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“Non, la science n'est pas une illusion Mais ce serait une illusion de croire que nous puissions

1.2. Pourquoi étudier le système hafnium-tungstène ?

1.2.5. Perturbations du système 182 Hf 182 W

En plus des anomalies nucléosynthétiques et des effets cosmogéniques mentionnés jusqu’ici, d’autres processus peuvent affecter les radiochronomètres en général, et le chronomètre 182Hf-182W en particulier. Il s’agit de processus internes au corps considérés : le métamorphisme thermique et l’altération aqueuse.

Métamorphisme thermique

Nous avons rapidement mentionné (partie 1.1), que les radiochronomètres datent la dernière équilibration d’un système. En d’autres termes, ce qui est enregistré, c’est l’âge de la fin du dernier événement permettant la diffusion des éléments d’un système isotopique. Dans le cas du système 182Hf-182W, nous daterons par exemple la fin de

l’épisode pendant lequel métal et silicates pouvaient échanger des atomes de W. La diffusion entre deux phases est considérée comme ne pouvant plus se faire lorsque la température du système descend au-dessous d’une température critique (Dodson, 1973). En effet, la vitesse de diffusion d’un élément dépend beaucoup de la température : plus un corps est froid et moins la diffusion est rapide. La température critique de diffusion dépend du système étudié car la forme, la nature et la taille des cristaux rentrent en ligne de compte dans son estimation, de même que la vitesse de refroidissement. La diffusion du W entre les différentes phases porteuses entraine une équilibration des compositions isotopiques. Cela signifie que, tant que le système est ouvert et que les différents isotopes peuvent diffuser, la composition isotopique en ε182W est la même dans toutes les phases en équilibre. A partir du moment où le système passe en- dessous de la température critique, la diffusion devient très lente par rapport à la vitesse d’accumulation d’isotopes fils (ex : 182W) par désintégration radioactive d’un isotope père (ex : 182Hf).

Pour le W, des températures critiques de ~870 K ont été estimées pour les eucrites basaltiques (Kleine et al., 2005b). Une étude plus récente concernant les chondrites ordinaires de type H (Kleine et al., 2008) montre que la température de fermeture dans ces échantillons est autour de 1000 K (chondrites H4), 1100 K (H5) ou 1150°C (H6), en fonction de la taille des grains de l’échantillon. Grâce à ces températures de fermeture et aux âges 182Hf-182W mesurés, il est par exemple possible de retrouver l’histoire thermique du corps parent dans chaque échantillon et quelques-unes de ses caractéristiques (taille, profondeur de chaque échantillon), comme l’ont montré Monnereau et al. (2013) ; voir aussi la Figure 1.10 et le chapitre 5 de cette thèse. Figure 1.10 : L’un des modèles thermiques proposés pour expliquer les âges mesurés par radiochronométrie dans les chondrites de type H. Modifié d’après Monnereau et al. (2013). Durée d’accrétion : 0,001 Myr, rayon du corps : 122 km, date d’accrétion : 2,08 Ma après les CAI. A droite sont reportés la profondeur de chaque échantillon étudié dans le corps. Dans le cas du métamorphisme thermique, l’échauffement peut devenir suffisant pour dépasser cette température critique. Le chronomètre 182Hf-182W, qui avait démarré lors du refroidissement initial du corps après sa formation, est alors remis à zéro. Dans ce cas, ce n’est plus l’âge de la ségrégation métal-silicate qui est mesuré, mais celui du métamorphisme. Pour cette raison, dans la suite, nous préfèrerons parler de « dernier équilibre » isotopique entre métal et silicates.

Altération

Humayun et al. (2007) décrivent une veine d’altération dans une CAI d’Efremovka (CV3) qui présente de grandes quantités de W, prouvant que le tungstène peut être mobilisé sous forme oxydée, au moins dans les CAIs. Ces concentrations élevées, retrouvées dans des assemblages de phases secondaires opaques, pourraient provenir de l’altération du métal des CAIs. D’après les travaux de Humayun et al. (2007), il est possible que les CAI d’Allende, CV altérée, ne soient pas les échantillons idéaux pour déterminer l’initial du système solaire pour le système 182Hf-182W. Toutefois, les conséquences de l’altération aqueuse sur les systèmes isotopiques sont encore parfois mal connues. Je présenterai dans la partie 1.3 une brève synthèse sur les mécanismes et les marqueurs de l’altération aqueuse dans les météorites. Nous y reviendrons plus en détails dans les chapitres 3 et 4 abordant les effets de l’altération sur le système Hf-W et sur les isotopes stables du W. 1.2.6. Les isotopes stables du W : un nouvel outil géochimique

Si les processus que nous venons de mentionner (métamorphisme, altération) perturbent les signatures isotopiques indépendantes en rééquilibrant les systèmes, ils ont aussi un effet sur le fractionnement des isotopes stables, que l’on sait mesurer en routine pour les isotopes stables traditionnels.

En effet, depuis plusieurs décennies, les isotopes stables sont utilisés pour mieux caractériser les processus auxquels sont soumis les systèmes, qu’ils soient géochimiques, cosmochimiques, ou même biochimiques. Cette utilisation va de l’utilisation de paléothermomètres en climatologie – δ18O1, δD, δ13C (ex : Emiliani, 1955;

Jouzel et al., 1987, 1993, 1996, 2007; Quade et al., 1989; Shackleton et Opdyke, 1973; Urey, 1947) ; à l’étude des réservoirs terrestres – δD, δ13C, δ18O, δ15N, δ34S (ex : Deloule

et al., 1991; Harmon et Hoefs, 1995; Javoy et Pineau, 1991; Marty et Dauphas, 2003;

Mattey et al., 1994; Sakai et al., 1984), en passant par l’étude des chaines trophiques – 1 La notation δ permet de décrire un écart par rapport à la valeur d’un standard isotopique ou d’une valeur de référence. Par exemple, pour l’oxygène, on exprime le δ18O comme suit : ! !!" = ! !" ! !" é!! ! !" − 1 ×1000

δD, δ13C, δ18O, δ15N, δ34S (ex : Jahren et Kraft, 2008; McConnaughey et McRoy, 1979; Quade et al., 1989; Soto et al., 2013). Plus récemment, de nouveaux systèmes isotopiques, dits « isotopes stables non-traditionnels », ont été étudiés : Li, Mg, Cl, Ca, Cr, Fe, Ni, Cu, Zn, Se, Mo (Johnson et al., 2004). Les masses des éléments considérés étant plus élevées que celles des isotopes stables traditionnels, les fractionnements observés sont plus faibles. Ces développements ont notamment été rendus possibles par des améliorations significatives dans la précision et la reproductibilité des instruments de mesure (ICP-MS), ainsi que leur démocratisation dans les laboratoires de géochimie. Ces nouveaux systèmes isotopiques sont appliqués à l’étude de nombreux processus et phénomènes géologiques.

Dans ce travail, nous étudierons le potentiel des isotopes stables du W comme traceurs des mécanismes affectant le système Hf-W, par exemple les phénomènes d’équilibration métal-silicates dans les astéroïdes et les petits corps planétaires, ou encore les phénomènes d’altération aqueuse. Une grande partie du travail présenté dans les chapitres qui suivent est d’ailleurs directement lié aux phénomènes d’altération aqueuse dans les météorites.

1.3.

L’altération aqueuse – mécanisme et marqueurs

1.3.1. Altération sur les astéroïdes Les seules données in-situ dont nous disposons aujourd’hui concernant l’altération des astéroïdes sont des données spectrales : elle indiquent que ces astéroïdes, souvent reliés aux chondrites carbonées (ex : Gaffey et al., 1993; Hiroi et al., 2001; Kanno, 2003; Pieters et McFadden, 1994), présentent une certaine quantité de phyllosilicates à leur surface (Vilas et Gaffey, 1989; Vilas, 1993, 1994). L’étude des météorites nous apporte des renseignements complémentaires concernant les interactions fluide-roche sur ces petits corps rocheux. Toutes les météorites ne présentent pas de traces d’altération, et parmi celles qui ont été altérées, toutes ne le sont pas dans les mêmes conditions ni de façon homogène. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement aux chondrites.

Les chondrites sont divisées en 3 sous-groupes : chondrites ordinaires, chondrites carbonées et chondrites à enstatite. Les deux premiers contiennent la majorité des échantillons retrouvés à la surface de la Terre. Le troisième sous-groupe est un peu particulier et ne sera pas développé ici, de même que les chondrites K et R. La classification des chondrites leur attribue un code sous la forme lettre(s)-chiffres, dans lequel les lettres renvoient à la famille de chondrite (voir Figure 1.11 et encadré 3) et le chiffre renvoie à leur type pétrographique, c’est-à-dire leur degré d’altération (de 3 pour la moins altérée à 1 pour la plus altérée) ou de métamorphisme (de 3 pour la moins métamorphisée à 7 pour la plus métamorphisée).

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