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Le phénomène de sortie de boucle correspond à un état de performance dégradé des opérateurs lors des interactions avec des systèmes fortement automatisés. Cet état a été très étudié par la communauté travaillant sur les facteurs humains à travers notamment les problématiques de contrôle. À partir de la théorie du cycle perceptuel, ou cycle perception-action, Neisser [161] a proposé que le rassemblement de l’information permettant d’arriver à l’état désiré est un processus cognitif dynamique de haut niveau qui se réajuste en ligne à l’aide de feedbacks comparant l’état actuel et l’état désiré, et implémente des mesures correctives si nécessaire. Cette boucle de contrôle implique donc que l’humain opère sur le système afin d’être considéré comme étant "dans la boucle". Lorsque c’est un système automatisé qui déclenche les stratégies correctives, les processus de bas niveau (telle l’im-plémentation des actions) sont effectués par ce système, tandis que les processus de haut niveau (telle la détection de défaillances) sont laissés à l’opérateur. La boucle de contrôle et le cycle perception-action sont rompus. L’opérateur est donc "en dehors de la boucle" (out-of-the-loop).

Il a été montré que l’automatisation, et la sortie de boucle, modifiait drastiquement les capacités des opérateurs pour la prise de décision, la sélection et l’analyse d’informations [184]. Plusieurs processus cognitifs sont impactés par le phénomène de sortie de boucle lors des interactions avec les systèmes automatisés. Notamment, une perte de la conscience de situation a été mise en évidence lorsque l’opérateur est en dehors de la boucle de contrôle du système [72]. Sa perception s’en retrouve réduite. Il en est de même de sa vigilance et de son attention du fait de :

— l’incapacité des opérateurs humains à maintenir leur attention dirigée durant de longues périodes de temps [55, 154] ;

— une sur-confiance et une complaisance envers des systèmes souvent extrêmement fiables [180] ;

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— l’opacité des systèmes qui empêche les opérateurs de comprendre ou prédire les actions à venir [129].

Cette modification a engendré de nombreuses difficultés pour les opérateurs humains, ca-ractérisées par une incapacité à percevoir les erreurs du système et à reprendre en main le système en cas d’incident. De nombreuses études d’ingénierie cognitive ont analysé ce phénomène de sortie de boucle afin de déterminer les mécanismes impliqués dans son émergence.

Malheureusement, les différents concepts introduits manquent en général cruellement de détails quant aux processus psychologiques à l’œuvre lors du phénomène de sortie de boucle, manque souligné notamment par Billings [17] (cité par [60]) :

"The most serious shortcoming of the situation awarness construct as we have thought about it to date, however, is that it’s too neat, too holistic and too seductive. We heard here that deficient SA was a causal factor in many airline accidents associated with human error. We must avoid this trap : deficient situation awarness doesn’t cause anything. Faulty spatial perception, diverted attention, inability to acquire data in the time available, deficient decision-making perhaps, but not a deficient abstraction !"

Il ressort que la problématique du phénomène de sortie de boucle, bien qu’étudiée, n’a pas été définie eu égard des mécanismes cognitifs la sous-tendant. Or, il semble que différents champs des neurosciences cognitives pourraient aider à mieux appréhender le phénomène de sortie de boucle, en s’intéressant aux processus cognitifs engagés et à leur dégradation. L’une des caractéristiques du phénomène de sortie de boucle est l’incapacité à détecter correctement les erreurs du système, puisque notamment, la boucle de feedback sur les actions en cours n’est plus présente. Il est donc pertinent de mettre en regard les théories de prise de décision et de monitoring des performances, avec les problématiques opéra-tionnelles observées lors de la sortie de boucle.

Pour finir, quelques études ont tenté d’adresser ce problème à travers des concepts issus des sciences cognitives. Deux aspects ont été étudiés principalement : la divagation attentionnelle [40] et la charge mentale (voir Borghini et coll. [19] pour une revue). Cepen-dant, la majorité d’entre elles sont restées sur des concepts globaux, regroupant plusieurs processus cognitifs différents.

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Résumé : Automatisation et phénomène de sortie de boucle

Dans de nombreux secteurs, les technologies d’automatisation ont supplanté partiellement ou totalement l’homme. Malgré les bénéfices perçus, cette auto-matisation a profondément modifié nos interactions avec ces technologies et le rôle de l’opérateur, en le reléguant à un rôle de superviseur de ces systèmes au lieu d’un rôle d’exécutant. Cette modification de l’activité des opérateurs est à la base du phénomène de sortie de boucle qui se traduit notamment par un retrait des opérateurs de la boucle de contrôle des systèmes. Ce phénomène s’observe particulièrement lors d’interactions avec des systèmes extrêmement fiables et fortement automatisés dans des situations complexes.

Les études permettant de mieux comprendre cette problématique opérationnelle restent limitées et ne permettent pas d’identifier les mécanismes cognitifs sous-jacents. Mieux comprendre ces mécanismes mis en jeu et dégradés lors de la sortie de boucle constitue donc un préalable pour mieux appréhender ce phénomène.

Chapitre 4

Problématique du travail de thèse

Dans ce chapitre, nous présentons les questionnements soulevés pour déterminer in fine les corrélats neuro-fonctionnels du phénomène de sortie de boucle lors de la supervi-sion de système automatisé eu égard de l’état de l’art sur le monitoring des performances et son évolution avec l’automatisation. Chacune de ces questions peut être mise en regard des chapitres expérimentaux qui tentent d’y répondre.

Dans le but de passer de l’étude des corrélats neuronaux du monitoring de nos propres performances à ceux de la dégradation des performances de supervision lors du phénomène de sortie de boucle, il est nécessaire de déterminer :

1. Comment l’activité de monitoring des performances évolue dans des tâches de la-boratoire plus complexes, lors de la supervision de nos propres performances ; 2. Comment l’activité de monitoring des performances évolue lors de tâches de

super-vision, plus ou moins complexes ;

3. Si l’activité de supervision d’un système automatisé diffère de celle d’un agent hu-main ;

4. Comment l’activité de supervision évolue dans des tâches plus écologiques ;

5. Comment l’activité de supervision se dégrade et se caractérise lors du phénomène de sortie de boucle.

Différentes études en EEG ont été menées au cours de cette thèse afin de répondre à chacune de ces questions. Elles sont décrites chronologiquement ci-après. Certains des questionnements soulevés ont déjà fait l’objet d’étude dans la littérature mais l’applica-bilité des résultats obtenus aux situations de la vie courante notamment reste limitée. La méthodologie employée dans chacune des études est donc justifiée au regard de cette littérature.

4.1 Étude 1 – Impact de la difficulté d’une tâche sur le

monitoring des performances

Dans le cadre de cette thèse, nous avons souhaité pouvoir étudier in fine comment le processus de monitoring des performances évolue lors d’interactions avec des systèmes automatisés et fiables dans des situations complexes de la vie courante. Nous nous sommes donc interrogés sur la manière dont l’activité de monitoring des performances évolue dans des tâches plus complexes, lors de la supervision de nos propres performances, dans un premier temps puis lors du monitoring des performances d’un autre agent, humain ou système.

Ch. 4 : Problématique de thèse Bertille Somon

La première étude de la thèse a consisté en l’étude de l’impact de la difficulté d’une tâche sur l’activité cérébrale liée au monitoring de nos propres performances. À des fins de comparaison avec la littérature, nous avons fait le choix de débuter ce questionnement en utilisant une version modifiée d’une tâche standardisée de laboratoire classiquement utilisée dans la littérature pour étudier le processus de monitoring des performances, à savoir la tâche d’Eriksen. Cette tâche consiste à identifier l’orientation d’une flèche cible (ici vers le haut ou vers le bas) le plus rapidement et justement possible. Afin de maximiser les erreurs, une pression temporelle sur la réponse des participants a été appliquée. En outre, deux niveaux de difficulté ont été considérés. Dans la condition facile, seule la cible était affichée à l’écran tandis que dans la condition difficile, la flèche cible était entourée (au-dessus et en dessous) de distracteurs correspondant à d’autres flèches orientées dans le même sens (congruent) ou dans le sens opposé (incongruent) à celui de la cible. Au regard de la littérature sur le monitoring des performances, nous avons fait le choix de manipuler la difficulté perceptuelle plutôt que la difficulté au niveau de la prise de décision (i.e. manipulant le nombre d’associations stimulus-réponse) qui a déjà été utilisée dans la littérature [229] et ce, pour une meilleure extension des résultats aux contextes de tâches complexes les plus couramment rencontrés en situation réelle dans le domaine d’étude de cette thèse.

De plus, il doit être noté que le monitoring des performances ne se limite pas au moni-toring des réponses mais s’étend également au monimoni-toring des feedbacks des réponses. Bien que le processus de monitoring des performances ait été largement étudié (pour revues voir [216, 92]), quelques questionnements restent en débat, notamment sur la relation fonctionnelle entre les activités liées aux réponses (décisions d’action) et celles liées au feedback, et sur leurs rôles relatifs. Peu d’études ont caractérisé ces deux types d’activité dans un même protocole. Dans le cadre de la thèse, mieux comprendre le rôle fonctionnel de chacune de ces différentes activités peut permettre de mieux comprendre, par la suite, les activités liées à la supervision d’autrui sans contrôle moteur du superviseur, et en regard de l’adéquation des réponses de l’agent supervisé (données en feedback dans une tâche de supervision) et des attentes du superviseur définies sur la base de son propre traitement de l’information (propre réponse mentale du superviseur). De plus, une étude suggère que le traitement du feedback eta fortiori les conséquences de ce feedback sur les performances de tâche sont modulés par la difficulté de tâche [142]. Toutefois, des incon-nues subsistent sur le rôle de la difficulté de la tâche dans les activités liées au feedback. Ainsi, afin d’estimer l’impact de la difficulté d’une tâche sur l’ensemble des activités liées au monitoring des performances : au moment de la réponse (ERN et Pe), et du feedback (FRN et P300), nous avons ajouté dans la tâche d’Eriksen utilisée un feedback sur la performance du participant à la fin de chaque essai (réponse correcte ou erronée).

Cette première étude est présentée dans le chapitre 6.

4.2 Étude 2 – Corrélats neuraux de la supervision et