• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Les forestiers landais et la question des feuillus en 2010

3. De 1999 à 2009, les forestiers d’une tempête à l’autre

4.2. Le pin taeda, miracle ou mirage ?

En dehors du pin maritime, point de salut ? Le « pin maritime du futur » est la solution ? Si les discours se veulent rassurants quant à l’avenir du pin maritime comme essence de reboisement incontournable dans les Landes de Gascogne, quelques substituts sont mis en avant par les instituts techniques et quelques propriétaires forestiers. A cet égard, le pin taeda est l’essence la plus fréquemment citée mais ses qualités font débat.

Selon l’analyse du groupe de travail « itinéraires sylvicoles », de nombreuses introductions ont été testées depuis plus d'un siècle mais « seul le pin à l'encens (Pinus taeda) a donné des résultats satisfaisants qui supportent la comparaison avec le pin maritime sur les meilleures stations, bien drainées et bien alimentées en eau, où il peut même le surpasser en production (bois d'œuvre en moins de 30 ans) » (CRPF Aquitaine et al., 2009, p. 10). Selon ce rapport, si le pin taeda se révèle moins sensible au vent, « il convient de rester prudent lors de son introduction compte tenu de ses exigences stationnelles mais aussi de sa sensibilité aux attaques de scolytes (…) et de son appétence pour les cervidés » (id., p. 10). D'après les organismes de recherche, le potentiel

d'extension du pin taeda est estimé entre 10 et 15% du massif mais l'utilisation de

provenances plus adaptées permettrait de l'accroître significativement (recherches en cours dans le cadre du programme CLIMAQ). Ce diagnostic et les précautions émises par les instituts techniques sont globalement partagés par les forestiers que nous avons enquêtés. Néanmoins, le pin taeda présente des avantages très bien identifiés par ses adeptes. Sa sylviculture est très

voisine de celle du pin maritime. Il n’y a pas de changement d’itinéraires et de nouveaux

savoirs pratiques à acquérir. Il faut juste accélérer les interventions (éclaircies et coupe finale). Mais, comme souvent, ce type de solutions innovantes suscite des avis contrastés. Certains sont très enthousiastes et prêts à s’engager fortement dans cette voie au point d’oublier les précautions de base pourtant émises par les centres d’expérimentation :

• « Le taeda, je me suis fait passer pour un fou comme d’habitude. Et j’en ai planté 25

hectares. Ils ont sept ans ils mesurent 7m. [Enquêteur : ils n’ont pas été affectés par la tempête ?] Sur les 25 hectares, il y a trois cimes de pins qui ne devaient pas être en très bonne santé, trois pins sur 25 ha qui ont la cime qui ont été cassées. Pas penchés. Rien. Ils sont d’une beauté extra, remarquable ! » (n°L44, Samuel, propriétaire forestier, 67

ans, 100-500 ha).

Pour ce technicien forestier, la résistance du pin taeda au vent serait même bien meilleure que celles de certains feuillus, la production en prime :

• « Les pins taeda sont très résistants au vent. Il n’y a quasiment aucun dégât. Pourquoi ?

parce qu’il a un feuillage très léger qui ne fait pas obstacle et écran au vent. Il a des aiguilles très, très fines et le vent s’engouffre dans la cime, donc ça filtre, voilà. (…). Le système racinaire, par exemple, est plus puissant que les feuillus. J’ai plus confiance en une lisière de pin taeda pour protéger du vent que dans une lisière feuillue » (n°L38,

Ludovic, conseiller forestier, 53 ans).

Enfin, pour les plus enthousiastes, la valorisation ne devrait pas poser de problème. La fabrication de palettes avec des rotations relativement courtes et son utilisation pour le bois énergie font partie des marchés envisageables :

• « Si c’est pour faire de la palette, le seul intérêt c’est qu’il ne casse pas et qu’il pousse

vite et c’est suffisant. Après, on trouvera toujours un débouché. » (n°L44, Samuel,

propriétaire forestier, 67 ans, 100-500 ha).

Malgré ces arguments favorables à l’utilisation du pin taeda, des réticences se font ressentir au sein des groupes G2 et G4. Pour eux, les débouchés offerts en aval de la culture du pin taeda sont quasi inexistants, et ils ne voient donc aucun intérêt à investir dans cette variété de pin. Selon ces forestiers, cette « nouvelle » sylviculture du pin taeda va dans le sens de certains acteurs de la filière mais pas dans celui des propriétaires forestiers. Cette méfiance se traduit par un soupçon de partialité vis-à-vis des promoteurs du pin taeda qui verraient d’abord leurs intérêts avant ceux des propriétaires forestiers :

• « Le taeda c’est le discours des coopératives […] c’est bien joli mais […] on ne peut en

faire que de la trituration » (n°L25, Henri, propriétaire forestier, 48 ans,100-500 ha).

D’autres remettent en cause les possibilités d’utiliser le pin taeda pour la fabrication de palette, car son bois serait trop tendre : « Y’a aucun débouché […] Puisqu’ils ont essayé pour fabriquer

des palettes, les pointes tiennent pas, c’est trop mou… » (n°L36, Laurent, propriétaire forestier,

66 ans, >500 ha). Cette essence n’a selon eux pas les qualités suffisantes pour qu’on puisse la

transformer en produit noble du type sciage, seul produit qui vaille le coup (et le coût) à leurs

yeux. Seuls les débouchés menant à la fabrication de papier et à l’utilisation pour la biomasse énergie sont envisageables, ce qui ne fait pas partie de leurs objectifs : « Le taeda, il est bon à

rien. Qu’à faire du papier ou du bois énergie » (n°L41, Richard, propriétaire forestier, 71 ans,

100-500 ha).

L’absence de débouchés n’est pas le seul obstacle au développement du pin taeda. D’après les forestiers des groupes G2 et G4, non seulement cette variété de pin n’apporte rien de « nouveau » à la filière mais elle pourrait être en plus vecteur de « nouvelles » maladies sur le massif. Selon eux, les pro-taeda n’ont pas mené leur réflexion assez loin et ont donné leur aval trop vite, sans envisager les conséquences possibles d’une telle expansion :

• « Il nous apporte – comme tout bois importé – toutes les maladies possibles et

inimaginables. Alors les gens sont contents, il a tenu aux tempêtes mais … » (n°L41,

Richard, propriétaire forestier, 71 ans, 100-500 ha).

Ces mêmes sylviculteurs ne sont pas non plus convaincus des capacités d’adaptation du pin taeda sur toutes les typologies de terrains que recèlent les Landes. Son développement semble très limité à cause de ses exigences stationnelles : non seulement il n’exprimerait ses potentialités que sur des terrains riches, mais il demanderait aussi un entretien bien particulier :

• « Le problème c’est qu’il revient un peu plus cher parce qu’il faut l’élaguer, il est plus

petit, il est joli, il pousse très vite même, quand il a un bon terrain… » (n°L35, Léon,

gestionnaire forestier, 63 ans, >500 ha).

Entre partisans et opposants, certains sylviculteurs du G2 et du G3 émettent des avis nuancés qui cachent mal leurs doutes vis-à-vis de cette espèce. Ils sont séduits par la résistance – supposée

• « [Enquêteur : On nous parle de changer d’espèces des choses comme ça…] Moi, je

serai partant, mais cette variété, moi, j’en ai des essais sur le domaine. J’ai des essais qui sont pas mal sur le domaine, qui n’ont pas bougé. J’en ai 1, 2,3 placeaux de cette espèce qui est le pin taeda ! Le pin taeda, qui n’a pas bougé pendant la tempête. Pas un ! Pas un par terre ! [Enquêteur : Et les parcelles de pins maritimes à côté ?] J’en ai une, une expérience en pin maritime à côté et … les trois-quarts sont par terre ! Le taeda, c’est un arbre qui est très flexueux ! C’est même pour ça qu’ils ne veulent pas le prendre comme pin de sciage dans les Landes parce qu’il n’a pas de point de rupture. Il casse pas, il plie mais il ne casse pas (…) Le problème, c’est qu’il revient un peu plus cher parce qu’il faut l’élaguer, il est plus petit, il est joli, il pousse très vite même aussi quand il a un bon terrain. Mais le problème, c’est qu’il faut l’élaguer très jeune parce qu’il a des petits nœuds. Le problème, c’est que c’est pas des nœuds durs ! C’est des nœuds qui pourrissent et ça fait des trous. Ce n’est pas comme le pin maritime. Le pin maritime, il fait des nœuds, mais c’est un nœud qui est très dur ! Il est adhérant. L’autre [le pin taeda] quand vous le sciez, ben, c’est pourri voilà. J’en ai fait scier pour voir et j’en ai vendu. Le gars, il m’en a pris pour faire de la palette et il me dit que le sciage est pas le même, c’est plus filandreux » (n°L35, Léon, gestionnaire forestier, 63 ans, >500 ha).

Alors qu’une essence de substitution semble disponible, la prudence semble de mise. De quoi témoigne ce scepticisme vis-à-vis du pin taeda ? On ressent chez la plupart des enquêtés du groupe G2, G3 et G4 une méfiance vis-à-vis des essences non « locales », non indigènes dont

l’adaptabilité aux sols landais serait quasi impossible même pour des espèces aussi proches du pin maritime que le pin taeda. Entre les discours sur les provenances inadaptées (graines de

pin maritime du Portugal mis en cause lors du gel de 1985), sur les pestes végétales, sur les invasions biologiques et la litanie d’expérimentations avortées en matière d’introduction d’essences depuis les essais in situ des années 1960, l’air du temps n’est pas très favorable à

l’exotisme comme cela a pu être le cas au XIXe siècle. Est-ce à dire que l’on a fait le tour des

résineux susceptibles d’enrichir la gamme variétale ? Les programmes de recherche actuels tendent à montrer que l’accent est plutôt mis sur l’amélioration des variétés existantes de pin maritime et de pin taeda plutôt que la recherche de nouvelles essences résineuses. Le groupe d’expert « itinéraires sylvicoles » de Gip Ecofor se montre ainsi très réservé vis-à-vis des autres résineux :

• « Le pin pignon, présent à l'état isolé dans les airials, donne un bois de faible qualité, le pin sylvestre frugal mais de croissance très lente se révèle peu adapté. Seul le pin laricio peut sur certaines stations donner des résultats satisfaisants mais sa croissance initiale très lente le déclasse nettement par rapport au pin maritime ou au pin taeda ; de plus il est très menacé par d'importants problèmes sanitaires (maladie des bandes rouges et

Sphaeropsis sapinea). On peut signaler marginalement d'autres résineux : en péri-landais,

le cèdre de l'Atlas ou le Sequoia sempervirens, le Cryptomeria japonica (sud de la Chalosse) et accessoirement le sapin de Céphalonie localement envahissant ou le cyprès chauve inféodé aux zones marécageuses » (CRPF Aquitaine et al., 2009, p.10).

Une autre raison qui explique cette méfiance vis-à-vis du pin taeda est paradoxalement ce que d’autres considèrent comme une qualité, c'est-à-dire sa vitesse de croissance. L’idée est

communément admise notamment au sein du groupe G2 et G4 qu’un bois qui pousse vite (que ce soit du pin maritime ou du pin taeda) est un bois de mauvaise qualité :

• « À 25 ans, on a de la papeterie. Mais on n'a pas le produit, le produit – je dirais –

noble, c’est-à-dire du produit de sciage. [Enquêteur : et, vous, vous coupez-vos bois à combien ?] Dans les environs de 50 ans, et encore je les trouve assez jeune » (n°L12,

propriétaire forestier, 50 ans, 100-500 ha).

A l’inverse du pin maritime dont l’engouement très fort au XIXe siècle pouvait aussi s’expliquer par la connaissance qu’en avait déjà localement les landais, le pin taeda fait partie de ces espèces introduites dont aucune n’a vraiment convaincu les acteurs forestiers locaux et qui demande de sérieux examens de passage avant d’être adoptées.