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Quelle place accorder à la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes ?

C. En Suisse

3. Quelle place accorder à la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes ?

a. Un débat doctrinal

Etant donné l’incertitude autour de l’art. 328 CO concernant les discriminations dans l’emploi à l’encontre des personnes LGBTIQ, il est important de se poser la question de l’application de la LEg.

En effet, la LEg est aujourd’hui en droit suisse l’instrument juridique le plus développé s’agissant des discriminations au travail. Adopté en 1995 afin de mettre 65 en œuvre le mandat constitutionnel figurant à l’art. 8 al. 3 Cst, le but de cette loi est de réaliser l’égalité en droit et en fait entre femmes et hommes dans le domaine des rapports de travail salariés. 66

Dans le domaine des discriminations dans la vie professionnelle, la LEg présente de nombreux avantages en comparaison avec le CO, notamment un allégement du fardeau de la preuve (6 LEg) et l’annulation du congé de rétorsion (10 LEg).

L’art. 3 al. 1 LEg interdit expressément aux employeurs de discriminer directement ou indirectement les travailleurs à raison du sexe, « notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s'agissant de femmes, leur grossesse. » S’agissant de la question de savoir si cela inclut également les discriminations

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_103/2008 du 30 juin 2008, consid. 6.2 et 6.3.

62

DUNAND, CO 328 N 11 ; ATF 130 III 699, consid. 5.1.

63

Arrêt du Tribunal fédéral 4C_379/2002 du 22 avril 2003, consid. 1 et 2.

64

KLEBER, p. 182.

65

COSSALI SAUVAIN, LEg 1 N 9.

66

fondées sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle, le TF ne s’est pas encore prononcé. La doctrine majoritaire s’accorde sur le fait qu’au regard de la jurisprudence européenne, il convient d’ouvrir le champ d’application de la LEg aux personnes trans*, que celles-ci aient effectué une opération de réassignation ou non, et aux personnes intersexes. 67

Le débat est d’avantage controversé s’agissant du critère de l’orientation sexuelle. Le Message du CF explique que « les trois critères auxquels il est fait référence à l'article 3 sont purement exemplatifs. D'autres critères pourraient être ajoutés à cette liste, par exemple celui des préférences sexuelles, dans la mesure où un tel critère est propre à désavantager une plus grande proportion de personnes d'un sexe. » 68

Une partie de la doctrine estime sur la base de ce passage du Message que l’art. 3 LEg trouve à s’appliquer aux discriminations en raison de l’orientation sexuelle uniquement dans la mesure où celles-ci mettent en lumière qu’une part plus importante de travailleurs d’un sexe est désavantagé. On pourrait imaginer la 69 situation où un employeur décide d’octroyer un abonnement CFF aux travailleurs hétérosexuels et gays, à l'exclusion des travailleuses lesbiennes.

Par conséquent, si on se trouve dans la situation où l’employeur traite différemment tous les travailleurs de sexe masculin et féminin qui ne sont pas hétérosexuels, ces auteurs considèrent qu’une inégalité de traitement fondée uniquement sur l'orientation sexuelle ne suffit pas pour être comprise dans la notion de discrimination fondée sur le sexe au sens de l’art. 3 LEg. 70

Il est toutefois important de relever que la doctrine met en évidence que l’interdiction de discriminer au sens de la LEg comprend aussi les différences de traitement découlant de l’image stéréotypée des femmes et des hommes dans la société. Le 71 Message du CF explique à cet égard que « les causes des inégalités entre les sexes dans le monde du travail sont de plusieurs ordres. Diverses études mentionnent comme cause première les stéréotypes concernant la répartition des rôles entre femmes et hommes et les préjugés des entreprises sur l'attitude des femmes face au monde du travail (…). » 72

Comme nous le relevions plus tôt dans ce travail, les discriminations que subissent les personnes LGBTIQ au travail renvoient à une conception stéréotypée du féminin et du masculin véhiculée par des normes de genre qui conditionnent la manière dont doivent se comporter les individus. 73

Une autre partie de la doctrine considère alors qu’il convient d’ouvrir l’art. 3 LEg aux cas de discriminations fondées sur l’orientation sexuelle étant donné que si les personnes homosexuelles et bisexuelles sont aujourd’hui traitées différemment c’est précisément car elles ne correspondent pas à l’image attendue d’elles conformément à leur genre. Le simple fait d’être lesbienne, gay ou bisexuel est en effet déjà en soit une remise en cause des normes sociales régissant notamment l’apparence et le comportement des femmes et des hommes dans la société. L’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe au sens de la LEg vise justement à prohiber ces attentes de genre stéréotypées. En ce sens, les discriminations au travail que subissent les personnes LGB du fait de l’abandon du rôle sexuel traditionnel justifient l’application de l’art. 3 LEg. 74

Au regard de l’esprit de la LEg et du besoin accru de protection des personnes LGBTIQ, il convient selon moi de se rallier à cet avis doctrinal.

Un développement intéressant à ce sujet concerne un arrêt du TAF rendu le 7 août 2018 s’agissant d’une personne se plaignant d’un refus d’embauche discriminatoire basé sur son orientation sexuelle pour un poste dans le domaine militaire qui a examiné la question de savoir si l’art. 3 LEg devait s’appliquer. Le tribunal s’est rallié au premier avis doctrinal exposé ci-dessus en expliquant que qualifier de manière générale l’orientation sexuelle comme étant une discrimination fondée sur le sexe est incompatible avec la ratio legis de la LEg. Un recours a d’ores et déjà été 75 déposé devant le TF qui tranchera, enfin, la question débattue de l’application de l’art. 3 LEg au critère de l’orientation sexuelle.

b. La pratique des autorités de conciliation

Etant donné l’absence de jurisprudence du TF sur la question de l’application de la LEg, il convient de se référer à la pratique des autorités de conciliation. En effet,

Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1276/2017 du 7 août 2018 (Le TAF se base sur le Message du CF et la doctrine citée

75

précédemment, notamment UEBERSCHLAG).

soumettre le litige à la procédure de conciliation dont le but est de tenter d’aboutir à un accord entre les parties (197 ss CPC). 76

Dans une affaire argovienne datant du 11 septembre 2012, il était question d’un homme trans travaillant pour une entreprise depuis 1998. En 2010, il décide de se faire opérer pour la première fois en vue d'une réassignation sexuelle. D'autres opérations suivent en 2011 et 2012, ce qui entraîne des absences prolongées au travail. L’employeur décide de le licencier le 30 mai 2012 en invoquant les absences répétées. Le requérant demande une indemnisation de trois mois de salaire pour licenciement abusif au sens de la LEg, tandis que l’employeur soutient que le congé était exclusivement dû aux nombreuses absences. L’autorité de conciliation rejoint l’avis du requérant et estime qu’il s’agit d’un licenciement discriminatoire au sens de l’art. 3 LEg. 77

S’agissant de l’orientation sexuelle, une affaire zurichoise du 22 mars 2002 a confirmé l’application de la LEg. Il s’agissait d’un cas où lors de l’entretien d’embauche pour un poste de représentant commercial dans une société pharmaceutique, le recruteur avait demandé au candidat s’il était homosexuel. Alors que les pourparlers avaient jusqu'à là été positifs, à partir du moment où le candidat a répondu par l’affirmative à la question du recruteur, les négociations se sont enlisées et il a reçu finalement un rejet. L’autorité de conciliation est d’avis que la question posée quant à l'orientation sexuelle est illicite et discriminatoire au sens de l’art. 3 LEg. 78

Nous constatons ainsi que la pratique des autorités de conciliation tend à admettre l’application de l’art. 3 LEg, corroborant ainsi l’avis doctrinal majoritaire s’agissant de l’identité de genre et l’opinion d’une partie de la doctrine quant à l’orientation sexuelle.

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