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Les différentes phases d’altération biochimique du poisson post mortem

1. Les trois phases de la rigor mortis

Classiquement, 3 phases sont discriminables post mortem. La première phase, prerigor, a lieu dans les premiers instants après la mort. Le muscle est souple, détendu et élastique durant en moyenne 1 à 6 heures. Suivant l’espèce, les conditions de l’abattage et la température de conservation, intervient ensuite la deuxième phase : la rigormortis. Durant ce stade, le muscle est tendu, dur et en contraction. Cet état de rigidité cadavérique dure en moyenne 24 heures ou plus selon l’espèce de poisson. La dernière phase, post rigor, apparaît ensuite. Le muscle redevient souple mais perd en élasticité par rapport à l’état de pre rigor. Il est conseillé habituellement de fileter le poisson soit en phase de prerigor ou postrigor, la chair étant plus souple. En rigor mortis, le filetage est plus dur et peut engendrer des cassures ou déchirures du filet. De même, il est conseillé de cuire et consommer la chair de poisson une fois l’étape de rigor mortis finie. En effet, lorsqu’on cuit le filet à l’étape de pre rigor, la texture de la chair est molle et pâteuse. A l’étape de rigor mortis, elle devient dure mais pas sèche. Immédiatement après la mort, le muscle du poisson est souple et élastique. (Huss, (1999)). Ces étapes s’expliquent d’un point de vue biochimique. En effet, deux types d’altération vont se dérouler post mortem : l’altération autolytique endogène et l’altération bactérienne (Abbas

et al., (2009)).

Ces travaux de thèse ont pour but d’étudier des marqueurs moléculaires précoces de fraîcheur, autrement dit les changements de la physiologie cellulaire durant les premiers jours de conservation du filet de poisson. Par conséquent, ce chapitre décrira plus particulièrement les mécanismes connus de l’altération autolytique qui se déroulent durant les premiers jours de conservation post mortem du poisson.

2. Altération autolytique

Lorsque le poisson est vivant, celui-ci produit l’énergie nécessaire au fonctionnement de son organisme grâce à deux éléments essentiels : l’oxygène et le glucose. Le glucose est apporté par l’alimentation et l’oxygène par les branchies. Il existe deux voies possibles pour synthétiser la molécule riche en énergie qu’est l’adénosine triphosphate (ATP) par conversion de l’ADP : une voie aérobie et une voie anaérobie. L’étape anaérobie se déroule uniquement dans le cytosol des cellules. Le catabolisme du pyruvate et le cycle de Krebs sont impossibles. Toutefois, le glucose est transformé en pyruvate par une série de réactions en chaîne. Cette transformation appelée glycolyse ou voie d’Embden-Meyerhoff permet la synthèse de pyruvate, de deux molécules d’ATP et de deux molécules de NADH, H+. Le pyruvate est

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ensuite transformé en lactate nécessitant un NADH, H+. Le rendement de la glycolyse anaérobie et donc du métabolisme anaérobie est faible car la dégradation d’une molécule de glucose en anaérobie génère seulement deux molécules d’ATP. Par contre, en condition aérobie, le pyruvate produit alimente le cycle de l’acide citrique (cycle de Krebs, (1970)) s’effectuant dans la matrice mitochondriale. L’ensemble des molécules produites dans le cycle de Krebs va ensuite participer à la chaîne respiratoire et la phosphorylation oxydative. Cette dernière va permettre la synthèse de trente-six molécules d’ATP, mais aussi d’eau et de dioxyde de carbone (Figure 5 ci-dessous). Le rendement du métabolisme aérobie est donc beaucoup plus important que le métabolisme anaérobie (36 ATP contre 2 ATP).

Figure 5 : Réactions de synthèse de l’ATP.

Les flèches en noir gras indiquent les réactions qui subsistent après la mort de l’organisme (d’après Monin, (1988))

A la mort de l’organisme, il n’y a plus d’apport en oxygène et nutriments. Les seules voies possibles pour produire de l’énergie en condition anaérobie sont la dégradation du glycogène (glycolyse anaérobie), la réduction de la créatine-phosphate et la phosphorylation de l’ADP (Pawar et Magar, (1965)). Etant donné le rendement faible de ces trois voies et le non renouvellement du stock de glycogène, les ressources en ATP vont diminuer rapidement (10 mmoles/g à 1 mmole/g de tissu (Huss, (1999)) voire 1 à 2 µmol/g de tissu (Iwamato et al., (1988)). L’organisme entre ensuite en rigor mortis. Un poisson fatigué et mal nourri rentrera plus rapidement en phase de rigor mortis. Les filaments d’actine et de myosine vont s’interconnecter irréversiblement et former l’actomyosine inextensible (Adelstein et Eisenberg, (1980)). Le mécanisme qui aboutit à la fin de la rigormortis est encore mal connu et reste à explorer. Toutefois, les cathepsines et les calpaïnes semblent jouer un rôle dans la fin de la rigor mortis en dégradant des protéines de fibres musculaires telles que l’actine et la

45 myosine (Ladrat et al., (2003), Ayala et al., (2010), Ahmed et al., (2015)). L’accumulation de lactate post mortem due à la glycolyse anaérobie va provoquer une acidification du muscle et engendrer par la même occasion une diminution de la valeur du pH. Toutefois, cette diminution de pH reste faible chez le poisson étant donné les plus faibles quantités de glycogène présentes par rapport aux mammifères (Huss, (1995)).

En phase de prerigor, l’ATP va subir une série de dégradation par les ATPases. L’activité de ces dernières est augmentée par un milieu acide (baisse du pH) et une forte concentration de calcium dans le milieu intracellulaire. L’ATP va être successivement dégradée en adénosine diphosphate (ADP), adénosine monophosphate (AMP), inosine monophosphate (IMP), inosine (Ino) et hypoxanthine (Hx). L’Hypoxanthine est ensuite dégradée en xanthine et acide urique. La dégradation de l’ATP en IMP est très rapide et elle est classiquement attribuée aux enzymes endogènes du muscle. La synthèse de l’hypoxanthine à partir de l’IMP est, quant à elle, plus longue et elle est attribuée aux bactéries (Surette et al., (1988)). Toutefois, en condition stérile, il a été montré que la dégradation de l’IMP était identique (Uchiyama et Ehira, (1974), Tejada, (2009)). La vitesse de dégradation des divers catabolites de l’ATP dépend fortement de l’espèce de poisson. Le déclin de l’ATP va participer à l’inhibition des pompes calciques. Ceci va engendrer une perturbation de l’homéostasie du calcium provoquant une forte accumulation du calcium dans le sarcoplasme. Dans les conditions d’ischémie-reperfusion, il a été démontré que la perte de l’homéostasie du calcium joue un rôle important dans les lésions cellulaires (Dong et al., (2006)). Or, après la mort, la cellule se retrouve dans des conditions semblables à l’ischémie. Par conséquent, les mécanismes observés en ischémie peuvent être semblables à ceux retrouvées post mortem dans une cellule musculaire de filet de poisson. L’altération autolytique implique également des enzymes protéolytiques telles que les cathepsines, les calpaïnes, les oxydes de triméthylamine (OTMA) déméthylases et les collagénases. L’activité des calpaïnes et des cathepsines sont dépendantes des concentrations de calcium sarcoplasmique. Les fortes concentrations de calcium sarcoplasmique post mortem vont participer à l’activation des protéases calpaïnes et cathespines. La cathepsine L, en particulier, est connue pour digérer les protéines myofibrillaires (actomysine) et le tissu conjonctif (Huss, (1999)). Ceci engendre une dégradation du tissu et son relâchement. Les calpaïnes sont responsables de la digestion des protéines z des myofibrilles. Les calpaïnes de poisson sont également connues pour dégrader la myosine (particulièrement les hélices alpha des chaînes longues de myosine) à basse température. Les collagénases, quant à elles, sont impliquées dans la destruction du myotome

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durant un stockage de longue durée sous glace contribuant ainsi à une déchirure du filet (Hernández-Herrero et al., (2003)). L’OTMA déméthylase dégrade l’oxyde de triméthylamine (OTMA) en diméthylamine (DMA) et formaldéhyde. Ce dernier est responsable d’un durcissement de la chair et d’une perte de rétention d’eau (Gill et al., (1979)). La perturbation de l’homéostasie ionique (augmentation du calcium sarcoplasmique) et l’acidification du muscle vont également participer à l’altération des organites tels que les mitochondries, les lysosomes et le réticulum sarcoplasmique. L’altération de ces organites va mener à leur lyse et par conséquent à la libération d’ions (calcium par exemple) et de molécules qui vont participer à la lyse cellulaire (Ahmed et al., (2015)). Par exemple, dans le cas des mitochondries, tout comme dans les mécanismes d’ischémie, le calcium sarcoplasmique, en excès, va intégrer la matrice mitochondriale.

Figure 6 : Schéma résumant les changements post mortem dans la chair de poisson (d’après Hamada-Sato et al., (2005))

Il perturbe ainsi les fonctions et l'intégrité mitochondriales en engendrant une perméabilisation des membranes aboutissant au gonflement des mitochondries. Ceci provoque la libération, dans le sarcoplasme, de facteurs induisant la mort cellulaire et d’ions calcium en excès (Dong et al., (2006)). Autre exemple, l’altération des membranes lysosomiques, due à l’acidification du milieu, va induire une augmentation de la libération de cathepsines dans le cytosol (Dutson, (1983)). Chez la daurade royale, la mitochondrie et le réticulum

47 sarcoplasmique présentent un aspect gonflé au bout de 3 heures post mortem. A 24 heures, les crêtes mitochondriales sont altérées. Après 5 jours, les mitochondries ont des crêtes plus allongées et une matrice à l’aspect blanchâtre et clairsemé. Le réticulum présente de petits cristaux à la périphérie et des vacuoles autophagiques sont visibles (Ayala et al., (2010)). Ces changements sont également observables chez le bar commun 3 heures post mortem (Ayala et al., (2005)). Pour le thon rouge (Thunnus thunnus), après 5 jours de conservation à 4°C, les mitochondries sont gonflées, les crêtes ont disparu et la structure générale est altérée (Roy et al., (2012)).

L’ensemble des réactions d’autolyse post mortem dans la cellule musculaire de poisson est schématisé par la Figure 6 page 46 et la Figure 7 ci-dessous. La phase d’altération du muscle de poisson imputée à l’activité bactérienne va ensuite succéder aux altérations autolytiques.

Figure 7 : Du changement biochimique aux changements structural et textural post mortem dans une cellule musculaire de filet de poisson

(d’après des images libres de droit)