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3. Principes d’action sociale et capacité d’innovation des directions

3.3. Où la place des familles, de l’enfant et des missions sociales d’accueil sont questionnées

Cette enquête a révélé que la gestion administrative des structures d’accueil est la pierre d’achoppement, car son adaptation aux réalités des familles ne coïncide pas aux logiques gestionnaires. Comme nous l’avons vu en première partie, les attentes des familles mettent sous pression les missions institutionnelles et les réponses aux situations spécifiques des familles est un enjeu toujours réel de ce champ d’activité. Si notre cadre de référence théorique met en avant le coût des services d’accueil, les directions ont plus évoqué les modalités d’accueil et la typologie des services.

Du regard des directions, des attentes en terme de socialisation des enfants et d’adéquation du service aux valeurs et fonctionnement familiaux sont perceptibles. Afin de répondre à ces attentes, la variabilité qualitative des services, leur suffisance et terme de quantité sont nécessaires. Nous remarquons que la place des parents dans les missions institutionnelles est fortement dépendante des représentations de la direction, des espaces de prise en considération de leurs besoins et attentes. Nous constatons que les institutions

n’invitent pas les parents à prendre part au fonctionnement des structures ni à leur évaluation qualitative. Pourtant, le potentiel d’une alliance de l’institution avec les usagers des structures est de valoriser et de défendre les missions nécessaires. Il s’agit pour les parents de passer du statut de groupe-cible à celui de bénéficiaire final d’une politique publique.

Or, la spécificité du champ de l’accueil collectif extrafamilial est que, du point de vue de l’action sociale, les activités viennent en réponse à deux bénéficiaires. Le premier étant les parents, le second l’enfant. Évidemment, les attentes et besoins du premier ne sont pas comparables à ceux du deuxième. Les rythmes, les logiques, la pédagogie sont différents, les objectifs parfois opposés. Quand un parent a besoin dans l’urgence d’une place d’accueil dans un objectif d’insertion professionnelle, l’enfant demande du temps pour intégrer un groupe et se sentir en sécurité. Lorsqu’un parent doit baisser le taux de fréquentation de l’enfant pour des raisons financières, l’enfant peut nécessiter le maintien de sa place pour conserver un environnement stable protégé des remous de la situation familiale précaire. Et ainsi de suite. Nos références théoriques mettent en évidence que, dans le cadre de lutte contre la pauvreté, les missions identifiées et valorisées des lieux d’accueil sont exprimées en terme d’encouragement précoce, soit des activités développées dans la perspective du développement d’apprentissages propices à la réussite scolaire et à l’intégration dans la société. Nous avons vu que l’accès aux structures d’accueil a un impact positif dans ces perspectives (Kamerman et al 2003 ; Ruhm et al 2007, cité dans Bonoli et Vuille, 2013, p.25). Notre enquête a révélé que les institutions sont sensibles à ces questions et que des projets existent en réponse à cette mission à destination des enfants indépendamment de l’existence d’un programme national de lutte contre la pauvreté. Le biais est que les groupes les plus vulnérables ne sont pas sujets à ces actions sociales, comme le mentionnent Bonoli et Vuille à propos de enfants issus de la migration (2013, p.42).

Constatant l’écart évident entre les missions et les possibilités de réalisation effectives de celles-ci, nous comprenons que la focalisation des missions institutionnelles en fonction des besoins spécifiques de chaque partie, enfants et parents, n’est pas réaliste et peu prégnant dans les projets institutionnels. L’enjeu réside donc dans la formulation d’indicateurs qualitatifs élaborés en fonction des besoins objectifs des enfants en terme d’apprentissage. Il s’agit de développer et d’expliciter ce qui fait la qualité de l’accueil collectif extrafamilial, afin de répondre aux missions de protection de l’enfance et de garantie d’un environnement profitable à cette catégorie de la population.

La considération de l’enfant comme citoyen pourvu de droits est un point essentiel - si ce n’est la pierre angulaire - des réflexions que notre société doit mener sur les politiques sociales qui traitent directement ou indirectement de leur condition. Par direct ou indirect

nous entendons le fait que les enfants peuvent être soit un groupe-cible, soit un groupe de bénéficiaires, soit un groupe d’acteurs profitant des conséquences d’une politique publique. Les enfants, en tant que citoyens de demain, méritent donc à notre sens un débat sur la vision de leur place dans notre société. Le champ de l’accueil extrafamilial touche de plus en plus d’enfants. Sans réflexion et analyse des enjeux de leur institutionnalisation, notre société risque une instrumentalisation de ce groupe social au profit des réformes des politiques publiques. Notre thématique l’illustre parfaitement. Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, une des options stratégiques pour traiter du problème de la pauvreté est de favoriser le placement des enfants, afin qu’ils bénéficient d’activités d’encouragements précoces profitables à une réussite scolaire et par conséquent à l’accession à une activité professionnelle les préservant de la précarité. Cependant, le placement des enfants répond également à la réinsertion de leurs parents inactifs vivant dans des situations précaires et au maintien d’une activité professionnelle évitant la paupérisation de la famille. Comme l’exprime une des directions interviewée, l’activité professionnelle est également un moyen de lutte contre l’exclusion sociale, car le travail permet une autonomie économique et l’assurance de pouvoir assumer ses responsabilités de parents.

Évidemment, nous ne pouvons que souhaiter à chacun d’éviter de sombrer dans la précarité. Toutefois, ce qui nous interpelle est le placement des enfants au profit de l’insertion des parents. En tant que professionnel oeuvrant dans des institutions ayant pour mission de défendre la condition des enfants, il semble nous manquer des mesures de protection essentielle. La formulation même des apprentissages évoqués comme positifs pour l’intégration des enfants reste également absente.

Le programme prévoit que la CDIP et la CDAS procèdent aux analyses des actions à mener. Ces deux organisations ne sont pas représentatives des professionnels qui travaillent au quotidien avec les enfants et leurs familles, devant alors rechercher ailleurs les sources d’informations nécessaires pour verbaliser les besoins des enfants dans leur prime enfance, au risque de construire des actions sur des postulats. Il sera intéressant d’analyser les ressources mobilisées par ses deux instances pour dresser un portrait plus précis de la valeur des actions proposées.

Ayant vu que les politiques sociales ont pour principe de palier aux risques que comportent notre société - pauvreté, vieillesse, dépendance, maternité, maladie pour ne citer que les exemples les plus courants - nous pensons qu’il est légitime, dans ce contexte, de questionner le sens du placement des enfants en institution dans le seul but de répondre à l’activation des parents et à la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Nous constatons dès lors qu’en positionnant notre regard sur la condition

de l’enfant, la politique familiale va à l’encontre d’une politique sociale de protection de l’enfance. Cela, à moins que des conditions-cadre définies ne viennent protéger l’enfance. Nous parlions de débat sur la vision de notre société. Nous défendons également l’idée d’un débat sur la norme. Ces deux réflexions menées de concert permettent de dessiner l’acceptable pour un placement propice aux apprentissages attendus dans les lieux d’accueil. En effet, le placement des enfants comporte également des risques et une politique publique ad hoc doit pouvoir les préserver. Les entretiens ont cependant montré que la tâche est ardue, tant les professionnels eux-mêmes, bien qu’intéressés, ne sont ni coordonnés, ni investis dans cette thématique ou même d’accord sur la portée des réflexions sur la qualité. Selon les suites qui seront données au programme national de lutte contre la pauvreté, et en particulier face à la thématique de l’encouragement précoce, si des prescriptions en découlent, nous pourrons objectivement affirmer que l’éducation de l’enfance est du travail social. En l’état, nous ne pouvons que constater que les divergences de point de vue confirment que l’engagement dans un but ou idéal sociaux est du ressort d’une direction, voire d’une institution, mais en tout cas pas d’une politique publique affirmée.

Les missions des institutions d’accueil collectif extrafamilial sont donc complexes à définir. Il manque une vision claire et explicite de leurs actions et de leurs sens pour la société dans laquelle elles interviennent. Leur légitimité en tant que champ du travail social à part entière n’est pas reconnue et affirmée. Le secteur de l’accueil collectif extrafamilial apparaît comme une constellation de raisons d’être d’origines diverses - politique familiale, économique, sociale - qui forment ensemble l’éducation de l‘enfance. Les directions, dans cette constellation, doivent jongler avec des attentes répondant ainsi à des objectifs différents: conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle pour les parents, encouragement précoce pour les enfants, prévention et aide contrainte pour le contrôle social, maîtrise des finances pour les collectivités publiques.