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Un nouvel intérêt pour le spectateur

QUAND L’INDIVIDU-SPECTATEUR DEVIENT MOTIF

A- Un nouvel intérêt pour le spectateur

Qu’il l’intègre ou l’exclue de la création matérielle de l’œuvre, l’artiste contemporain s’intéresse au spectateur. Sa conception des œuvres s’en ressent. Si jusqu’au XXème siècle les formes artistiques se résument essentiellement

aux peintures et sculptures, si le regardeur n’a alors pour autre choix que de se tenir devant ou de tourner autour des pièces, les créations modernes et contemporaines développent de nouveaux supports. Désormais il pourra entrer dans l’œuvre, la toucher, la sentir...

Le rôle de l’observateur intellectuellement actif, se vérifie tout au long de l’histoire de l’art ; pourtant, à l’heure d’un désintérêt progressif des spectateurs pour l’art contemporain, les institutions réalisent à quel point ce public, qui à certaines périodes de l’histoire les a contrariées par son affluence ou la virulence de ses jugements, s’avère une condition sine qua non de la persistance d’une création saine et vivante. L’omniprésence de la silhouette de ce spectateur contemporain dans « . », indique à quel point est considérée comme essentielle et prépondérante sa présence sur le lieu. Mobile, il attire malgré sa petite taille l’attention sur ses déplacements. Passager éphémère il n’en est pas moins constitutif et entité indispensable à l’art. Le spectateur réel est d’ailleurs invité à s’identifier aux détourés, adoptant l’attitude que prête Silke Schmickl, historienne de l’art, aux regardeurs des photographies de Thomas Struth :

« En tant que spectateurs de la photographie nous avons sur ce public, certes, un avantage d’information susceptible de créer une certaine ironie. Mais nous restons toujours conscients que nous-mêmes pourrions être l’objet d’une ironie analogue, si quelqu’un nous observait par-derrière à la manière de Struth. Cette prise de conscience nous empêche de juger trop évèrement ce public photographié qui nous ressemble tant. 125»

125 Silke Schmickl, Les Museum photographs de Thomas Struth, une mise en abyme, 2005, Paris, Ed. de la Maison des Sciences de

l’Homme, p. 66

Les Démarches ressemblent tout autant au spectateur réel de « . ». Lui-même contraint par l’installation, il

observe des visiteurs détourés tantôt déambulant, tantôt évitant l’obstacle d’une œuvre tentaculaire invisible, tantôt soumis à quelque expérience interactive. Le comportement des Démarches n’est pas spectaculaire ; mais il souligne la lente acceptation des formes hybrides de l’art contemporain par le corps du spectateur, qui entre en relation avec une œuvre auparavant tenue à distance.

Avec l’art moderne, la relation exclusivement contemplative à l’œuvre est devenue physique, selon l’historienne de l’art Liliane Brion-Guerry :

« Avec l’art moderne il n’y a plus de spectateur privilégié, l’œuvre plastique n’a plus à être contemplée d’un point de vue déterminé, l’observateur s’est dynamisé, il est un point de référence mobile. la perception esthétique exige du regardant un parcours, un déplacement imaginaire ou réel par lequel l’œuvre est recomposée en fonction des références et associations propres de l’observateur. Indéterminée, modifiable, l’œuvre moderne met ainsi en place une première forme de participation systématique, l’observateur est ‘‘appelé en quelque sorte à collaborer à l’œuvre du créateur’’, il en devient le ‘‘co-créateur’’ 126».

Ce sont l’Ecole de Constance (à laquelle appartint Hans Robert Jauss, qui développa les théories de la réception et de la lecture des textes littéraires), et le courant de pensée française des années 1960 (Barthes, Derrida, Foucault) qui affirment le rôle du spectateur dans la production du sens de l’œuvre et ont entraîné des discours prônant la liberté du spectateur. Avec l’art contemporain, les artistes développent différents types de confrontations, étendent l’œuvre aux sens, imaginent des dispositifs intrigants, ludiques, agressifs, etc. mettant en scène l’image du spectateur. Tous les moyens d’activer un nouveau rapport à la création sont expérimentés ; quelle que soit la forme de sa présence, le visiteur est là.

a- Le spectateur interpellé

Effectivement. Quelle que soit la forme de sa présence il est bien là, s’adaptant ou rejetant les conditions de la rencontre avec l’œuvre telle que l’imagina l’artiste.

L’étude Art et technologie : la monstration, donnant suite à une demande de la délégation aux arts plastiques du ministère de la culture, met en relief quatre attitudes possibles du visiteur :

il peut être spectateur, exclusivement regardeur ;

actant, agissant sur l’œuvre sans nécessairement apparaître à l’image. Les dispositifs interactifs sur écran

modifiés par l’intermédiaire d’une souris, d’un bouton, d’une manette, d’un clavier, etc. nécessitent cette prise de position ;

participant, quand il prend part aux happenings ou performances ;

enfin, spectActeur, terme créé par le théoricien canadien Réjean Dumouchel désignant un spectateur à la fois

126 Liliane Brion-Guerry, « L’évolution des formes structurales dans l’architecture des années 1910-1914 », in L’Année 1913, Ed.

regardeur et mis en scène. Le corps dans les trois derniers cas est utile à l’appréhension de l’œuvre, non au simple déplacement dans l’espace d’exposition 127. Ce classement trouvera une résonance à travers les

différents exemples sollicités au fil des pages.

C’est l’art contemporain dès les années 1960 qui modifie radicalement le rôle du public. Mais cette évolution n’aurait eu lieu si déjà, la modernité, et bien sûr les avant-gardes, ne l’avait envisagé sous un nouveau jour. Christian Ruby cite l’Urinoir de Marcel Duchamp comme une étape importante de la construction du nouveau spectateur de l’art. L’œuvre s’ouvre aux commentaires, aux questions, à l’échange entre les visiteurs. La distance et le silence ne sont plus de mise. L’art contemporain, bien avant les institutions,

« propose un nouveau concept de spectateur, lié à une formation par des exercices qui ne sont pas des épreuves. Ces exercices, artistiques et non plus esthé tiques, ont pour propriété de configurer progressivement le corps du spectateur dans et par le rapport à l’autre. Ils induisent des formes nouvelles de construction de soi, dans l’interférence. 128»

Ce spectateur, Marcel Duchamp le nomme dès 1914 le “regardeur’’. L’artiste souligne l’activité du visiteur qui ne se contente pas de voir, mais doit prendre le temps de rencontrer l’œuvre, d’en saisir la portée et de partager avec d’autres son opinion, ses analyses. Si les regardeurs font l’œuvre, pour paraphraser son expression, sans doute n’est-ce pas une capacité de ceux qui ne font que passer. Cette démarche minimum 129

de la part du visiteur, a toujours été nécessaire à l’art ainsi que le confirme Bernard Lamizet : « La création artistique n’a d’existence sociale pleine qu’à partir du moment où elle fait l’objet d’une diffusion, puis d’une appropriation indistincte par les acteurs de la sociabilité, ainsi constitués collectivement en un acteur que l’on nomme le public. 130»

Mais en soulignant que les œuvres s’adressent surtout à ceux qui les regardent, Marcel Duchamp met en avant un aspect qui s’avérera primordial au fil des décennies : plus que jamais le spectateur devra s’ouvrir à l’autre et à l’œuvre, faire l’effort de dépasser son apparente complexité. « La réalité du travail du spectateur se manifeste au moins par son résultat : la fatigue. » souligne la philosophe Marie-Dominique Popelard, « C’est que «recevoir» l’art exige une grande concentration. Si l’on tient à conserver le mot de recevoir, il faudra lui retirer ce qu’il suppose d’une attitude passive. 131» Christian Ruby réserve quant à lui l’appellation de

spectateur à celui qui « se laisse interpeller en sujet esthétique et se laisse interpeller de cette manière par

une œuvre qui se fait véritablement “adresse’’ à lui. 132» La considération du spectateur en tant que partie

de l’œuvre est une constante de l’art contemporain ; ainsi que nous le verrons par la suite, il est intégré au processus de création.

127 Classification empruntée à l’étude Art et technologie : la monstration, 1996, Paris, Association Chaos, p. 62. Notons que le cas

des capteurs de présence, qui permettent une évolution du dispositif en fonction des déplacements des visiteurs, n’est pas mentionné : est-ce parce qu’il est passif dans le déclenchement de l’œuvre, et demeure alors spectateur ?

128 Christian Ruby, L’Age du public et du Spectateur, Essai sur les dispositions esthétiques et politiques du public moderne, 2007, Bruxelles,

Ed. la lettre volée, p. 184

129 Référence au sous-titre de « . », composé des titres des pratiques exposées : Le Public Manifeste la Possibilité d’Esquisser les Démar- ches Minimums.

130 Bernard Lamizet, La médiation culturelle, op. cit., p. 177

131 Marie-Dominique Popelard, Ce que fait l’art, 2002, Paris, Ed. PUF, p. 110

132 Christian Ruby, « Esthétique des interférences », in EspacesTemps, Les Cahiers n°78-79, « À quoi œuvre l’art ? Esthétique et espace

Les premiers signes d’une évolution de son attitude apparaissent visiblement quand il devient spectateur de performances, notamment lors des actions du mouvement DaDa. Il est alors convié à un type d’art inhabituel, sans rapport avec les formes traditionnelles. Le climat explosif des pièces de théâtre dadaïstes provoquera ses réactions, sa perte de repère, son malaise. « Le dada joue un rôle, le public participe, se laisse aller au scandale, lance des projectiles 133» observe Vincent Antoine, auteur d’un texte sur le

mouvement. Les artistes réfléchissent alors aux moyens de provoquer sa réaction, en le faisant rire, en le provoquant, en le scandalisant.

Les spectateurs seront progressivement invités à toucher les œuvres, à agir sur elles, à participer à leur élaboration. Qu’ils en soient ou non conscients – mais sans doute pas à leur demande – ils en deviendront un composant. Les exemples sont bien sûr multiples de dispositifs mettant en scène le public. Benjamin Patterson et Robert Filliou organisent en 1962 le Fluxus Sneak Preview. Ils indiquent sur un carton leurs prochains lieux et heures de rendez-vous, et au cours d’une journée se rencontrent ainsi en différents endroits de Paris, échangeant quelques mots, discutant avec les badauds présents, souvent ignorants du sens de leur démarche...Ainsi l’art quitte physiquement le lieu institutionnel et vient à la rencontre de l’individu, devenu malgré lui public. L’œuvre se déroule en dépit de lui, et avec lui.

Cependant, il ne sera pas toujours traité en compagnon de conversation. Les arts plastiques ne sont pas seuls à souhaiter remettre en cause son apparente passivité. Ainsi, Outrage au public, de l’écrivain Peter Handke, est publié en 1966 ; cette pièce agresse, met à mal les critères esthétiques alors largement répandus en littérature allemande et partagés par une majorité de spectateurs. Les réactions du public sont au cœur du texte, qui interroge la condition de l’individu parmi la masse. Paul-Armand Gette, lui, choisit de manière moins offensive de lire en public, d’une voix monocorde, une liste de noms latins. Bien entendu, le public est déçu, constate l’artiste Michel Giroud, « Aucune communication n’est possible. 134»

Parallèlement, des mouvements tels que l’Art Corporel soumettent à rude épreuve les visiteurs en leur imposant le douloureux spectacle de corps soumis à des situations extrêmes ; plusieurs performances éminemment dangereuses pour l’artiste, posent la question de la responsabilité du public, comme ce fut le cas dans les interventions de Marina Abramovic. Elle expérimenta jusqu’à ses limites les plus extrêmes le rapport au public. Dans Rhythm 0, elle prolonge et dépasse en 1974 une performance de Yoko Ono exécutée dix années auparavant. Elle se soumet au public, mettant à sa disposition soixante-douze objets. Si certains n’ont a

priori pas vocation à blesser, tels des

produits cosmétiques, une rose, d’autres en revanche ne laissent pas de doute quant à leur utilisation : fouet, hache, seringue, pistolet pour ne citer que ceux-ci. Les

133 Vincent Antoine, « Le théâtre Dada, un sursaut de l’éros », Dada, circuit total, 2005, Lausanne, Ed. L’âge d’homme, p. 509 134 Michel Giroud, « Gette », L’art Vivant n° 52, octobre 1974, in L’art contemporain en France, 2005, Paris, Ed. Flammarion, p. 161

spectateurs sont invités au cours des six heures que dure la performance, à utiliser comme ils l’entendent les outils de leur choix, sur le corps de l’artiste impassible.

Si dans un premier temps le public fait preuve de retenue, peu à peu ses inhibitions s’atténuent. Marina Abramovic est déshabillée, frappée, menacée à l’aide du revolver chargé. Un autre participant empêche qu’elle ne soit blessée. Lorsque s’achève l’expérience, l’artiste rejoint le public. Celui-ci, prenant conscience des excès de ses agissements sur une de ses semblables, s’éloigne, gêné. C’est l’individu, le point de rupture de sa sociabilité qu’explore Marina Abramovic, en se faisant le réceptacle et l’écran de sa cruauté 135.

Par la suite, on ne comptera plus les performances agressant directement les individus, qu’ils fréquentent un musée d’art contemporain ou passent simplement dans la rue ; les artistes ambitionnant le malaise des regardeurs, les expériences dérangeantes à son encontre se multiplieront jusque dans les années 1990. Les attaques gratuites de quelques plasticiens lasseront alors le public moins réceptif, concevant l’art contemporain comme une suite d’expériences excentriques et déplaisantes. S’il arrive encore que des scandales soient soulevés, certaines provocations, jugées répétitives et sans intérêt, ne soulèvent plus que l’indifférence.

Si le rapport d’agression semble plus rarement sollicité (ou peut-être moins représenté dans les lieux d’art français), les artistes exploitent davantage une sensation de malaise, moins directe, à l’instar de « . » : prenant en compte les relations ambiguës qu’entretinrent les artistes contemporains avec le public, il instaure une atmosphère d’exclusion, suggérant au visiteur qu’il n’est pas vraiment à sa place entre ses murs.

Pourtant l’agression n’est pas l’unique moyen d’interpeller le public sur l’importance de son rôle. Aux premières heures de l’art contemporain, des artistes entretiennent une relation bienveillante avec les spectateurs. Souhaitant qu’ils prennent conscience de leur position dans le processus de création, ils vont peu à peu rendre évidente la proximité de l’œuvre. Chose jusqu’alors inimaginable, le

regardeur va pouvoir toucher.

135 A la même époque, Stanley Milgram, chercheur en psychologie, s’interrogeait sur le pouvoir de l’autorité sur l’individu anonyme.

Sous couvert d’une expérience scientifique, il invita des volontaires à délivrer des décharges électriques à un individu masqué à leur vue, lorsque ce dernier ne donnait pas la bonne réponse à leurs questions. Il s’agissait en fait d’un acteur ne subissant aucune souffrance. Cette expérience aux résultats effrayants a récemment été reprise sous forme de jeu télévisé, afin de prendre la mesure de l’influence des médias. Marina Abramovic, elle, parvient à soulever une cruauté gratuite simplement en adoptant une attitude d’acceptation, donnant l’impression qu’elle se soumet au traitement infligé. La liberté supposée de l’art pousse sans doute les spectateurs à exacerber leurs passions.

Simulation sur maquette, les projections brouillées par le spectateur, 2011

b- Corps et sens à l’œuvre

« Le substrat organique est le fondement ultime de l’expérience artistique. L’artiste mais aussi le

spectateur ou l’auditeur engagent leur affects, leurs énergies, leurs facultés sensori-motrices dans la relation à l’objet d’art. De ce point de vue, le rôle de l’art n’est ni de nier les besoins organiques de l’homme ni de viser une expérience éthérée et désincarnée. 136» Jean Caune

Les évolutions de l’œuvre d’art au cours du XXème siècle vont s’avérer capitales dans la reconsidération de

la figure du spectateur. DaDa interpelle le public, provoque sa réaction dans les performances. Les dadaïstes parviennent à modifier l’attitude passive des regardeurs en autorisant les cris, les interjections, les lancers de projectiles au cours de leurs pièces de théâtre. Ce premier pas met à mal la distance séparant l’artiste et la création, de celui qui observe et admire. Il sera accompagné de plusieurs gestes de désacralisation de l’œuvre d’art.

« L’acte le plus représentatif du théâtre dada est à cette date celui mené par André Breton, le 23 janvier 1920, au Palais des Fêtes rue Saint-Martin, devant un public interloqué. André Breton muni d’une éponge efface une réalisation picturale que crée Francis Picabia. Geste simple mais efficace signifiant ; “il est inadmissible qu’un homme laisse une trace de son passage sur la terre137’’. Le

geste d’André Breton synthétise le théâtre dada, il est un acte de dépassement de l’art sur le terrain de la vie. Pour le public, désormais, la donne est définitivement changée. 138»

L’artiste n’est qu’un homme. L’œuvre seulement une trace. On peut porter atteinte à cette intégrité supposée de l’œuvre par un geste primaire.

L’acte précurseur d’André Breton rencontra-t-il un réel et immédiat écho de la part du public, tout au moins de celui qui ne participa pas à la performance ? Toujours est-il qu’il ne demeurera pas une exception dans l’histoire de l’art. DaDa a probablement permis à l’artiste de reconsidérer son rapport à l’œuvre, de ne plus l’envisager comme un objet intouchable dont l’aura tiendrait à distance toute velléité de contact physique. Et bien sûr, les dadaïstes ont confirmé, à la même période que Duchamp, l’importance des regardeurs observe Michel Sanouillet, spécialiste du mouvement : « semblable à un bélier, dont la seule raison d’être est la poterne qu’il doit enfoncer, le mouvement Dada n’exista que par et pour son public, naquit de sa résistance et mourut de sa désaffection. 139»

Ainsi que l’envisageaient les mouvements d’avant-garde, le corps ne se contente plus avec l’art contemporain, d’être écrin d’un esprit s’émerveillant face à des pièces inertes. Dès les années 1960 plusieurs formes d’art apparaissent, qui vont nécessiter du visiteur une action physique. Il ne s’agit pas toujours de radicales modifications, mais la prise en compte du public dans le processus de création modifie leur approche. L’ouvrage d’Umberto Eco, L ‘œuvre ouverte, inspirera à cette époque de nombreux artistes contemporains, soulignant qu’ « Aucune œuvre d’art n’est vraiment fermée,

136 Jean Caune, Esthétique de la communication, 1997, Paris, Ed. PUF, p. 27

137 André Breton, Œuvres complètes I, p.230, cité par Vincent Antoine, Dada, circuit total, , op. cit. 138 Vincent Antoine, Dada, circuit total, op. cit., p. 509

chacune d’elles comporte, au-delà d’une apparence définie, une infinité de “lectures possibles’’ 140».

Les œuvres monumentales du Minimalisme exigent ainsi des déplacements permettant de varier les points de vue. N’est-ce pas cependant le cas de toute sculpture, qui plus est des sculptures de grande taille telles que le David de Michel-Ange ?

Dans les faits, certes. Cependant, le rapport aux œuvres du Minimalisme est d’un autre ordre, car il inclut l’espace du regardeur, ne le met pas à distance. Certaines sont d’ailleurs installées au sol, questionnant leur identité d’œuvre à tel point que l’on peut, sans y prendre garde, marcher dessus.

« Les monochromes face auxquels il est impos sible de centrer un sujet unique et unifiant, les œuvres cinétiques qui invitent les spectateurs à la mobilité, les œuvres éclatées en fragments dont la synthèse ne peut être accomplie que dans un parcours postu lent, chacune, que le spectateur doit réélaborer sa position autrement, réviser son approche, incorporer de nouvelles règles. Ces œuvres ne prétendent plus à la contemplation extérieure. 141»

observe Christian Ruby.

Les œuvres classiques sollicitaient la seule vue. Mais elles faisaient appel, au-delà du sens, à la capacité à regarder. Regarder inclut une volonté, consciente et réfléchie. N’est-ce pas également pour souligner à quel point un sens n’est rien sans l’analyse de l’esprit que les artistes se sont progressivement détournés de la vue, usée par l’afflux d’images de la société contemporaine ? Est-ce une des raisons pour lesquelles ils ont sollicité d’autres sens ankylosés, éveillant la curiosité, tant leur utilisation dans le contexte de l’art était jusqu’alors inenvisagée ? Alain Jaubert, écrivain et journaliste, s’interroge : « le tableau, parfois, n’est-il pas comme un “écran’’ qui empêcherait de voir, de lire l’image ? L’œil n’est qu’un organe grossier. On ne voit pas avec ses