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Au début du XIXe siècle, la philosophie va s’intéresser à l’histoire. Non qu’elle n’apparaît pas avant dans la philosophie ; et particulièrement dans la philosophie politique ; mais elle sert souvent d’exemple ou de fondement pour une réflexion anhistorique sur les gouvernements et leurs institutions comme c’est notamment le cas chez Machiavel, Hobbes, Montesquieu ou Rousseau. Ce mouvement, dont on date souvent l’amorce avec Vico, prend toute son ampleur avec Hegel et va se poursuivre dans des pensées diverses jusqu’à Michel Foucault. L’histoire devient une préoccupation majeure en tant qu’ensemble de processus du devenir collectif dont il faut absolument connaître les lois ou au contraire leur absence. C’est cette manière de concevoir qui conduit la pensée de Tocqueville pour l’histoire est le devenir de la société vers une organisation égalitaire, démocratique ou autoritaire, ou celle de Hegel qui voit dans l’histoire l’expérience collective du devenir qui mène la pensée au savoir absolu. C’est aussi dans cette logique que va s’inscrire Marx dans la mesure où il conceptualise l’histoire comme un processus économique et politique qui résulte du mouvement dialectique du capital et de la lutte des classes qui la mène vers sa propre fin. Une importance de l’histoire apparaît aussi chez Nietzsche. Il lui consacre une de ses Considérations inactuelles et plus tard élabore une « généalogie de la morale » qui procède d’une démarche proprement historique. Chez Heidegger se pose le problème de l’historialité du Dasein est celui de l’histoire de la pensée occidentale comme histoire de la métaphysique et de l’oubli de la question de l’être à travers la technique comme démarche ontique. Il faut donc trouver, pour lui, le moyen de désobstruer la question de l’être à travers une analyse historique des concepts de la métaphysique pour arriver à ce que Heidegger caractérise comme un tournant qui mènera à la fin de la philosophie. Question de l’histoire qui va encore se poser chez Hannah Arendt ou Léo Strauss dans des démarches où analyses philosophiques et historiographie tendent à se confondre. Un problème similaire se pose dans les œuvres de Michel Foucault. Toutes ces démarches s’accompagnent d’une forte interrogation à propos de l’histoire de la philosophie et de l’histoire des sciences. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, l’histoire reste un cadre

général de la pensée philosophique.

Cette préoccupation est nécessairement accompagnée d’une forte interrogation sur le temps à l’exception de Marx. Agamben montre bien que la lacune de la théorie marxiste est de ne pas avoir su formuler une théorie du temps comme complément de la théorie de l’histoire dont elle est l’expérience collective88

. Hegel traite du temps dans La phénoménologie de l’esprit comme de la résolution dialectique des contradictions de l’espace. Le temps est au centre de la Dasein analyse de Heidegger. Bergson construit le concept de durée et, si, la phénoménologie husserlienne prend pour concept principal l’intentionnalité, elle n’en analyse pas moins le devenir et les problèmes de synthèse de l’expérience dans le temps à travers les concepts de rétention et de protention.

Cette importance de l’histoire qui sert de cadre à la philosophie a aussi une forte influence sur la pensée politique ; qu’il s’agisse de Hegel, de Marx, de Heidegger, de Hannah Arendt, de Léo Strauss ou de Michel Foucault. Mais au cours des années soixante-dix un changement d’orientation s’amorce. La philosophie va s’intéresser de nouveau à l’espace et particulièrement sous sa forme politique. Réapparaissent alors spécifiquement les notions de territoire, de limite et de frontière. Cette tendance va se développer sous la pression des problèmes majeurs de la politique et de l’économie contemporaine. Elle a donc un caractère éminemment politique. Or s’il y a un retour à l’espace, il n’existe pas de rapprochement entre philosophie et géographie tel qu’il a pu s’établir entre histoire et philosophie. Seuls Gilles Deleuze et Félix Guattari ont systématisé une telle relation sous le terme de

géophilosophie89.

Dans la mesure où nous nous revendiquons d’une démarche géophilosophique, il est donc nécessaire de clarifier ce que nous entendons par ce terme. Tout d’abord, il nous faut analyser comment certains concepts de Michel Foucault sont réutilisables dans une telle démarche. Si Foucault est dans un mouvement de compréhension historique, il représente une ouverture sur la possibilité de recentrer la philosophie sur

88 Cf. Georgio Agamben. Enfance et histoire.

une conception de l’espace. Il faudra ensuite préciser ce que Deleuze et Guattari définissent comme géophilosophie. Enfin clarifier les rapports que peuvent entretenir philosophie et géographie en tenant compte des précautions énoncées par Manola Antonioli : « Ce qui est en jeu dans une géophilosophie n’est pas une analyse des discours philosophiques sur l’espace en tant que “thème” ou “notion”, ni quelque chose comme une “épistémologie de la géographie” qui ferait de la géographie un objet d’étude pour le philosophe. »90

Ces trois problèmes nous permettront de définir ce qu’est une géophilosophie et de décider dans quelle mesure s’y intègre la question de la frontière comme problème proprement philosophique.