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pierre-Alain muller

Je vais revenir sur l’enseignement. Il faut l’axer sur quatre éléments clés. A propos de la création d’entreprise, on peut dire ce que l’on veut, lire tous les business plans, engager tous les spécialistes, si l’entreprise ne crée pas de valeur, elle n’est pas viable. C’est une réalité dont les étudiants doivent avoir conscience.

La découverte de la performance collective, le travailler ensemble, c’est le projet de pédagogie inversée dont on connaît tous les mécanismes. Ce que l’on peut en revanche enseigner, de manière traditionnelle, ce sont les modèles économiques. J’en recense entre cinquante

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et soixante. On peut très bien les enseigner et espérer que les étudiants s’en saisissent et soient capables de les appliquer ou de les hybrider, ce qui est la partie la plus intéressante. Le dernier aspect, c’est l’émulation ; donner envie implique de faire venir des entrepreneurs dans les universités pour donner des conférences ou de participer à des serious games. Ce sont, à mon sens les quatre grands piliers. J’aime bien votre définition, mais je veux rajouter qu’il ne faut jamais oublier la monétisation, sinon on ne fait pas d’entreprise.

pierre musso

pierre musso

C’est cela la grande différence, l’université a une durée. Les entreprises sont souvent éphémères, surtout les start-up. Elles sont nombreuses à l’Institut des Mines. Je suis à la fois à l’université et dans une grande école, donc un hybride et je vois les atouts et les différences. Par exemple, à l’Institut des Mines Télécom, on trouve à la fois de l’ingénierie, mais également des incubateurs. C’est une modalité assez intéressante que ce passage au projet. Nous montons un master interdisciplinaire, inspiré d’expériences menées avec l’université d’Harvard. C’est une formation, dans laquelle des professionnels interviennent pour un tiers des enseignements. En parallèle, il y a des stages et des projets. Ces projets sont animés conjointement par un responsable d’entreprise, notamment dans le domaine de l’innovation, et par un enseignant-chercheur. On travaille de façon interdisciplinaire, (ingénieur, sciences humaines et sociales et école de design), pour produire des services, des objets, dans un délai assez court, mais avec une faisabilité économique et aussi technique. Ce travail sur projet, que l’on expérimente depuis plusieurs années, est extrêmement important. Vous m’avez posé la question de la vulgate managériale. Il faut se méfier de la vulgate managériale et ne pas prendre le

new public management comme parole d’évangile.

Le travail de Sara Saraswati, que j’ai cité, a introduit un changement de paradigme dans le monde de la recherche et de l’entreprise. Elle a expliqué que l’on est passé d’un monde de l’entreprise centrée autour de la figure de l’entrepreneur, d’une rationalité causale à une rationalité de l’effectuation. L’entrepreneur, ce n’est pas celui qui aime le risque, contrairement à ce que l’on raconte. Le point de départ, c’est de réduire les risques chercher la perte acceptable, donc de gérer l’incertitude. Quand on monte une entreprise, ou une start-up, on

part des moyens, on fait une expertise : quelles sont les ressources ? Quel est son réseau de relations ? Quelles sont les pertes acceptables ? Si cela ne marche pas, on fait autre chose. On essaye, on teste, ensuite c’est une co-construction entre partenaires. Il faut apprendre l’échec, le fait de tâtonner, de bricoler. Nous, on a monté des ateliers et on avance de cette façon. On sait cela depuis toujours dans le monde de la recherche. Il faut également apprendre à tirer parti des opportunités : « Si on me propose des citrons, je vais faire de la limonade ». L’élément fondamental, c’est que l’entrepreneur est un homme d’action, même s’il y a beaucoup d’intelligence dans l’entreprise. Il ne peut pas prévoir le futur mais il va agir pour transformer. Son point de départ, c’est la pratique. Je me définis comme un homme de réflexion et d’action dans le monde des connaissances, eux, ce sont des acteurs de l’action transformatrice.

fabienne BlAise

fabienne BlAise

Je souhaitais enchaîner sur une autre question. Vous avez parlé de la confiance qui doit s’installer, vous avez dit aussi qu’on ne fonctionne pas de la même manière. Qu’est-ce qu’on peut faire pour établir ce rapport concret de travail de nos étudiants avec l’entreprise ? Je vais préciser ma question. Je suis dans une région où on a beaucoup de freins qui nous empêchent de faire ce travail. Je me souviens d’un temps où l’on disait que les pôles de compétitivité devaient essayer de créer ce rapport, mais ils ne le font pas vraiment, en tout cas pas au niveau de la formation. Il faudrait mettre en place une instance où ce rapport effectif, entre les uns et les autres, existe vraiment. Quand il m’est arrivé d’en parler, on m’a répondu : « Nous entrepreneurs, on n’a pas le temps, on a déjà du mal à gérer notre entreprise. On ne peut pas prendre le temps de travailler avec vous sur vos besoins, les nôtres… ». Cela, c’est le premier frein, le second c’est la méfiance envers l’étudiant de master en université ou le doctorant. Ce n’est peut-être pas vrai dans toutes les régions, mais chez nous, c’est un handicap. On préfère s’adresser à un futur ingénieur qu’à un étudiant d’université, en pensant qu’il y a moins de risque. D’après vous, comment peut-on développer ce rapport avec l’entreprise ? Comment créer cette confiance et ce travail en commun qui nous manquent ?

pierre-Alain muller

pierre-Alain muller

tABle ronde

mieux c’est la machine à café, il faut créer des lieux, faire porter les dispositifs par des entrepreneurs pour que les étudiants et les entrepreneurs se rencontrent. Les serious games sont parfaits pour cela. Il faut créer des projets, par exemple des stages d’étudiants consacrés à l’innovation. Il faut que les mondes se rencontrent. Il ne faut pas qu’il y ait d’un côté l’université et de l’autre l’entreprise.

fabienne BlAise

fabienne BlAise

Concrètement, comment est-ce possible ?

pierre musso

pierre musso

Il faut déjà que tout le système éducatif, dès l’école, fasse connaître l’entreprise. Aller voir une chaîne de production, c’est quelque chose d’extraordinaire. Chez PSA, par exemple, j’ai vu une chaîne de production robotisée. On voit la somme d’intelligence cristallisée si j’ose dire. La technique, ce n’est que de la culture cristallisée, c’est de la culture traduite dans des dispositifs. Quand on voit ces objets techniques, on voit des compétences qui se sont cristallisées.

Il faut emmener les étudiants voir ce qui se passe dans l’entreprise. Dès le plus jeune âge et évidemment à l’université, par le biais de visites, de rencontres, il faut sensibiliser les jeunes à l’entreprise. Il faut aussi faire venir, soit des responsables d’entreprise, soit des personnes du marketing stratégique -qui devrait d’ailleurs être une discipline enseignée et dotée d’une recherche plus étoffée- soit de la direction de l’innovation. En général, on fait venir le directeur des ressources humaines, alors qu’il faut faire venir ceux qui produisent dans l’entreprise.

La question du temps, je peux vous en parler très concrètement, j’ai monté ma chaire avec le numéro deux de Dassault Systèmes, entreprise qui pèse 144 millions d’euros. Il passe son temps dans les avions, à monter des projets, il est à la direction de la stratégie, de la communication… mais il me consacre quinze jours pleins par an. Ubisoft me consacre aussi sept à huit jours pleins par an. Pour eux, c’est, au-delà du crédit impôt recherche, un investissement. L’élément essentiel, c’est de se rencontrer, je partage votre avis, mais de se rencontrer pour faire quelque chose.

pierre-Alain muller

pierre-Alain muller

En matière de financement, on peut explorer une autre piste qui est le mécénat de compétences : les entreprises apportent des compétences à l’université. Il existe aussi d’autres mécanismes de défiscalisation qu’il faut vraiment étudier.

fabienne BlAise

fabienne BlAise

Il reste dix minutes pour les questions de la salle. Qui commence ?

de la salle

de la salle

Vous avez évoqué différents points qui me tiennent à cœur : le travail collectif, l’évaluation collective et le caractère innovant des français. Lorsque l’on anime des équipes internationales, on explique aux gens comment ils sont perçus par les autres en fonction de leur nationalité. Les français sont perçus comme très innovants, allant sur des chemins où personne ne va, y compris là où leur hiérarchie ne veut pas aller. Nous sommes considérés comme très indisciplinés, cela ne vous étonnera pas, mais également comme très individualistes. On essaye d’apprendre aux français à travailler en équipe, y compris avec l’encadrement privé. Vous le souligniez vous-même, c’est une des clés de l’entreprenariat. Les universités ont affaire à de jeunes adultes, donc il faut vraiment travailler en amont. Comment, par un décret comme le proposait Monsieur CHAMBAZ ce matin ou par autre chose, proposeriez-vous que l’on agisse, nous à l’université pour élaborer une meilleure évaluation collective des étudiants, qu’on agisse aussi auprès du secondaire et du primaire ? Rien ne bougera si on ne fait pas ce travail en amont. Je suis désolé, vous avez peut-être répondu partiellement, mais aujourd’hui il faut envisager des mesures concrètes, parce que l’on parle de l’entreprise depuis des années. A cause de cet individualisme très ancré dans les mentalités françaises, on va chercher des cadres ailleurs.

pierre-Alain muller

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Pour les plus jeunes, je ne sais pas. Dans les universités, il faut utiliser les temps longs, les stages et les projets tutoriaux pour faire travailler ensemble les étudiants. Ce qui veut dire mélanger une douzaine d’étudiants de marketing, de droit, de responsabilité sociale et environnementale, de communication, d’informatique,

Journée du 22 mAi 2014

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regArds Croisés :

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de mécanique, et leur donner une problématique d’entreprise. Un projet réel, sur lequel ils vont travailler ensemble pendant trois, quatre ou cinq mois. À l’Université de Haute Alsace, nous avons cela. C’est très facile à mettre en œuvre, à condition d’avoir quelqu’un qui en assure la synchronisation ce qui est très chronophage. La solution à mon avis, c’est de changer la manière de concevoir les stages.

pierre musso

pierre musso

Je pense qu’il y a deux initiatives possibles. La première, je rejoins ce qui a été dit, monter ensemble des projets interdisciplinaires et pilotés conjointement. Je vous donne un exemple du laboratoire de Paris, dans lequel nous faisons travailler des étudiants d’écoles de commerce, d’ingénierie, de sciences humaines et sociales, de design, autour d’une thématique. On les laisse travailler et on les encadre pendant quatre à cinq mois, pour produire un prototype ou une maquette, ce qui est extrêmement productif et enrichissant. Sans doute parce que je suis philosophe de formation, je pense que la question, c’est aussi de changer le regard sur l’entreprise et d’essayer de changer le regard de l’entreprise sur l’université et sur l’école. Il y a une caricature de l’école et de l’université et réciproquement de l’entreprise. Il faut travailler à bien identifier ce que sont l’entreprise et l’industrie, avec des éclairages sur la finance mondiale et sur la diversité des industries. C’est un travail de chercheur et de formateur. Il faut faire connaître concrètement l’entreprise par des visites et par des stages. Réciproquement, faire venir des entrepreneurs, ou des gens de l’entreprise, à l’école, se rencontrer autour de projets, pour monter ensemble des chaires, des projets de recherche, de formation etc. L’effet cafétéria ou la proximité, en économie industrielle, ne suffisent pas. Aujourd’hui, on travaille autant avec son voisin qu’avec quelqu’un qui se trouve au bout du monde. La question n’est pas la proximité physique et spatiale, il y a une autre proximité, la proximité organisationnelle et institutionnelle. Il faut monter des projets, qui peuvent être physiquement distants, mais avec des contenus qui sont discutés ensemble. Quand j’ai monté ma chaire, j’ai passé deux ans à discuter avec des dirigeants. Quand on a trouvé ensemble les clés stratégiques, ils m’ont fait confiance et m’ont dit qu’ils me soutenaient financièrement et qu’ils m’accompagnaient.

de la salle

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Bonjourje suis représentante d’une, organisation qui émane de la CGPME. Nous avons une convention avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je voulais juste apporter un complément pour rebondir sur ce que vous disiez, à propos des modalités de relations entre universités et entreprises. Dans le cadre de notre convention, nous organisons et nous essayons de promouvoir des rencontres entre PME et universités, c’est-à-dire des rencontres entre entrepreneurs et étudiants. Nous essayons également de faire un gros travail pour changer les représentations du monde universitaire, parce qu’effectivement elles sont très tenaces. Nous sommes à votre disposition pour travailler ensemble sur cette représentation.

fabienne BlAise

fabienne BlAise

Merci. Je crois que l’on a encore le temps pour une question.

de la salle

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C’est plus un témoignage qu’une question. J’ai travaillé quarante ans dans l’industrie. Je suis retraité de chez Renault et je suis président de la SATT IdF Inov. Je suis passé d’un monde à l’autre. Je ne suis pas ingénieur, je suis généraliste, j’ai terminé ma carrière comme patron. Je suis à l’origine un homme d’industrie. Ce qui me frappe beaucoup depuis que je suis là et je vais partager ce constat avec vous, c’est que l’on a deux mondes qui se côtoient, mais qui ne parlent pas la même langue. Une des façons de résoudre ce problème, c’est de mettre en place des interprètes entre l’industrie et l’université. Il faut que l’on arrive à se comprendre parce qu’on est en train de creuser, jour après jour, le fossé qui nous sépare. Je pense qu’un discours, comme celui de Monsieur Mérieux hier soir, ou d’autres entendus depuis, dans les tables rondes, constituent d’excellents enseignements. Vous avez dit monsieur, que la prise de risques n’était pas la qualité principale d’un entrepreneur. Je continue à penser qu’elle l’est. Chez Renault, j’ai pris un certain nombre de risques à titre personnel. Il faut continuer à enseigner cette prise de risque.

Enfin, l’entrepreneur n’est jamais à la sortie d’un projet, dans le même état qu’au début L’entrepreneur doit savoir s’adapter à l’environnement et à un projet. La

regArds Croisés :

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tABle ronde

capacité d’adaptation est une qualité que vous devez développer chez les étudiants. Voilà le témoignage que je voulais apporter.

fabienne BlAise

fabienne BlAise

Merci, nous n’avons malheureusement pas le temps pour une autre question. Merci à tous les deux.

Journée du 22 mAi 2014

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regArds Croisés :

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