de leur sens premier – oubli lui-même scandaleux – ? Cependant, les scandales que soulèvent les pratiques artistiques ou les atteintes à ces pratiques sont extrêmement rares aujourd’hui ; ils sont soulevés par les institutions, les amateurs d’art et les professionnels. Les individus néophytes, eux se désolent peu de ces dégradations. En revanche, certains sont prêts à dénoncer les libertés prises par l’artiste, notamment quand ces derniers remettent en question l’intégrité de l’œuvre. Sur ce point, ils poursuivent une tradition ancrée dans l’histoire de l’art.

Les œuvres mettant en question les bonnes mœurs, l’éthique, la religion, ou encore bouleversant les formes artistiques sont nombreuses depuis que l’art s’est ouvert au grand public.

« Il en est de la provocation comme de tout autre comportement, elle repose sur des conventions et à certains moments de l’histoire elle s’épuise elle-même en postures, en habitudes mécaniques. Mais s’il existe des provocations ratées et d’autres réussies, c’est bien parce que l’histoire s’est emparée du phénomène et que se forme une mémoire ou même une culture de la provocation. 381»

constate Eric Darragon. Cependant, l’art du passé se caractérise par le fait que ses scandales ne furent pas systématiquement consciemment provoqués par une provocation volontaire des artistes : cette volonté ne leur vint qu’avec l’ouverture de l’art à des publics néophytes, alors que sa visibilité, tout comme le nombre de pièces exposées, augmentait. N’étant progressivement plus réservée aux regardeurs choisis et érudits, la création se confronta à la lenteur d’assimilation qui caractérise les foules ; à la – paradoxale – spontanéité des critiques, également.

Aujourd’hui, l’art se veut accessible à tous. Si le public ne les apprécie pas toujours, il est désormais coutumier des pièces protéiformes dont l’esthétique est rarement objet de scandales.

En revanche, les critiques concernant le contenu des œuvres ne se sont pas atténuées, bien au contraire. La majorité des scandales de l’art contemporain demeure liée à des questions d’ordre moral. Ce phénomène caractérise sans doute la société actuelle, l’importance accordée aux libertés individuelles, la prise en compte de l’individu par les institutions.

Pourtant, les artistes du XXIème siècle ne sont pas tous animés par la volonté de scandaliser afin d’éveiller

l’attention. On peut donc se demander pour quelles raisons l’art contemporain conserve une réputation sulfureuse. Pourquoi les Démarches opèrent-elles encore leur inlassable ronde autour d’invisibles œuvres contemporaines, dans un lieu envahi par une approximative médiation ?

b- Insupportables images de l’art contemporain

« La Loi est-elle l’instrument adéquat pour un domaine par définition en évolution rapide et constante? 382»

Gérard Sousi, directeur de l’Institut de Droit de l’Art et de la Culture de l’Université Jean Moulin Lyon 3

Quelles raisons mènent aujourd’hui à soulever un scandale à l’encontre d’une œuvre ? Par raison, entendons prétextes. Car les reproches adressés à l’art ne sont pas toujours des arguments sensés. Pierre Haski (directeur de la publication du site rue89) considère notre société friande du vrai-faux scandale, celui que l’on pourrait apparenter au scandale gratuit, et craint énormément le vrai 383. De même que le carnaval, héritier des

fêtes dionysiaques grecques, était une période de transgression des règles, de moquerie à l’encontre des hommes de pouvoir, d’exacerbation sexuelle, le scandale est nécessaire à toute société ; il apparaît comme un exutoire tant qu’il demeure contrôlé.

La crise de l’art contemporain, que l’on situe dans les années 1990, n’est pas innocente à l’émergence des scandales, mais également au soin que l’on portera par la suite à un public trop longtemps négligé. Le débat émerge en 1988, alors que Jean-Philippe Domecq déclare : « Un débat nous attend autour de la crise de l’art contemporain. 384» Les médias s’emparent de ce propos, le portent à la connaissance du grand public. Ce

dernier pourtant demeure relativement passif, tout autant que les artistes d’ailleurs 385, et c’est surtout au

marché de l’art que ces interrogations vont affliger les plus lourds stigmates. Des galeries vont fermer leurs portes ; cependant, note Yves Michaud, l’art contemporain ne sera pas seul à subir cette crise financière qui touchera également les antiquités ou l’art moderne au début des années 1990 386. Pourtant, c’est sans doute

la création actuelle, plus fragile, moins établie, qui en subira les plus lourdes conséquences.

Mais tous les spectateurs ne sont pas demeurés indifférents à la création actuelle ; si beaucoup ignorent les musées et centres d’art, semblant signifier qu’« une valeur esthétique ne peut pas être systématiquement accordée à l’objet d’art, ou s’actualiser dans la relation à l’objet sous le seul prétexte que l’institution (…) lui reconnaît une valeur artistique. 387», supposent Linda Idjéraoui, Jean Davallon et Marie-Sylvie Poli, des visiteurs

plus offensifs soulèvent parfois des scandales. Cela se vérifie notamment lorsque l’art s’empare de sujets délicats tels que la religion, la pédophilie, la sexualité, etc.. Nathalie Heinich, dans un article traitant des rejets de l’art actuel, voit en ce dernier un « excellent laboratoire des valeurs 388» : en transgressant les valeurs des

publics, il offre à travers l’analyse de leurs réactions, un riche aperçu des thèmes qu’il est aujourd’hui difficile d’aborder.

382 Gérard Sousi, « L’art contemporain entre exigence de droits et contraintes du Droit », Actes du séminaire « Art et Droit, l’art contemporain confronté au droit », le 8 juin 2006 à l’université Panthéon-Assas, Paris II, p. 3

383 Beaux-Arts magazine n° 290, op. cit., p. 86

384 Revue Esprit, mai 1988, p. 56, cité par Jean-Pierre Béland, La Crise de l’Art Contemporain : Illusion ou réalité ?, 2003, Québec, Ed. les

Presses de l’Université Laval, p. 3

385 Jean-Pierre Béland, La Crise de l’Art Contemporain, op. cit., pp. 77-79 386 Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, 1997, Paris, Ed. Puf, pp. 37-39

387 Linda Idjéraoui, Jean Davallon et Marie-Sylvie Poli, Les peuples de l’art, Tome 2, 2006, Paris, Ed. l’Harmattan, p. 355 388 Nathalie Heinich, « Les rejets de l’art contemporain », in Publics et Musées n°. 16, op. cit., p. 161

« . » Le Public Manifeste la Possibilité d’Esquisser les Démarches Minimums : « . » met en scène un public

indifférencié, réduit et relativement passif. Pourtant, le titre de l’installation est rédigé à la voix active. Le public, sujet, provoque ; il manifeste, découvre sa volonté de pouvoir, si possible, esquisser des démarches minimums. Quelles sont ces démarches minimums ? Bien entendu, je possède une idée sur la question. La démarche minimum lorsqu’on est confronté à des formes inconnues, n’est-elle pas de pouvoir exprimer son opinion, même négative ? N’est-ce pas ce qu’attendent ces visiteurs que l’on a rendus méconnaissables avant de les enfermer dans une maquette, sans espoir d’en sortir ?

Or, il nous demeure impossible de juger l’objet de leur manifestation. Car si public il y a, quelles sont les raisons de son rassemblement en ce lieu ? Pourquoi les visiteurs déambulent-ils ? L’espace est vide. L’absence des œuvres dans « . » pose la question de l’action du public, et de ses possibles conséquences. Pourquoi fait-on scandale aujourd’hui ? En quoi le scandale caractérise-t-il une évolution des publics et des individus qui le composent ? Fait-on scandale pour les mêmes raisons dans tous les pays ? Car la question de la nature de scandale, pose également celle de la culture qui reçoit les œuvres.

b1- Une question de culture

« il est devenu de plus en plus difficile de transgresser l’institution artistique et […], lorsque celle-ci se

trouve malgré tout transgressée, c’est sur un plan d’avantage éthique qu’esthétique ou artistique 389»

Jean-Claude Moineau, théoricien de l’art.

Les plaintes adressées à une œuvre varient clairement en fonction du pays qui l’expose : à Düsseldorf, Cloaca de Wim Delvoye sera par exemple accusé de gaspiller la nourriture, tandis que les Etats-Unis percevront davantage les potentielles questions d’hygiène.

Les scandales religieux demeurent révélateurs de la dimension tabou du sujet dans certaines cultures. Ils sont nombreux dans des pays tels que l’Italie ou aux Etats-Unis : Cosimo Calavaro a récemment vu sa galerie new-yorkaise annuler une exposition prévue, après qu’il ait déclaré vouloir y présenter un crucifix en chocolat. La sculpture, visible durant la semaine de Pâques, devait progressivement fondre. C’est le nombre de menaces de mort reçues suite à cette annonce, qui a incité la galerie à refuser la pièce. Quant à la grande photographie d’Andres Serrano représentant un crucifix plongé dans un bain d’urine (Immer-

sion (Piss Christ), 1987), elle demeure exposée à l’abri d’une vitre blindée est objet voire sujet de la

colère de certains Américains. Lors d’une séance de Sénat, un politicien en a déchiré une reproduction devant ses pairs. Plus récemment (avril 2011), la photographie est détruite par des extrémistes religieux

389 Jean-Claude Moineau, L’Art dans l’indifférence de l’art, 2001, Paris, Ed. PPT, p. 103

en Avignon, alors qu’elle est exposée à la Collection Lambert. Pourtant, les scandales liés à la religion catholique sont rares en France : une telle attitude est-elle symptomatique d’un durcissement des valeurs ? La France se révèle généralement craintive lorsqu’il s’agit d’exposer des œuvres liées à d’autres croyances : Alain Séchas s’est vu refuser la présentation des « chats-Hitler » à la Fondation Cartier, qui redoutait les protestations des familles de déportés et la visite de néonazis ; le Musée Juif de New York avait pourtant exposé ce même travail sans réticence. Quant à Gregor Schneider, son grand cube noir inspiré de le Kaaba, bâtiment sacré de la Mecque, a été refusé à Berlin et à Venise qui craignaient les menaces des intégristes. L’œuvre, considérée par l’artiste comme un “monument à la tolérance 390’’, avait pourtant été présentée à

Hambourg en 2007 sans soulever la moindre polémique …

« Fréquents sont les cas où les protestataires réagissent aux propositions en ayant conscience qu’elles sont portées par une intention artistique, mais sans aller jusqu’à les évaluer conformément à leur cadre d’intentionnalité : ce sont alors des valeurs plus proches du monde ordinaire qui sont spontanément mobilisées. 391»

observe Nathalie Heinich dans son ouvrage L’art contemporain exposé aux rejets. Sans doute est-ce essentiellement cette absence d’approfondissement que subit Immersion, dont les délateurs ne prennent pas la peine de rechercher les raisons du processus de création d’Andres Serrano.

Cela se vérifie particulièrement avec l’exemple de la religion, mais également avec des sujets sensibles tels que les droits des animaux, l’intégrité du corps, la sexualité, le scandale vient perturber un ordre établi, des règles profondément enracinées. Il apparaît comme un grain de sable dans les rouages des sociétés.

Ces rouages varient, certains pays ne réagissent pas à des œuvres qui ont choqué d’autres contrées : ainsi,

Ruan de Xia Yu (créature mêlant un fœtus mort à des corps de mouette et de lapin) sera présenté sans

complication aux biennales de Lyon et de Venise ; pourtant en 2005, lors de l’exposition de la collection Uli Sigg à Berne, elle soulèvera les passions après qu’un individu ait déposé une plainte pour “atteinte à la paix des morts, représentation de la violence et infraction à la loi sur la protection des animaux’’. L’œuvre sera donc retirée de l’exposition. En France, le Droit n’aurait théoriquement pu condamner le geste, précise Sophie Joly (maître de Conférences ERCIM, European Research Consortium for Informatics and Mathematics) : l’enfant n’étant pas né vivant et viable, n’est pas considéré comme personne humaine 392.

Quant à Huang Yong Ping, il symbolise les conflits mondiaux avec le Théâtre du Monde, en rassemblant dans un vivarium des insectes occupant différents grades dans la chaîne alimentaire. Dans les années 1990, après qu’elle ait été présentée sans heurts aux Etats-Unis, la colère de visiteurs parvient à inciter le Centre Pompidou à supprimer l’œuvre de l’exposition. La polémique est à nouveau soulevée début 2007 au Canada. Une société prévenant les maltraitances à l’égard des animaux réclame que l’œuvre soit adaptée à leur bien- être. Huang Yong Ping préfèrera vider le vivarium et le laisser ainsi en exposition, en signe de protestation.

Différents scandales à différents sujets : tous les pays ne révèlent pas les mêmes tabous. Mais les scandales soulevés en ces diverses occasions révèlent également que les œuvres accusées ont été vues, médiatisées, portées à la connaissance du plus grand nombre.

390 Beaux-Arts magazine n° 290,op. cit., p.100

391 Nathalie Heinich, L’art contemporain exposé aux rejets, 1997, Nîmes, Ed. Jacqueline Chambon, p. 202

La question est désormais la suivante : les œuvres scandaleuses ne sont-elles pas craintes car elles sont accessibles à chacun, et peuvent révéler des regardeurs, des aspects que l’on ne souhaite pas voir ? L’œuvre