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à partir de matrices complexes

3. Le fractionnement dépendant de la masse des isotopes du tungstène dans les échantillons terrestres et extra-terrestres.

3.6. Effet des phénomènes secondaires sur le fractionnement isotopique du W : métamorphisme et altération

3.6.2. Altération dans les chondrites carbonées

Au cours des processus d’altération aqueuse, des éléments sont mobilisés par les fluides circulants. Les processus d’interactions fluides-roches sont connus pour engendrer des fractionnements dépendants de la masse, comme cela a été reporté pour

causés par des réactions d’oxydo-réduction, par des équilibres de dissolution- précipitation, par l’activité microbienne ou par des changements de coordination.

Dans cette partie, je présenterai les signatures observées pour les isotopes stables du tungstène dans un ensemble de chondrites carbonées. Nous verrons ensuite qu’il est possible de relier la variabilité des signatures observées dans les chondrites CV à leur degré d’altération.

Figure 3.4 : Signatures isotopiques (W stable) observées pour les chondrites carbonées. Le champ gris représente la signature des chondrites de type H (chutes).

Parmi les échantillons présentés en début de ce chapitre figurent 7 chondrites carbonées. Celles-ci sont altérées à différents degrés, des moins altérées (type 3) aux plus altérées (type 1). Leurs signatures isotopiques sont présentées dans la Figure 3.4.

Les CV3 : degrés d’altération et isotopes du W

Les chondrites de type CV, même si elles sont toutes classées comme CV3, présentent des traces plus ou moins abondantes d’altération, à tel point qu’elles sont divisées en plusieurs sous-groupes : les CV3 faiblement altérées, réduites et riches en chondres et en métal (type Vigarano) et les CV3 oxydées, avec un rapport matrice/chondre plus important et un rapport métal/ magnétite plus faible (on distingue 2 sous-groupes : le plus oxydé (type Bali ; ex : Axtell) et le moins oxydé (type Allende) (Weisberg et al., 1997).

A cause de cette grande variabilité dans leur degré d’altération, les CV sont des échantillons d’intérêt pour l’étude de l’influence de l’altération sur le fractionnement des isotopes stables du tungstène. De plus, la Figure 3.4 montre que les chondrites CV3 présentent une très grande variabilité de signatures isotopiques en W stable, qui n’est pas retrouvée lors de l’analyse des chondrites H3 à H6, non altérés. Il est donc possible que les signatures isotopiques et les degrés d’altération soient liés. La signature isotopique en W semble effectivement liée au degré d’altération des CV3 (Figure 3.5). Parmi les échantillons analysés, la chondrite Vigarano (CV3 réduite) est la moins altérée, et Axtell (CV3 oxydée) est la plus altérée. Allende (CV3 oxydée) a une composition isotopique (et un rapport W/Hf) intermédiaires entre Vigarano et Axtell.

En considérant Vigarano, l’une des chondrites CV3 les plus primitives, comme représentative du matériel de départ, je propose que la tendance observée pour Vigarano, Allende et Axtell soit interprétée comme une perte progressive de W (par rapport à l’Hf) pendant l’altération (cette hypothèse sera testée au chapitre 4) sur le corps parent des CV. Dans ce cas, il apparaît que la solution d’altération est enrichie en W léger, alors que la roche s’enrichit peu à peu en W isotopiquement lourd. NWA 3118 (CV3 réduite) présente davantage de traces d’altération que Vigarano (Meteoritical Bulletin #89, 2005) mais sa signature n’est pas intermédiaire entre Vigarano et Allende : NWA 3118 (trouvaille) est plus riche en W et présente une signature isotopique plus légère.

Pour expliquer ces caractéristiques, nous envisageons plusieurs hypothèses : (1) cet échantillon a subi une contamination sur son corps parent, lié à la re-précipitation d’une partie du W mobilisé par les fluides d’altération ou (2) la contamination est terrestre et doit être attribuée à un enrichissement en W lié à la circulation de fluides météoriques et de fluides de surface dans le désert. S’il est difficile de trancher entre ces deux hypothèses, l’hyperbole de mélange entre CV3 et un fluide d’altération montre que la première solution est tout à fait vraisemblable.

Figure 3.5 : Fractionnement des isotopes stables du W dans les CV3, en fonction du rapport W/Hf (proxi de la mobilisation du W lors de l’altération). Les autres chondrites carbonées : une histoire plus complexe ? Les autres chondrites carbonées ont pour la plupart (notamment les CI1, CM2 et CR2 – ces dernières ne sont pas étudiées dans ce chapitre) connu une altération aqueuse plus intense que les CV3. Nous avons donc analysé une CI (Orgueil), une CM2 (Murchison), et une CO3 (NWA 6446) de façon à voir si les observations faites pour les CV3 pouvaient être étendues aux autres groupes de chondrites carbonées altérées. La Figure 3.6 présente les résultats obtenus pour l’ensemble des chondrites carbonées analysées dans cette étude.

Figure 3.6 : Fractionnement des isotopes stables du W dans les chondrites carbonées, en fonction du rapport W/Hf.

Orgueil, Murchison et NWA 6446 ont des signatures élémentaires et isotopiques variées, qui ne suivent pas la courbe définie pour les CV3. Dans le détail, Orgueil (CI) a une signature élémentaire et isotopique proche de celles des chondrites H, et donc proche de celle du système solaire interne primitif (+0,10 ± 0,03 δ.amu-1), malgré une altération très intense. Ceci peut être expliqué par le fait que les chondrites CI ont vraisemblablement subi une altération isochimique (Bland et al., 2009). Dans ce cas, le W n’a pas été transporté par les fluides sur de grandes distances et l’analyse de roche totale montre des signatures élémentaires et isotopiques proches de celles du système avant altération. Cela signifierait également que les chondrites carbonées CV et CI proviennent de corps dont les signatures isotopiques en W stable (avant altération)

En ce qui concerne les signatures de Murchison (CM2) et de NWA 6446 (CO3), il est difficile de les interpréter en termes de processus sans analyser davantage d’échantillons des groupes dont elles sont issues. Différentes hypothèses peuvent être envisagées pour expliquer les compositions isotopiques mesurées :

⇒ effet de la signature isotopique du corps parent : si les échantillons de chondrites carbonées proviennent de corps parents distincts, avec des signatures isotopiques initiales différentes, ils ne peuvent pas être comparés entre eux ;

⇒ influence du rapport eau/roche sur le fractionnement : ce rapport influe sur la dissolution des différents minéraux et, si ceux-ci ont des signatures isotopiques différentes, il influe aussi sur la composition isotopique du W mis en solution ;

⇒ influence des pressions partielles de gaz pO2, pCO2 et de la composition de la

solution d’altération (salinité, pH, alcalinité…) : ces paramètres modifient les équilibres en solution et peuvent donc affecter les phénomènes de dissolution-précipitation de minéraux et la spéciation du W en solution. Les résultats obtenus ici montrent donc que l’altération aqueuse peut entrainer un fractionnement des isotopes stables du tungstène dans le corps altéré. Pourtant, les vitesses de diffusion du tungstène dans les minéraux sont extrêmement faibles aux températures auxquelles a lieu l’altération. Nous avons vu dans le chapitre 1.5 que l’intensité de l’altération pouvait être très variable d’un minéral à l’autre. Il est donc envisageable que le fractionnement isotopique observé soit dû à une dissolution préférentielle de certains minéraux (olivines, pyroxènes). Comme nous observons que la signature de la roche totale s’enrichit en isotopes lourds au cours de l’altération, il est vraisemblable que ces minéraux facilement altérés aient une signature isotopique plus légère que la roche avec laquelle ils sont en équilibre. Cette hypothèse est d’ailleurs en accord avec la signature légère (0.07 ± 0.07 δ.amu-1 ; voir partie 2.4) mesurée pour la péridotite PCC1, essentiellement constituée d’olivines et de pyroxènes.

3.7.

Conclusions

Dans cette étude, nous avons pu déterminer pour la première fois la composition isotopique de la nébuleuse solaire interne au moment de sa formation : 0.09 ± 0.09 δ.amu-1. Celle-ci a pu être estimée grâce à la grande homogénéité des signatures des

chondrites ordinaires et des météorites de fer magmatiques, signature similaire à celle observée pour la CI d’Orgueil. Les échantillons analysés permettent toutefois d’observer des fractionnements des isotopes stables du tungstène. Les météorites de fer non-magmatiques présentent des signatures distinctes de celles des magmatiques. Cette différence peut être expliquée par un modèle simple de volatilisation, par exemple lors d’un impact. D’autre part, si les chondrites ordinaires ont la même signature quel que soit leur degré de métamorphisme, il n’en va pas de même pour les chondrites carbonées. Celles-ci présentent des signatures isotopiques très hétérogènes. Nous avons montré que dans le groupe des CV, cette hétérogénéité pouvait s’expliquer par les différents degrés d’altération affectant les échantillons. Un plus grand nombre d’analyses sur une population beaucoup plus importante d’échantillons est nécessaire pour expliquer pleinement les signatures des autres groupes de chondrites carbonées. A l’avenir, les isotopes stables du tungstène pourront être utilisés pour une grande variété d’études en géochimies et en cosmochimie. Ci-dessous, nous listons quelques phénomènes qui pourraient fractionner les isotopes du W et dont l’étude présenter a priori un grand intérêt scientifique : - Equilibration métal-silicate lors de la différenciation d’un corps planétaire (gros astéroïde, planétésimal, planète) (ex : Cottrell et al., 2009; Jacobsen et al., 2006). Dans ce cas, la diffusion à l’interface liquide-solide et la diffusion dans le solide dominent le processus et contrôleront probablement le fractionnement des isotopes du tungstène.

- Formation de Kamacite et Taenite à partir d’un alliage Fe-Ni qui refroidit. De la même manière qu’un fractionnement des isotopes du Fe (Mullane et al., 2005; Poitrasson et al., 2005) et du Ni est observé entre les deux phases (ex : Dauphas, 2007; Quitté et al., 2006), il est possible qu’un fractionnement des isotopes du W puisse être induit par ces réactions d’exsolution (à condition que le W soit inégalement réparti dans les deux phases). Là encore, la diffusion domine le processus.

- Dissolution-précipitation de minéraux riches en W lors de processus d’altération (hydrothermalisme affectant des granites). En effet, le W est très soluble dans des solutions aqueuses (ex : la solubilité de la scheelite est de 13,3 ppm à 20°C et de 2,3 ppm à 90°C (Bokii et Anikin, 1956; Foster, 1977)) et peut précipiter pour former des minéraux dont il est un élément majeur (Wolframite : (Fe,Mn,Mg)WO4 ; Scheelite : CaWO4).

- Processus d’altération aqueuse. Si l’on considère que les minéraux d’une roche ont des compositions isotopiques différentes, l’altération peut modifier la signature isotopique de la roche altérée par rapport à la roche saine en entrainant une dissolution préférentielle de certains minéraux.

- Traçage des sources à l’origine d’un matériel sédimentaire clastique, en complément des isotopes du Sr (ex : Blum et Erel, 2003; Capo et al., 1998; Shand et al., 2009) et d’autres traceurs. - Fractionnement lors de processus de fusion partielle. Le tungstène figure parmi les éléments traces les plus incompatibles (ex : Newsom et Drake, 1979; Newsom et al., 1996; Palme et Rammensee, 1981; Rammensee et Wänke, 1977) et des taux de fusion très faibles pourraient engendrer un fractionnement isotopique entre solide et liquide. Ce fractionnement lié aux processus magmatiques pourrait être étudié grâce à une série d’échantillons terrestres ou à une population d’eucrites.

CHAPITRE IV

-

ETUDE

DU COMPORTEMENT DU W

LORS DES PROCESSUS

D’ALTERATION

"La science doit s'accommoder à la nature.

La nature ne peut s'accommoder à la science"

Ferdinand Brunot, La pensée et la langue

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