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3. L’ AORTE PATHOLOGIQUE

3.2. L’anévrysme de l’aorte ascendante

3.2.4. Physiopathologie des anévrysmes

Malgré un grand nombre de travaux sur ce sujet, de nombreuses zones d’ombre persistent concernant la physiopathologie exacte des anévrysmes de l’aorte. Le mécanisme est probablement complexe et trouve sa source à plusieurs niveaux.

La description classique des anévrysmes des artères élastiques admet que la lésion athéromateuse est le primum movens conduisant à la formation de ce dernier. Pourtant, des travaux plus récents ont retrouvé que la dégénérescence de la média artérielle est un préalable à l’athérome et à l’athérosclérose qui ne seraient alors vu que comme une circonstance aggravante de l’altération pariétale [39].

Comme nous l’avons déjà décrit, cette dégénérescence est sous tendue par des phénomènes complexes et intriqués. Ils impliquent la modification du phénotype des cellules musculaires lisses, la dysrégulation de la synthèse de MMPs et l’altération qualitative et quantitative de la matrice extracellulaire de la paroi artérielle.

En fait, il semble que l’étiologie de ces anévrysmes nous échappe encore. Il est de plus en plus probable que la cause réelle de cette pathologie se trouve au niveau des gènes, de leurs régulations et des voies de signalisation organisant le dialogue entre cellules et matrice extracellulaire.

Les facteurs de risque des anévrysmes ne seraient alors plus considérés que comme des activateurs de certains mécanismes cellulaires (prolifération, migration, synthèse ou apoptose).

Par exemple, nous avons déjà vu le rôle de :

- l’hypertension artérielle qui modifie le phénotype des cellules musculaires lisses et favorise la synthèse de MMPs et de collagène,

- du diabète, engendrant une accumulation de « vieilles » macromolécules polyglycosylées et activant divers systèmes de « nettoyage » dégradant la matrice extracellulaire,

- du tabac responsable, comme dans de nombreux états inflammatoires, d’une sécrétion inappropriée de protéases dans les espaces intercellulaires…etc.

3.2.4.1. La maladie annulo-ectasiante

Sous ce terme générique, se cachent en fait de multiples pathologies à l’expression phénotypique proche. L’anévrysme de l’aorte ascendante englobe la racine aortique et est associé à une dilatation de l’anneau de la valve aortique (squelette fibreux). La forme caractéristique de ces anévrysmes est dite « en bouteille de Chianti » : fusiforme en haut et stoppé par l’anneau de la valve aortique en bas. Le traitement de telles lésions suppose un geste combiné touchant l’aorte ascendante et l’anneau valvulaire aortique.

La cause la plus fréquente de maladie annulo-éctasiante est la maladie de Marfan. En France, on estime à environ 12500 le nombre de patients atteints par cette affection héréditaire dont environ 60 à 70 % ne sont pas diagnostiqués. La fréquence communément admise est d’environ 1 pour 5000 individus. Le décès, lié à une rupture anévrysmale ou à une dissection aortique, survient généralement en l’absence de traitement médical et/ou chirurgical avant l’âge de 40 ans.

Le substratum génétique repose sur la mutation du gène de la fibrilline 1, porté par le chromosome 15, et transmissible à la descendance sur un mode autosomique dominant [56].

Cette pathologie, liée à une altération globale du réseau fibrillaire, se traduit par des atteintes multifocales plus ou moins marquées (cœur et vaisseaux, œil, squelette, articulations et

Des modifications comparables à celles retrouvées au sein de la paroi aortique des patients porteurs de bicuspidie ont été décrites

D’autres syndromes, pour certains très rares, se rapprochent de cette description clinique et présentent un risque supérieur d’anévrysme artériel. Nous ne citerons que certains d’entre eux tels le syndrome D’Ehlers-Danlos type IV (mutation du collagène III) ou le syndrome d’ostéogénèse imparfaite (Osteogenesis Imperfecta = mutation du collagène I) [57].

Protéines matricielles Maladie vasculaire Phénotype Fibrillin-1 Syndrome de Marfan

Collagène I Ostéogénèse imparfaite Collagène III Syndrome d’Ehler-Danlos IV

Dilatation artérielle, Anévrysmes, Dissection aortique,

autres

3.2.4.2. La valve et « l’aorte de bicuspidie »

La présentation anatomique classique de la valve aortique décrit trois cuspides ou feuillets ; la valve est dite tricuspide. Pourtant, 1 à 2 % de la population présentent une valve aortique composée de deux cuspides aortiques, dite bicuspide. Cette variation anatomique est probablement d’origine génétique puisqu’on retrouve des prévalences jusqu’à 15 fois supérieures au sein de certaines familles ou entre jumeaux homozygotes. Actuellement nous ne connaissons pas la ou les molécules impliquées dans la genèse de la bicuspidie aortique.

Un examen attentif de ces bicuspidies individualise donc deux cuspides, symétriques ou non et présentant chacune une anatomie relativement normale en dehors de leurs mensurations. Il est habituel de retrouver une zone de fusion, souvent médiane, formant un raphé et siégeant généralement sur la cuspide la plus étendue.

La bicuspidie aortique est un facteur de risque d’altération précoce de la valve aortique ainsi

Certains auteurs ont émis l’hypothèse que les lésions histologiques prédominaient sur l’aorte ascendante et que l’altération valvulaire serait plus en rapport avec les conditions hémodynamiques particulières générées par le caractère bicuspide de la valve (augmentation du stress appliqué aux cuspides en rapport avec une surface efficace plus petite à diamètre d’anneau identique).

De récentes études ont rapporté de nombreuses modifications de la paroi de l’aorte ascendante en présence d’une bicuspidie aortique. Les cellules musculaires lisses stimulées s’orientent vers un phénotype sécrétoire puis présentent une tendance à l’apoptose. L’origine de ces modifications est incertaine. Des travaux ont mis en lumière le rôle fondamental du détachement des cellules de la matrice, impliquant la fibronectine et les microfibrilles, qui pourrait à lui seul initier la sécrétion de métalloprotéases et activer la voie des Caspases aboutissant à une apoptose progressive (essentiellement dans la partie interne de la média) [60].

Les profils de sécrétion de métalloprotéases au sein de ce tissu aortique diffèrent de ceux retrouvés dans les tissus artériels normaux, principalement avec l’expression plus importante des MMP2 et MMP9 mais aussi de certains inhibiteurs, comme TIMP 1et 2.

Malgré la présence d’inhibiteurs, l’action protéolytique des MMPs conduit à une fragmentation progressive des fibres élastiques, à l’altération des membranes basales et à la constitution de zones de média-nécrose même en l’absence de dilatation. L’ensemble de ces phénomènes peut aisément expliquer la nette propension de l’aorte ascendante de bicuspidie à se dilater précocement [61].

Malgré ces constatations particulièrement inquiétantes concernant l’aorte ascendante des patients porteurs de valve aortique bicuspide, le remplacement de ce segment n’est pas communément admis ou recommandé. Des travaux, toujours plus nombreux, dans ce sens changeront probablement le regard que nous portons sur cette « variation anatomique pathologique ».