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1. Introduction

1.3 Régulation post-traductionnelle des protéines liant l'ARN

1.3.1 Phosphorylation des protéines liant l'ARN

La phosphorylation est caractérisée par le transfert du phosphate γ d'une molécule d'ATP à certains acides aminés, généralement des sérines (Ser), des thréonines (Thr) ou des tyrosines (Tyr). Cette modification covalente des protéines est catalysée par un vaste répertoire de kinases qui reconnaissent spécifiquement leurs substrats et qui font partie intégrante des cascades de signalisation. Ce processus est réversible puisque les cellules disposent d'un assortiment de protéines phosphatases qui vont contrecarrer les effets des kinases (226). Les protéines qui lient l'ARN n'échappent pas à l'action de ces deux types d'enzymes et il est devenu évident que leur niveau de phosphorylation va influencer divers aspects de leurs fonctions régulatrices.

1.3.1.1 Modulation de la liaison d'ARN

La phosphorylation des protéines peut moduler leur liaison à l'ARN et la conséquence de cette modification va dépendre du rôle joué par la protéine dans la régulation post-transcriptionnelle. Par exemple, la phosphorylation des répresseurs traductionnels ZBP1 (228) et hnRNPK (385) par la tyrosine kinase Src va réduire leur affinité pour leurs cibles respectives, soit les messagers de la β-actine et de la 15- lipoxygénase (section 1.1.4.6.7). Conséquemment, la répression de ces transcrits sera levée. Le même phénomène a déjà été décrit pour la dé-répression de la traduction du messager

ASH1 (section 1.1.3.3) alors que la phosphorylation des répresseurs Khd1p (391) par Yck1

et Puf6p par Ck2 (111) diminue leur affinité pour ASH1.

La régulation de l'association entre des messagers et des protéines par la phosphorylation de ces dernières peut avoir des répercussions variables sur l'expression de leurs cibles. En réponse à un stress oxydatif, la kinase Chk2 phosphoryle plusieurs résidus de la protéine HuR (2), qui lie des transcrits qui possèdent des ARE et les stabilise (section 1.1.5.2). Ainsi, certains ARNm sont déstabilisés suite à la modification de HuR, puisqu'ils sont dissociés de ce facteur protecteur. Étonnamment, d'autres transcrits sont stabilisés par une liaison accrue à HuR dans ces mêmes conditions, ce qui suggère que l'association de HuR à ses ligands dans une situation donnée dépend de la nature du transcrit (2). La phosphorylation du déstabilisateur KSRP (section 1.1.5.2) par p38 compromet aussi sa liaison à des transcrits possédant des ARE, ce qui entraîne leur stabilisation durant la myogenèse. Toutefois, cette phosphorylation ne semble pas empêcher KSRP de recruter la machinerie de dégradation (59).

1.3.1.2 Modulation des partenaires protéiques

Les protéines liant l'ARN s'associent à diverses machineries cellulaires et leur phosphorylation peut également moduler ce type d'interactions. Par exemple, la

phosphorylation de KSRP par la kinase AKT sur un site distinct de celui ciblé par p38 va aussi inactiver sa fonction déstabilisatrice, sans toutefois affecter sa liaison à l'ARN. Cette modification va promouvoir son association à une protéine d'échafaudage de la famille 14- 3-3 et interférer avec le recrutement de l'exosome (176, 436). Ce thème est récurrent chez les protéines liant et déstabilisant les messagers qui contiennent des ARE puisque la phosphorylation de BRF1 et TTP (section 1.1.5.2) peut favoriser la liaison de protéines 14- 3-3, ce qui inhibe leur activité (36, 244, 443, 484).

La phosphorylation des protéines liant l'ARN peut aussi influencer leur association avec la machinerie de traduction. Entre autres, la phosphorylation de l'endonucléase spécifique PMR1 (section 1.1.5.1) par SRC est requise pour la cibler aux polysomes actifs en traduction (546). À l’inverse, la fraction de FMRP (section 1.2.4) qui est phosphorylée par la kinase de S6 est associée à des polysomes qui semblent bloqués au niveau de l'élongation, à l'opposé de la portion non-phosphorylée de FMRP qui co-sédimente avec des polysomes actifs dans des gradients de saccharose (72, 373). De plus, il a été montré que cette même phosphorylation inhibe l'interaction entre FMRP et Dicer, quoique le lien qui unit l'absence d'interaction entre FMRP et Dicer à l'inhibition de la traduction ne soit pas très clair (82). Cette modification est conservée à travers les espèces et ne semble pas influencer l'association de FMRP à ses ARNm cibles dans les cellules de mammifères (72). Au contraire, chez la drosophile, la phosphorylation de l'orthologue de FMRP augmente son interaction avec l'ARN in vitro (468). Enfin, la phosphorylation d'UPF1 par SMG1 promeut sa liaison à eIF3, ce qui réprime la traduction des transcrits destinés à être dégradés par le NMD (section 1.1.5.4) (236).

Il a déjà été mentionné que les modifications post-traductionnelles peuvent réguler l'export d'ARNm (section 1.1.2.2). La déphosphorylation de protéines de type SR, qui s'associent aux transcrits nouvellement synthétisés, est nécessaire pour qu'elles interagissent avec les récepteurs d'export nucléaire et qu'elles subissent un transport nucléocytoplasmique (177, 178, 222, 223). Par la suite, leur phosphorylation cytoplasmique

les dissocie des messagers et permet leur retour au noyau. Ceci illustre que la phosphorylation peut moduler la localisation subcellulaire des protéines liant l'ARN.

1.3.1.3 Modulation de la localisation subcellulaire

Beaucoup de protéines liant l'ARN ont une distribution nucléocytoplasmique. Puisque certaines étapes de la vie d'un transcrit se déroulent dans le noyau alors que d'autres ont lieu dans le cytoplasme, le contrôle de la localisation subcellulaire des protéines liant l'ARN représente un moyen de réguler l'expression génique (68).

Par exemple, la protéine HuR est surtout nucléaire et il a été proposé que sa translocation dans le cytoplasme lui permette d'exporter les ARNm qui lui sont associés, de les stabiliser et de favoriser leur traduction (144, 145, 258, 348). Ce transport semble être régulé par de multiples phosphorylations dans une région de HuR qui contient à la fois des éléments d'export et de localisation nucléaire. Ainsi, la phosphorylation de cette région d' HuR par les isoformes α et δ de la protéine kinase C stimule l'export nucléaire de la protéine, ce qui lui permet de stabiliser les messagers de la cyclooxygénase-2 (119, 120). À l'opposé, la phosphorylation de HuR par la kinase dépendante des cyclines (Cdk) 1 contribue à sa rétention nucléaire. Ce processus requiert l'association de HuR phosphorylé à 14-3-3θ (265). L'association des protéines 14-3-3 à la forme phosphorylée d'autres protéines qui lient les ARE semble d'ailleurs moduler la localisation de ces dernières. C'est le cas pour TTP phosphorylé qui se redistribue dans le cytoplasme subséquemment à sa liaison à plusieurs isoformes de 14-3-3 (62, 244). Inversement, la phosphorylation de KSRP crée un site de liaison pour 14-3-3δ, qui maintient KSRP au noyau (115). Ainsi, la séquestration d'une protéine, via sa phosphorylation, à l'intérieur ou à l'extérieur du compartiment où elle exécute normalement ses fonctions est une autre façon de contrôler l'expression post-transcriptionnelle des gènes.

1.3.1.4 Modulation de la stabilité

Enfin, il y a quelques évidences qui montrent que la stabilité des protéines liant l'ARN peut être régulée par phosphorylation. La phosphorylation de TTP, en plus d'inhiber sa liaison à l'ARN par le recrutement d'une protéine de type 14-3-3, contribue à sa stabilisation en empêchant sa dégradation par le protéasome (62, 212). Également, il a été montré que la phosphorylation de HuR par Chk2 ralentit sa dégradation cytoplasmique dépendante du système ubiquitine-protéasome, qui survient en cas de choc thermique (3). La phosphorylation contribue donc à la modulation des niveaux fonctionnels des régulateurs de l'expression génique post-transcriptionnelle et ce, en combinaison avec une autre modification post-traductionnelle qui est l'ubiquitination. Ces observations ne sont pas surprenantes puisque la phosphorylation des protéines peut parfois créer des sites reconnus par des ubiquitine ligases ou à l'inverse, cette modification peut empêcher la liaison d'ubiquitine ligases à leur substrat (226).