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Nous avons vu que durant l'antiquité, l'hystérie était considérée comme une pathologie associée aux femmes. Cette idée a longtemps perduré et perdure encore dans les esprits de certains. Les principaux cas présentés dans les manuels sont d’ailleurs des cas d'hystérie féminine, mais l'hystérie touche aussi bien les femmes que les hommes.

Ce chapitre montre comment les arguments contre la théorie utérine ont permis de démontrer une nouvelle origine de l’hystérie, pouvant ainsi concerner les femmes comme les hommes. En effet, nous pouvons remarquer un grand tournant au moment où le système nerveux et l’hystérie ont été liés, ceci pouvant scientifiquement prouver l’existence de l’hystérie chez les hommes.

A' l'époque de Galien (IIème siècle), la sexualité est au centre des explications de l'hystérie, la continence sexuelle en serait le facteur pathogène. Des cas de veuves ont été présentés. Ces dernières souffraient de rétention séminale et les remèdes, accompagnés de touchers des organes génitaux provoquaient des contractions à la fois douloureuses et à la fois plaisantes, ainsi que l'émission d'une sécrétion. Cette sécrétion séminale puis projection amènent Galien à associer l'hystérie aux hommes. Il est le premier à faire ce lien, ce qui va provoquer de nombreuses remontrances.

Mais c'est au XVIIème siècle, que Le Pois (1618), médecin du duc de Lorraine, sera le premier à affirmer l'existence d'une hystérie masculine. Son argument est le suivant : l'hystérie siègerait dans le cerveau et non dans l'utérus, elle peut donc toucher aussi bien les femmes que les hommes. Il dit d'ailleurs que ce sont pratiquement les mêmes symptômes qui sont

observables chez les deux sexes et que ces symptômes proviennent « de la tête » et non de la matrice, de l’estomac ou autres organes. Il base sa théorie sur des maux têtes qu’il considérait comme des manifestations hystériques. Ceux-ci servirent d’arguments fiables pour défendre sa théorie étiologique et contribuèrent à l’élimination de toute implication de l’utérus dans la cause de l’hystérie.

Sydenham (1682) affirme lui aussi que l'hystérie est présente chez les hommes. Il parle de « vapeurs hypocondriaques » et non d’hystérie, afin de ne pas offusquer ses confrères. Hystérie et hypocondrie renvoient toutes les deux à une expérience de l’altérité du corps.

Au XIXème siècle, c'est à partir de nombreux entretiens cliniques de patients, notamment d'hommes, que Briquet (1859) a fait la description d'une symptomatologie hystérique et a également contredit toute existence d'une origine utérine. Il associe l'hystérie à une partie de l'encéphale destinée à recevoir les émotions associées à des conflits et déceptions. Cependant, Briquet restera assez sceptique quant à l'hystérie chez les hommes. Pour lui, il s'agirait plutôt d'une déviance de l'hystérie féminine et toucherait des hommes qu’il décrit comme sensibles.

Charcot (1871) présente des cas d’hommes hystériques et confirme l'existence de l'hystérie masculine qu’il nomme « hystérie testiculaire » en opposition à l’« hystérie ovarienne ou ovarique », en disant que l'hystérie apparaît chez des hommes robustes, frustes et forts, appartenant à la classe ouvrière et non forcément chez des hommes efféminés. Il associe cette hystérie masculine à un traumatisme. Pour lui, elle serait la conséquence d’un choc, d’une grande frayeur, avec le sentiment d’avoir été en danger de mort. Ces hommes présenteraient certaines prédispositions à la somatisation et des difficultés d'expression verbale, voire une dégénérescence. Il décrit ainsi le cas d’un jeune homme de 29 ans ayant vécu un choc physique sur la voie publique, qui après sa guérison, a manifesté une paralysie et une anesthésie des membres inférieurs. Pour Charcot, cet homme présentait des stigmates hystériques et il explique la paralysie et anesthésie, par le fait que le traumatisme émotionnel a provoqué un état hypnoïde durant lequel une autosuggestion aurait provoqué ces deux troubles. Il en conclut que la paralysie traumatique est une paralysie hystérique et que celle-ci est produite par l’autosuggestion d’un traumatisme. Toutefois, nous ne pouvons pas dire que Charcot admette réellement l’existence de l’hystérie masculine, bien qu’il dise le contraire, car il en fait une description bien différente de l'hystérie féminine et reste convaincu d’une zone hystérogène ovarienne, jusqu’au point où il a créé un appareil métallique pour compresser les ovaires de ses patientes hystériques. En aucun cas, il a confectionné un tel

appareil, un « compresseur testiculaire » ou a prôné l’ablation des testicules, contrairement aux nombreuses femmes hystériques qu’il a privées de leur utérus ou de leurs ovaires.

Les théoriciens suivants ont accepté l'idée d'une hystérie masculine bien que la majorité des cas présentés restent des cas de femmes. En 1880, Bourneville déclare que la théorie utérine doit être considérée comme « définitivement renversée par la doctrine médicale contemporaine ». L'hystérie, déféminisée, n'est cependant pas dissociée de l'organe sexuel car pour cet auteur, la pression du testicule ferait cesser toute crise d'hystérie chez les hommes. Il fait alors une analogie entre les zones hystérogènes des deux genres : les ovaires chez les femmes, les testicules chez les hommes. Mais Bourneville soutient tout de même que l’hystérie est la même chez les femmes et les hommes et ce serait dans ce but qu’il décrit une zone hystérogène chez les hommes hystériques.

Toutefois, le fait par exemple qu’il soit conseillé, à cette même époque, aux jeunes garçons efféminés, diagnostiqués hystériques, de jouer à des jeux de garçons, est la preuve que les préjugés sexistes sur l’hystérie demeurent malgré ces nouveaux apports théoriques.

En 1886, après avoir passé plusieurs mois aux côtés de Charcot, Freud apporte la notion d'hystérie masculine, lors d’une conférence devant la Société de médecine de Vienne, ce qui va faire l'objet de diverses polémiques. Ses interlocuteurs le défièrent de présenter un cas d'hystérie masculine. Bien que le défi fût relevé avec succès, Freud présenta un cas d’hémianesthésie hystérique chez un homme un mois plus tard, la perplexité demeura. Le versant sexualisé de l'hystérie est plus que prégnant dans les théories de Freud. Pour ce dernier, les symptômes hystériques seraient bisexuels, il s'agirait de l'union d'un fantasme sexuel inconscient féminin et d'un fantasme sexuel inconscient masculin. Il reprend les travaux de Charcot sur l’hystérie masculine et l’utilise comme « modèle » de l’hystérie, mais il distingue tout de même l’hystérie selon le sexe. La nature du traumatisme chez les hommes serait physique tandis que le traumatisme serait davantage psychique chez les femmes. Chez les hommes, il s’agirait d’un traumatisme unique mais puissant alors que ce serait une succession de petits traumatismes qui seraient la conséquence de l’hystérie chez les femmes.

Le lien hystérie-traumatisme a longtemps été fait. Durant les guerres, notamment suite à la seconde guerre mondiale, les psychiatres ont remarqué que les hommes étaient diminués, présentaient divers troubles psychologiques, liés à la violence qu'ils avaient vécue dans leur combat. Ils ont alors associé ce choc traumatique à l'hystérie masculine, qui selon eux,

résultait d'un traumatisme violent. Ceci leur permettait de la distinguer de l'hystérie féminine (Lerner, 2000).

Pour Israël (1976), le fait que les médecins n'aient jamais voulu reconnaître l'existence de l'hystérie chez les hommes est dû aux symptômes renvoyant trop fortement à une féminité exacerbée et de ce fait à un manque de virilité insupportable pour eux. C'est comme s'ils craignaient une réciprocité en retour d'un diagnostic d'hystérie masculine posé. Dans un article de 1987, il dit qu'aucune place n'est accordée au discours hystérique car il pourrait révéler « le dérisoire des objectifs de l'homme, la misère de sa sexualité, ainsi que le néant de son bonheur ». Pour lui, l'hystérie est « un bastion de résistance au bonheur du masculin, le tout en langage poétique ».

Encore maintenant, l'hystérie masculine reste, pour certains auteurs, en lien avec la féminité, une féminité refoulée par ces hommes hystériques. Les arguments de ces derniers renvoient aux fantasmes des hommes hystériques tournant autour de la grossesse et de l'accouchement par exemple. Bonnet (1991) dit que les femmes hystériques cherchent à entrer en contact avec l'homme hystérique en elles qu'elles refoulent, et inversement, les hommes hystériques cherchent à investir la femme hystérique en eux.

Klein (1921-1945) a lutté contre cette mauvaise association hystérie-sexe féminin. Pour elle, l'hystérie peut être associée au féminin mais non au sexe féminin. Elle montre que les troubles hystériques des hommes renvoient à la question de la différenciation des sexes, à la réactivation de l'angoisse de castration, à la réactivation des fantasmes homosexuels et à la problématique du féminin.

En 1985, Guillet publie un article dans lequel il s’interroge sur l’existence de l’hystérie masculine. Il introduit sa réflexion en disant que l’hystérie a souvent été mise en lien avec la question « que veut une femme ? ». Il en vient alors à dire que les hommes, plus que les femmes, s’interrogent sur le désir féminin. Pour répondre à ceci, les hommes se mettent à la place des femmes, utilisent leurs fantasmes de féminité pour imaginer ce que désirent les femmes. Ils en arrivent le plus souvent à la réponse : un homme. Parce qu’ils sont désirants, les hommes imaginent les femmes désirantes et craignent dès lors, de ne pas être à la hauteur des désirs des femmes.

Guillet distingue alors trois modes d’expression de l’hystérie masculine. Le premier renvoie aux névroses de guerre, aux accidents du travail et de la route. Le second fait

référence aux troubles somatiques de conversion, similaires à ceux observés chez les femmes hystériques. Toutefois, il note que la crise de colère clastique est plus spécifique aux hommes. Enfin, le troisième mode d’expression de l’hystérie masculine se repèrerait chez les hommes consultant des psychiatres pour des névroses dépressives, angoisses, difficultés relationnelles ou encore troubles de la sexualité. La symptomatologie dépressive serait fréquente chez les hommes hystériques, selon l’auteur. Elle se caractérise par quelques troubles de l’humeur liés à des problèmes professionnels ou sentimentaux, troubles s’accompagnant d’un sentiment de fatigabilité, de lassitude. Les troubles dépressifs s’accompagnent de troubles de la personnalité et troubles de l’identité sexuelle. Les hommes hystériques ont du mal à se considérer comme des êtres sexués, ce qui peut expliquer quelques difficultés relationnelles. Ils se demandent si ce sont bien des hommes et s’ils font bien l’homme. Bien qu’ils fassent part de difficultés sexuelles (impuissance, éjaculation précoce…), ce sont de réels séducteurs et ne renoncent en aucun cas aux relations amoureuses.

Guillet ne fait pas le lien avec l’hystérie chez les femmes, mais de nombreuses similarités entre femmes et hommes hystériques ressortent de ses propos, notamment les troubles de l’identité sexuée et les troubles de conversion

Une recherche menée par Rienzi et Scrams, en 1991, témoigne de l’impact des stéréotypes liés au genre sur la vision que les gens ont des différents troubles de la personnalité. Les auteurs ont demandé à 44 étudiants (31 femmes et 13 hommes) d’attribuer un genre aux descriptions de six troubles de la personnalité se trouvant dans le DSM III-R. Les résultats prouvent que la majorité des étudiants ont associé la personnalité histrionique et dépendante au genre féminin. Ceci est la preuve que même à la fin du XXème siècle, les préjugés sexistes demeurent.

Au début du XXIème siècle, Lubbe (2003) s’intéresse également au diagnostic d’hystérie masculine, plus particulièrement au donjuanisme, et en propose une description en s’appuyant sur l’étude d’un cas. Cet auteur associe certaines formes d’hypersexualité présentes chez les hommes à l’hystérie. Il relève chez son patient une répétition de scénarii, qu’il associe à une théâtralisation de la scène primitive, où le patient prendrait la position du père œdipien. Les conduites sexuelles compulsives de ce « Don Juan » révéleraient l’absence et l’évitement de confrontation à une séparation ne s’inscrivant pas dans une dynamique triangulaire, car cela renverrait, selon Lubbe, à des séparations vécues comme une angoisse de séparation pré-œdipienne et une angoisse d’exclusion œdipienne précoce. Cette double

angoisse serait si effrayante pour certains hommes, que cela expliquerait pourquoi ces derniers se tournent vers l’hystérie.

Plus récemment, Pommier (2014) s’intéresse aussi à l’hystérie masculine. Il lie hystérie et traumatisme provoqué par le « désir du père », d’un père castrateur, qui féminise la masculinité phallique première et ayant pour objet de désir, la féminité. Garçons et filles vont alors débuter leur vie dans une jouissance d’organe pénienne ou « clitoridienne masculine » mais la violence du désir du père les féminise, c’est la castration.

Ce psychanalyste distingue hystérie masculine et hystérie féminine. Dans l’hystérie masculine, il y a un refoulement de la féminité pouvant s’exprimer par le questionnement suivant : « Suis-je bien masculin (plutôt que féminin), alors que j’ai choisi d’être un homme ? ». Il y oppose l’hystérie féminine, qu’il associe à l’interrogation suivante : « Suis-je bien sur le chemin de devenir une femme, alors que mon point de départ est masculin ? ». Le sujet s’orientera vers l’une de ces deux questions, selon le choix de genre sexuel qu’il aura fait au départ. Ainsi, femmes et hommes peuvent choisir l’hystérie féminine ou masculine. Cela nécessite de faire la différence entre les termes « femme », « homme », « féminin » et « masculin », les deux premiers renvoyant à l’anatomie, les deux derniers, à un choix psychique. Donc, comme dit précédemment, l’hystérique tend à commencer du côté de la féminité pour répondre au « désir du père », ce dernier préférant les femmes, mais la répression de la jalousie masculine repense le fonctionnement. Ainsi, l’hystérie masculine se distingue de l’hystérie féminine, par sa violence contre le féminin, par sa résistance à l’hystérie féminine, sa tendance psychopathique, son recours à des idéaux guerriers, de domination, afin de lutter contre le féminin. Le désir du père est plus perceptible dans l’hystérie féminine. Pommier ajoute que la « crise hystérique masculine » survient lorsque le féminin va reprendre le dessus, est la conséquence de l’angoisse d’avoir un père qui désirerait le féminiser.

Pommier s’intéresse également aux ressemblances entre hystérie féminine et masculine. Elles sont, entre autres, les suivantes : le point d’ancrage dans le féminin comme dit précédemment ; l’angoisse de castration ; le traumatisme du désir du père ; le fantasme de séduction ; la conversion de l’angoisse en symptômes, suite à un sentiment de culpabilité ; la « crise hystérique » survenant à cause de la répétition d’un premier traumatisme, celui du désir subjectif ; l’opposition du masculin et du féminin alimentant la « crise hystérique ».

Résumé du chapitre I : L’évolution du concept d’hystérie : de sa naissance à aujourd’hui.

L'hystérie est une notion ancienne, ayant toujours été au centre de nombreuses controverses. Selon les époques, les cultures et les théoriciens, il a été attribué à l'hystérie différents facteurs pathogènes, diverses définitions et nosographies.

A l’antiquité, l’hystérie était considérée comme une maladie féminine, liée à l’utérus. Puis, quelques siècles avant J. C., elle a été associée à la continence sexuelle. A l’ère du christianisme, sorcellerie, hystérie et femmes sont associées. Le lien entre hystérie et religion perdurera durant plusieurs années, jusqu’à ce que des théories neurologiques s’ajoutent aux théories sexuelles, à l’époque de la Renaissance. C’est à partir du XVIème siècle seulement que l’hystérie commence à être reconnue comme une maladie de l’esprit. Au XVIIIème siècle, le terme de « névrose » est introduit. A la fin du XVIIIème et au XIXème siècle, les explications psychologiques et neurologiques de l'hystérie cohabitent. Commencent à être évoquées les notions d’évènement traumatisant, refoulement de cet événement causé par un désir sexuel, demande d’amour… Cette période se caractérise également par le développement de la pratique de l’hypnose, suivi par le développement de la psychanalyse. Nombreux apports, nombreuses théories sur l’hystérie vont alors voir le jour.

L’origine utérine a donc été bannie au fil des siècles et l'hystérie a été progressivement associée au féminin mais non au sexe féminin, à la question de la différenciation des sexes, à la réactivation de l'angoisse de castration ou encore à la problématique du féminin.

II – L'hystérie et la psychiatrie.

L'hystérie, d'un point de vue psychiatrique, est abordée en termes de symptômes, de troubles ou encore de pathologie. Des manifestations somatiques ou symptômes de conversion sont décrits dans les nosographies des troubles mentaux, ainsi que des manifestations psychiques, liées à la personnalité histrionique.

Il est effectivement associé à l’hystérie, une hyper-expressivité somatique, des conflits psychologiques s’exprimant par la voie somatique. Dans cette pathologie : c’est le corps qui s’exprime. Dubois (1904) déclare que l’hystérique est comme « une actrice en scène », ignorant qu’elle joue car elle croit réellement à la réalité des situations.