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Chapitre III : Les forestiers landais et la question des feuillus en 2010

3. Les feuillus, entre ignorance et intérêt stratégique

Avant les tempêtes de 1999 et de 2009, les forestiers portaient un regard distancié sur les feuillus. Ils n’hésitaient pas à les éliminer de façon à limiter leur concurrence vis-à-vis du pin maritime comme le préconisaient les itinéraires techniques mis au point dans les années 1960. Depuis la tempête de 1999, leurs pratiques ont lentement évolué au fur et à mesure qu’ils prenaient connaissance des avancées de la recherche forestière sur le bénéfice des essences feuillues dans la lutte contre certains ravageurs du pin. Après la tempête de 2009, cette question de la place des feuillus leur est à nouveau posée. Ils restent globalement sceptiques quant au potentiel productif de la plupart des essences feuillues mis à part le cas particulier du robinier. Ils admettent cependant que les feuillus puissent jouer un rôle important en termes cynégétique, paysager, environnemental et récréatif. Les forestiers du groupe G4 et certains du groupe G2 leur attribuent un rôle comme essence d’accompagnement – et non plus concurrente – des peuplements de pin maritime. Même l’intérêt économique des feuillus ne paraît plus aussi négligeable qu’auparavant grâce au développement de marchés de niche : bois de chauffage (sous forme de bois bûches pour les particuliers), boisements en compensation de la construction d’infrastructures, sciage feuillus pour le mobilier extérieur dans le cas du robinier, etc.

Cet intérêt même modeste pour les feuillus témoigne d’un changement de regard sur ces essences mais aussi de la recherche d’une reconnaissance sociale et d’une nouvelle légitimité sur les

problèmes d’environnement. Jusqu’à présent, cette question des feuillus était restée

spatialement cantonnés aux espaces relictuels comme les zones Natura 2000, des ripisylves et quelques parcelles isolées. Avec le développement des trames vertes et bleues, des espaces plus importants et moins confinés pourraient être concernés. Si les forestiers veulent en maîtriser la définition, il est important pour eux de montrer qu’ils prennent déjà en charge cette question et qu’ils peuvent eux-mêmes y répondre et éviter ainsi que de nouvelles normes de conservation des boisements feuillus ne leur soient imposées. C’est déjà plus ou moins le cas à travers les prescriptions PEFC qui les incitent à garder des boisements feuillus mais il n’est pas dit que cela suffise.

La question de la préservation des boisements feuillus constitue aussi un argument supplémentaire pour légitimer la place de la forêt en général et celle du pin maritime en particulier : plus la pinède contiendra des formes de « biodiversité ordinaire » à laquelle

participe notamment les essences feuillues, plus elle ressortira renforcée en termes d’intérêt environnemental aux yeux du grand public voire des décideurs politiques. La question de

l’intérêt des feuillus ne se pose donc pas seulement du point de vue de la production mais aussi de celui plus stratégique de la légitimité environnementale de la forêt landaise. Plus elle aura de feuillus, plus, elle semblera légitime du point de vue environnemental. Or, comme le dit Kalarora

(Kalaora, 2001, p. 592), l’environnement devient un problème central autour duquel de nombreux discours et projets sociaux doivent être reformulés pour être légitimes. Ne parler que de pin maritime et d’économie de la filière alors que la tempête Klaus les a fortement ébranlés, n’est plus suffisant pour légitimer leur monopole dans le massif des Landes de Gascogne.

Environnement, biodiversité, et pourquoi pas feuillu, constitue aujourd’hui un registre au moins aussi légitimant. Au-delà de ces considérations stratégiques assez éloignées des

préoccupations quotidiennes des forestiers enquêtés, ceux-ci voient aussi un intérêt concret à garder ces boisements feuillus. A cet égard, la perspective d’une efficacité accrue de la lutte

contre les ravageurs renforce leur intérêt pour ce type d’essence. Cet intérêt peut donc aussi

être vu comme une forme d’instrumentalisation des feuillus au profit du pin maritime et non pas au profit des feuillus eux-mêmes, ni de l’environnement ou de la biodiversité qui resteraient ainsi dans leur statut de sous-produits de l’activité sylvicole classique.

Conclusion

Notre étude montre que la question des boisements feuillus dans le massif des Landes de Gascogne est ancienne et que chaque catastrophe la réactualise. Cependant elle n’a jamais ébranlé le modèle dominant basé sur la sylviculture du pin maritime. Au cours des années 1960, les feuillus ont même été considérés comme un problème, du point de vue de l’optimisation des techniques de production du pin maritime. Au tournant des années 2000, le regard sur les feuillus a changé de manière plus significative. Les scientifiques ont mis en avant la nécessité de faire des choix d’essences basés sur des critères de « gestion durable ». Ils ont aussi montré que la conservation des feuillus était fortement recommandée pour lutter contre certains ravageurs du pin. De l’opposition feuillus/résineux, le débat semblait passer à la complémentarité de ces deux types d’essences. Les pratiques des propriétaires et des gestionnaires forestiers semblent ainsi évoluer vers un maintien des feuillus sous différentes formes – îlots, alignement d’arbres, lisières – mais souvent dans des espaces interstitiels et pour des raisons essentiellement phytosanitaires. Si ces feuillus peuvent être vus comme les arbres qui cachent la forêt de pin maritime, leur maintien devient stratégique notamment pour la mise en place des trames vertes inscrites au Grenelle de l’environnement. En revanche, la conservation de ces essences et notamment du chêne en sous-étage dans les peuplements productifs est nettement moins assurée dans la mesure où leur présence entrave la mécanisation de certaines opérations sylvicoles.

Quant à la tempête Klaus de janvier 2009 et ses conséquences qui restent actuellement le souci majeur des forestiers landais, elle a bousculé un certain nombre de certitudes et réactivé quelques clivages bien plus importants que ceux portant sur le rôle respectif des feuillus et des résineux. Alors que la sylviculture dans le massif landais n’avait jamais été si bien encadrée, maîtrisée et si sûre depuis 1949, les tempêtes Martin puis Klaus rendent cette activité très risquée aux yeux des forestiers. Ils se sentent désormais soumis à des risques économiques et climatiques qui dépassent complètement leur espace de vie et leur sphère de décision. Ils s’interrogent sur le progrès scientifique soupçonné de générer autant de risques qu’il en résout. Aucune solution proposée n’apparait comme une panacée et ils en viennent même à douter de l’autorité de ceux qui les promeuvent. Ils se retrouvent ainsi en situation de devoir agir non seulement dans un contexte d’incertitude très forte mais aussi de controverses sur les techniques, les essences, les organisations et les personnes. Ce renforcement des clivages au sein des propriétaires et des gestionnaires forestiers se constatent aussi dans le choix des itinéraires techniques. Les uns parient sur une hyperintensification des itinéraires actuels à base d’essences très productives (pin maritime en majorité mais aussi robinier ou eucalyptus). Toujours confiants dans les modèles de planification et de gestion rationnelle et maîtrisée du progrès, ils comptent sur les capacités de la science à surmonter les difficultés. L’idée principale est de pas subir les événements climatiques

mais les anticiper, les contourner, éventuellement les contrer. D’autres envisagent au contraire une extensification des modes de production et misent sur la résilience des mélanges d’essences pour faire face au changement climatique. Il existe enfin une troisième catégorie de forestiers pour qui la stratégie consiste à ne pas choisir d’options fermes et définitives. Agissant par tâtonnement et de manière itérative, ils optent pour des actions et des itinéraires sylvicoles mesurés, diversifiés, et aussi réversibles que possible.

De fait, les termes du débat ne portent pas tant sur la place des feuillus par rapport à celle des résineux dans le massif landais que sur celle du modèle de développement retenu. On peut d’ailleurs très bien imaginer des modèles intensifs à base de feuillus (TCR de robinier, de saule ou d’eucalyptus) et des modèles extensifs à base de pin maritime. Dans ce cas, la question de la gestion durable de la forêt landaise se portera sur d’autres enjeux environnementaux (gestion de la ressource en eau, fertilité des sols, rentabilité des filières bois énergie ou pâte à papier…). Une autre manière, exprimée par de nombreux forestiers, de mutualiser les sources de risques est de diversifier les itinéraires et de pratiquer, à l’échelle de la propriété, une sorte de « polyculture sylvicole », mêlant plusieurs modèles sylvicoles à base de pin maritime et intégrant des feuillus. Le problème est de savoir comment résister à la tentation d’éliminer au fur et à mesure les itinéraires les moins performants du point de vue économique comme cela fut le cas pour des modèles alternatifs déjà proposés en leur temps. Enfin, les conséquences sociales des différentes options discutées actuellement sont difficiles à appréhender car certains itinéraires sylvicoles actuels ont peu de chance d’être rentables pour des petites voire des propriétés de taille moyenne. On sent en effet une véritable interrogation des propriétaires forestiers sur la rentabilité économique des itinéraires à courte rotation. Ce type de sylviculture exige une forte capacité d’investissement (achat de plants améliorés, succession rapide de travaux d’entretien et d’éclaircie) et des surfaces conséquentes (pour pallier le prix de vente de bois standards et non plus de haute qualité). De façon générale, si l’idée générale est de limiter les pertes en « ne mettant tous ses œufs dans le même panier », cette diversification des itinéraires mérite une évaluation économique notamment pour déterminer à partir de quels seuils de surface et de volume de production (et d’autres critères à préciser par des économistes), ces différents itinéraires sont rentables sur des petites et moyennes propriétés.

Annexes