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CHAPITRE V : INTERPRETATION DES RESULTATS

6- Le phénomène de la sorcellerie

Le nganga est le seul à découvrir une action sorcière par la divination. La sorcellerie est un « pouvoir maléfique qui permet à la personne qui le

détient de rendre malade ou faire mourir sa victime en s’emparant de son principe vital » (Dictionnaire de l’Académie française). Laurent Dousset indique que « la sorcellerie, en Papouasie Nouvelle-Guinée, au Vanuatu,

comme […] en Afrique subsaharienne, reste de grande actualité et demeure un problème pour les forces de l’ordre, les appareils judiciaires et plus

généralement pour ces Etats » (2018, p.140). Car, le but de la sorcellerie est de faire le mal à autrui. Les systèmes judiciaires des pays d’Afrique centrale définissent la sorcellerie comme un délit et un crime sanctionné par la loi :

« sera puni […] quiconque aura participé à une transaction commerciale ayant pour objet l’achat ou la vente d’ossements humains ou se sera livré à

des pratiques de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou à la

propriété » (Sandra Fancello, 2015, p.49). Cependant, les phénomènes de sorcellerie ne sont pas de l’ordre matériel. Car, « il n’a jamais été possible de voir un sorcier en action […] Le sorcier finit par exister au travers d’un

discursives qui lui donnent corps et qui le définissent, et finalement

l’identifient parmi les siens » (Dousset, 2018, p.144). Dans certaines langues bantoues des pays d’Afrique Centrale le sorcier est appelé « Ndoki », et la

sorcellerie, « Kindoki ». On ne confond pas le sorcier avec le guérisseur. Ce qui caractérise le sorcier c’est la malfaisance tandis que le guérisseur, c’est

la bienfaisance. Bien qu’opposés l’un à l’autre, le guérisseur par la divination décèle les mécanismes de la sorcellerie et protège les personnes contre elle. Toutefois, « tout le monde peut être attaqué par les sorciers, tout le monde

peut être soupçonné d’être sorcier » (Ortigues, 1985, p.198). En tout état de cause « la sorcellerie relève d’une conception du mal entendu comme une force persécutive qui vient de l’extérieur » (Ibid. p.202). Dans cette optique,

la sorcellerie est invoquée paradoxalement pour tout malheur comme pour toute réussite.

6.1- Le portrait du sorcier

Il est admis que la sorcellerie est une action mauvaise qui ne vient pas d’un esprit mais d’un être humain. Dans ce sens, il est un être mauvais.

Un sorcier est une « une personne possédée d’une force maléfique qui, indépendamment de sa volonté, s’empare du principe vital de sa victime

pour le ‘manger’ ou une personne qui a la réputation de jeter un sort sur quelqu’un ou de l’empoissonner à distance » (Dictionnaire de l’Académie

substance vitale (manger la viande des autres) et à retirer à la victime toute

force et toute vie (même si elle continue à vivre en apparence comme un zombie) » (Ibid.). Le sorcier est un individu qui s’attaque à la force vitale

des autres. Marie-Cécile et Edmond Ortigues soulignent que « c’est le double du sorcier qui, invisible, dévore le double de sa victime. Quand une

personne se croit victime d’un sorcier, elle se sent vidée de l’intérieur... Le sorcier peut se transformer en animal pour faire peur à sa victime et lui prendre sa force vitale » (1985, p.196). Le sorcier est un être « invisible »

parce qu’il ne peut faire l’objet d’une représentation visuelle (il agit la nuit, dans le dos de la victime, durant son sommeil…). Il marque une rupture par rapport aux modes de la perception ordinaire. Laurent Dousset donne

le portrait-robot sociologique du sorcier sous trois formes : morphologie, posture sociale et mode d’action (2018, p.239-242).

Premièrement, la morphologie. « Le sorcier est un humain reconnaissable. Il peut se trouver au beau milieu des autres, au sein de la famille, et manger avec elle sans que les autres ne se doutent de rien. Par

sa capacité à communiquer avec certaines espèces naturelles et les esprits, et par sa capacité à manipuler les substances humaines et non humaines

dangereuses, sa morphologie n’est toutefois pas constante. Il peut devenir invisible. Il peut se transformer en requin, en chauve-souris, en insecte

volant au crépuscule ». On pense que grâce à sa morphologie changeante il peut transformer sa victime en zombie. La « métamorphose de la victime en animal ou en zombie » est une forme de sorcellerie qui vise à

utilisant son corps, son principe psychique et sa force vitale ». Le terme

zombie vient d’Haïti qui correspond à « un esprit fantôme qui, volé au cadavre au moment de sa mort, circule, détaché d’un corps, comme une

âme errante. Il peut être de forme humaine ou n’avoir aucune forme particulière, comme un nuage animé. [Le zombi c’est aussi un] individu à

qui un poison a été administré, qui le met dans un état cataleptique. On le fait alors passer pour mort et on l’enterre, avant de l’exhumer du cimetière deux ou trois jours plus tard pour le produire comme zombi » (Charlier,

2018, p.12). Cette forme est très fréquemment évoquée chez les Likouala dans les cas de disparition totale d’un individu dans les forêts, des plaines et dans l’eau.

Deuxièmement, la posture sociale. « Le sorcier est pensé socialement désintéresser, pour ne pas dire désocialisé. Seule sa personne compte.

Parfois, il peut ne pas agir de son propre chef et ne pas être celui qui désigne la victime. Il s’exécutera alors sur demande d’une autre personne qui le rétribuera pour ses services. Dans ce cas, au contraire de ses

ordonnateurs, le sorcier lui-même se comporte comme s’il était situé en dehors de la parenté, libéré des contraintes et obligations associées. Il se

distancie de son groupe, émotionnellement comme socialement. Il perd l’empathie pour ses proches. Il devient un quasi-étranger qui ne se soucie

plus de ceux qui pourtant possèdent des corps et des histoires semblables au sien. La prise de distance émotionnellement et psychologique par rapport à son propre groupe de confiance se répercute sur sa posture et

sorcier prend part à des retrouvailles « sabbatique et anthropophagique

du ventre » (Dousset, 2018, p.70). Dit-on que : « les sorciers se réunissent la nuit, sur les arbres ou à un carrefour, pour manger ensemble de la chair

humaine… On affirme les assemblées nocturnes de sorciers » (Ortigues, 1984, p.196).

Troisièmement, le mode d’action. « Le sorcier dispose de divers

modes d’action pour nuire et détruire, mais deux de ses modes sont prototypiques : la vidange corporelle et l’empoisonnement à distance ou

en présence. La vidange corporelle suit généralement le procédé suivant. Le sorcier attire sa victime, la tue par un moyen ou un autre (souvent par

l’empoisonnement ou l’étranglement), la vide de ses entrailles, la remplit de végétaux, recoud le corps et renvoie sa victime mais sans souvenirs mourir chez elle. L’empoisonnement prend plusieurs formes. Il peut se

faire à distance en jetant un sort, ou par l’ingestion de substances toxiques, les potions sont toujours un mélange de substances végétales et de parties humaines de la victime ou d’un de ses proches décédés : des cheveux, des

os, du sang, des entrailles. Les potions sont pensées brûler et consommer l’intérieur des corps. Les gens évoquent une forme de cannibalisme

intérieur. Qu’elle ait lieu à distance ou par ingestion, la pénétration corporelle est toujours nécessaire. Le sorcier élimine ses victimes en

travaillant sur l’intérieur du corps et non à sa surface ». On pense ici à un système de représentation de la sorcellerie d’« agression et d’envoûtement [en] usant de projectiles invisibles (aiguilles, flèches, lances, fusils…),

leurs victimes » (Ibid.). On pense que les victimes de cette forme de

sorcellerie portent souvent les maladies incurables qui les conduisent à la mort. Les victimes meurent à petit feu.

Thème II : La fonction thérapeutique du nganga

Le terme nganga signifie guérisseur, tradipraticien, thérapeute ou tradithérapeute. Ce terme signifie aussi sa fonction principale, celle de

sauver les vies. « En Afrique noire, la maladie s’inscrit de toute nécessité dans un contexte culturel ethnographique. Les méthodes de diagnostic et

de soins, les plantes médicinales, tout cela obéit à des traditions précises et vient des temps reculés » (Obenga, 1985, p. 196). Le nganga ne soigne pas sans poser au préalable un diagnostic. Il s’agit de rechercher la cause du

mal, de la souffrance ou de la maladie. Cette recherche s’appuie sur les théories étiologiques.