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L’espace discursif

II) Corps, signes et savoir-pouvoir

Pourtant le problème du système de signe va réapparaître dans Surveiller et punir. C’est sur ce problème que va se tracer la jonction entre l’archéologie des sciences humaines et ce qui va former la généalogie des pouvoirs disciplinaires.

La généalogie dans Surveiller et punir va analyser essentiellement un changement radical dans les pratiques pénales avec l’ouverture de la modernité. Passage des pouvoirs de souveraineté aux pouvoirs disciplinaires. Cette analyse d’un passage d’un mode de pouvoir à un autre n’est pas la première que pratique Foucault. Il avait déjà isolé une rupture entre la Renaissance et l’âge classique dans L’histoire de la folie à l’âge classique. Il reconnaîtra plus tard dans son cours au Collège de France Le pouvoir psychiatrique l’insuffisance de la démarche qu’il y pratique du fait d’une séparation insuffisante entre savoir et pouvoir. Cela implique t’il de remettre en cause la réalité de cette rupture. A première vue Surveiller et punir présente les pouvoirs de souveraineté comme une continuité homogène entre la Renaissance et l’âge classique. Notre problème est donc pour le moment de savoir si se détachement de Foucault par rapport à L’histoire de la folie à l’âge classique implique aussi un détachement avec l’idée du grand renfermement de l’âge classique ? Il s’agira aussi de décider si toute mutation de pouvoir est accompagnée d’un changement dans l’épistémè. Le changement de pouvoir analysé dans l’histoire de la folie à l’âge classique est parfaitement solidaire du changement épistémologique. Il s’agit d’un changement dans les procédures d’exclusion physique des corps qui découle directement du changement dans les modes d’exclusions discursives. Jeu du vrai et du faux sur lequel Foucault revient au début de l’ordre du discours qui se présente comme un texte de transition entre archéologie et généalogie. Foucault va maintenir les références au grand renfermement, même si son analyse va changer en 1973 avec son cours au Collège de France intitulé Le pouvoir psychiatrique. Si les méthodes

d’analyses changent, l’événement est maintenu. Mais il s’agit d’une modification du pouvoir qui existe comme répercutions des transformations discursives. C’est le passage du raisonnable au rationnel dans le discours sur la folie qui va configurer l’espace asilaire. S’il y a un événement avec le passage du modèle de contrôle de la lèpre à celui de la peste qui constitue l’asile, il est d’ampleur mineure par rapport à la naissance de la prison. C’est un événement qui perturbe les pratiques de souveraineté sans les briser. Il découle seulement de la profonde solidarité entre savoir et pouvoir.

L’événement qui préoccupe Foucault est celui qui permet le passage de l’âge classique à la modernité. Un autre problème est de savoir si l’événement qui assure le passage d’une épistémè à une autre est le même que celui qui assure le passage de la souveraineté aux disciplines. La question qui se pose est de savoir si des événements différents peuvent avoir des effets déséquilibrés sur les savoirs et les pouvoirs. Le premier point est l’éclairage que Foucault apporte à l’événement dans Les mots et les choses et celui de Surveiller et punir sont du même ordre. Ils consistent en une analyse de surface qu’il ne peut que pointer. Don Quichotte dans le savoir comme crise du signe, Descartes et la critique de la ressemblance. Pour ce qui concerne les pouvoirs : remplacement de l’arquebuse par le fusil et une crise des pratiques juridiques dans les années qui précédent la Révolution Française. Cependant ce parallélisme d’approche n’est pas suffisant pour affirmer qu’il s’agit d’un événement unique. Cela nous permet d’affirmer qu’une même conception de l’événement se conserve de Les mots et les choses à Surveiller et punir. Il semble aussi qu’il nous faille supposer l’existence de deux événements simultanés d’égale importance affectant respectivement les formations discursives et les stratégies de pouvoirs. Nous avons supposé un déséquilibre entre savoir et pouvoir dans le passage de la Renaissance à l’âge classique. De même si un seul événement avait eu lieu dans l’ouverture de la modernité nous pouvons supposer qu’il apparaitrait le même type de déséquilibre. Une même dissymétrie existera dans l’analyse qu’il fera de la naissance des biopouvoirs. La transformation principale s’effectuera dans les pratiques des pouvoirs et aura ensuite une influence dans les savoirs dans le sens d’une intensification de l’importance de l’économie politique. Donc si le passage à la modernité a une telle importance dans l’œuvre de Foucault c’est qu’il représente une double genèse. Deux événements d’une même ampleur viennent former un nœud de conséquences qui s’entretiennent mutuellement.

C’est à partir de cet événement redédoublé que l’on peut analyser le rôle du système de signe dans l’archéologie et dans la généalogie.

Cependant, il faut expliciter comment se présente se système de signe dans

Surveiller et punir. Mais il faut d’abord reprendre la description des changements que représente le passage de des souverainetés aux disciplines. C’est d’abord le passage d’une pénalité organisée autour de la punition et du supplice à une pénalité qui vise le redressement et l’orthopédie sociale. Le modèle général des disciplines est le

panoptique de Bentham. Il s’agit de deux organisations de technologie d’application du pouvoir profondément incompatibles. Cependant, elles cumulent des modes d’application communs à toutes les formes de pouvoir. Les pouvoirs visent les corps à travers un certain savoir au sein d’une économie des forces. La différence va être effective dans la manière dont disciplines et souveraineté captent le corps suivant les modalités des savoirs qu’ils utilisent, et suivant l’organisation stratégique des micro-pouvoirs qui fondent cette économie des forces.

Le modèle des pouvoirs de souveraineté est celui de la monarchie absolue qui possède un droit juridique absolu à la punition. Modèle juridique qui implique une vision du corps comme espace d’application de la punition. Or, la punition prend toujours la forme du supplice et se présente comme l’exercice de la force du roi par la douleur. Le supplice impose un savoir anatomique comme « savoir quantitatif de la souffrance » qui permet de reculer la mort pour laisser place à une plus grande longueur du supplice. Ce savoir dans son rapport au pouvoir implique une compréhension du corps comme un fait massif dans un jeu de force qui de résout dans la violence. Foucault illustre cette compréhension du jeu de force par l’organisation militaire. Chaque régiment de piquiers, de cavaliers ou d’arquebusiesr est considéré comme un bloc possédant une certaine capacité de dégât et de résistance. C’est dans ce schéma que s’opère la compréhension juridique du corps.

C’est aussi ce schéma qui va profondément changer dans les techniques disciplinaires. Foucault trouve ce changement dans l’analyse de l’organisation militaire. Le phénomène important est l’apparition du mousquet. Les blocs se défont pour devenir un système réglé d’articulation de singularités somatiques qui les

composent. Tout le problème des disciplines est d’organiser les moyens de cette combinaison de forces. Par conséquent, Le corps ne peut plus être compris comme une masse compacte, les savoir anatomiques et juridiques ne peuvent plus être efficaces. C’est dans la mesure où les forces deviennent combinatoires qu’il faut organiser les corps en fonction de normes dans l’espace et le temps. Ce qui est visé à partir de ce moment c’est un comportement individuel dans ses caractères productifs et dociles. Le corps n’est plus ce qui doit être puni, il est ce centre des forces productives qu’il faut augmenter et des capacités résistance qu’il faut, sinon anéantir, du moins réduire à leur minimum. Dans cette perspective vont se constituer les dispositifs de surveillance et d’enregistrement. C’est au sein de ces dispositifs que vont se développer les savoirs normatifs tels que la criminologie ou la gestion individualisée de dossiers.

L’enjeu du corps est bien un problème de forces, mais il est aussi un problème de signes. Le corps est entouré d’un système de signe, car il est objet de signe. Par ce problème, Foucault rejoint au plus prés le problème du châtiment tel que l’aborde Nietzsche dans la première dissertation de La généalogie de la morale. L’une des questions centrales de Surveiller et punir est de savoir comment le corps se transforme en signe. C’est cette interrogation du système de signe qui nous permettra de formuler la symétrie qui existe avec l’archéologie des sciences humaines.

Si le problème du signe est posé avec évidence dans l’analyse de l’épistémè, sa présence est plus discrète dans l’analytique des pouvoirs. Cependant Foucault ne cesse d’y ramener le problème du corps. Comme pour le problème des rapports et des usages des forces, la capture sémantique du corps va subir des transformations importantes. Avec les pouvoirs de souveraineté le signe va s’appliquer au corps dans la punition, avec les disciplines le signe va être extrait du corps à travers les dispositifs de surveillance et d’enregistrement.

Là encore, il faut reprendre les analyses que Foucault fait des signes. D’abord c’est le supplice qui intéresse Foucault. « Le supplice est une technique et il ne doit pas être assimilé à l’extrémité d’une rage sans loi. »272

Sa première caractéristique est